Elections et débat national

Santé et Présidentielle : les propositions du LEEM sur la politique du médicament

La campagne présidentielle a commencé après de multiples crises, dont la Covid-19, et nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile sur leurs propositions de réforme de la Santé. Aujourd’hui, l’interview de Monsieur Frédéric Collet, président du LEEM (Les Entreprises du Médicament).

  • sefa ozel/istock
  • 01 Avr 2022
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    Frédéric Collet est président de Novartis France et Président du LEEM, l’association qui regroupe les industriels du médicament, un secteur industriel essentiel et qui a été très largement mis à contribution au cours de la Covid-19. Elle vient d'organiser un débat sur ce sujet stratégique.

    Frédéric Collet, on a eu crise sur crise, et celle de la Covid-19 a été historique, mais on a l'impression que l'industrie pharmaceutique française a eu du mal à être représentée dans le développement d’un vaccin ou d’un antiviral spécifique. Quelle est votre analyse face à ce constat ?

    Je pense qu'il faut revenir aux fondamentaux : la crise nous rappelle que la recherche est un parcours incertain et c'est vrai pour l'ensemble des laboratoires mais, ce qui est incroyable, c'est que là où il faut normalement dix ans pour développer un vaccin, il aura fallu huit mois pour le développer, le tester cliniquement, le fabriquer et commencer à l'utiliser. Et donc les hommes et les entreprises qui se sont mobilisées pendant cette période-là ont réussi à faire quelque chose de tout à fait exceptionnel. Il y a eu plus de 350 développements de vaccins qui ont été faits et au moins cinq sont déjà disponibles.

    Il faut souligner que l'ensemble de ces développements sont des développements qui sont le fruit de collaborations multiples, entre des big pharmas et des big pharmas, des big pharmas et des biotechs, des big pharmas et des universités. En France, Sanofi qui avait annoncé qu'il y aurait un vaccin, va le mettre à disposition probablement pour le début de ce trimestre. Avec GSK, ils auront mis environ 18 mois, là ou normalement encore une fois il faut dix ans. Donc, effectivement ça nous rappelle que la recherche porte une part d’incertitude, mais pour autant, notre champion national aura réussi à venir avec un vaccin dans un temps qui reste tout à fait exceptionnel. 

    En France, c'est compliqué de faire de la recherche. Il y a une réglementation qui est lourde. C'est difficile de développer des partenariats public-privé et ça ne marche pas aussi bien qu'ailleurs. Faire des essais thérapeutiques dans notre pays, tous les cliniciens disent qu'ils ont à peine le temps de débuter les essais que ceux-ci sont finis dans d'autres pays d'Europe de l’Est ou d'ailleurs. Qu’est-ce qui vous semble nécessaire pour booster la recherche française sur le médicament ?

    Je pense qu'il y a plusieurs éléments. D'abord, il faut rappeler quand même que plus des deux tiers de la recherche est d'origine privée en France.

    Et donc, le premier enseignement, c'est qu'il faut favoriser et améliorer les collaborations entre recherche privée et recherche publique. Ça commence par une question de partage d'expertise et de permettre à des chercheurs privés de faire de l'enseignement publique, et à des chercheurs du public de participer à ou de mener des travaux pendant un certain temps dans le privé. Il faut construire des ponts là alors que, pendant bien longtemps, on a plutôt construit des murs.

    Le deuxième élément qui est absolument essentiel, c'est qu’aujourd'hui, il y a une absence de lisibilité en matière de recherche et qu'il y a une forme de déperdition sur les priorités entre les différents acteurs de la recherche. Et ce que nous recommandons, c'est d'avoir un meilleur pilotage des efforts de recherche, avec une feuille de route qui soit clairement identifiée, pour coordonner les efforts public-privé et ceux de l'ensemble des acteurs privés. Puis enfin, concernant le public, vous vous souvenez des engagements qui avaient été pris à Lisbonne sur un investissement public de 3% du PIB. Aujourd'hui, on voit qu’en France on est autour de 2,2%. Donc, il est nécessaire de renforcer l'investissement public dans le domaine de la recherche. Ce qui est vrai en France est également vrai dans de nombreux pays européens.

    Pendant la 1ère vague de la Covid-19, on a frôlé la rupture d'approvisionnement en médicaments-clés. Depuis plusieurs années, on voit une augmentation du nombre de ruptures d'approvisionnement sur beaucoup de molécules. Et derrière cela, on a l'impression qu'on a une désindustrialisation en France. Quelle est votre analyse et quelle politique faut-il mettre en place pour réindustrialiser la santé dans nos pays ? 

    La France était il y a une dizaine d'années, le premier pays européen en matière de fabrication de médicaments. Aujourd'hui, nous sommes quatrièmes. Nous avons en France environ 240 sites différents et 45 000 emplois sur des sites industriels qui sont répartis dans beaucoup de régions. Et pour autant, la crise a révélé plusieurs enjeux.

    Le premier enjeu, c'est que nous avons perdu en compétitivité parce qu'un certain nombre de ces productions de médicaments sont allés se déporter à l'étranger et, d'autre part, notre expertise est essentiellement sur des molécules matures, des produits de niche. J'ai envie de dire de la pharmacopée d'aujourd'hui, voire même d'hier. Et donc l'enjeu est double. Il s'agit de restaurer la compétitivité des entreprises qui sont en France, et qui constituent ce terreau, et en particulier un tissu de PME. Je le rappelle, le LEEM est composé à plus de 50% d'entreprises de moins de 100 salariés. Donc, c'est un secteur qui est extrêmement important et pour lequel il faut restaurer la compétitivité pour que des produits fabriqués en France puissent continuer d'être commercialisés, en France comme dans le monde, dans des conditions qui soient soutenables pour ces entreprises. Donc ça veut dire une action sur la régulation et en particulier sur la baisse des prix, mais également une action sur la fiscalité pour faire en sorte que ce secteur reste compétitif.

    Le deuxième enjeu, c'est celui de l'attractivité, c'est-à-dire de faire en sorte que la pharmacopée de demain, puisse être fabriquée en France. Je vous donne un exemple : en 2019, les autorités européennes ont accordé un peu plus d'une soixantaine d’AMM. Sur ces 60 AMM, cinq seulement étaient fabriqués en France. Cinq quand une vingtaine d'entre elles ont été fabriquées en Allemagne, en Irlande ou en Italie. Et donc on voit à quel point il est essentiel d'attirer cette pharmacopée-là aussi avec des mécanismes incitatifs, des mécanismes fiscaux, pour faire en sorte que ces nouvelles thérapies géniques cellulaires, ces biothérapies, des thérapies innovantes qui sont aujourd'hui en cours de développement, puissent être fabriquées en France. Mais ça passe aussi par la création d'un écosystème. C'est à dire que le développement de ce qu'on appelle les « bio-clusters » doit constituer un écosystème qui permette de chercher, de développer cliniquement, de fabriquer et de donner accès aux patients français à ces traitements qui auront été cherchés, développés, fabriqués en France. Et cet écosystème, on en a déjà un premier qui est en train de se constituer avec ce qu'on appelle le « Paris-Saclay cancer campus », qui est une bonne initiative dans le domaine du cancer. Nous pensons qu'il faut développer d’autres initiatives comme celle-là, afin d’assurer la cohérence de la conception et du développement de ces médicaments innovants. 

    Des nouveaux médicaments innovants, souvent chers, ce qui veut dire, en France, des mises à disposition qui sont assez tardives. Quelle est votre analyse sur ce retard ? Comment faire pour que ça se passe mieux sans faire exploser complètement le système de remboursement ? 

    La recommandation européenne, c’est qu’entre le moment où un produit a son AMM et le moment où il est commercialisé, le délai devrait être de 180 jours. La réalité en France est de plus de 500 jours, donc nous nous situons probablement autour de la 20ᵉ position parmi les pays européens, ce qui n'est pas du tout à la hauteur de l'ambition d'un pays comme le nôtre. Donc pour ça, il faut travailler sur la réduction des délais et en parallèle, continuer d’agir en développant des mécanismes d'accès précoce, tel que c'est aujourd’hui le cas avec ce que l'on appelle « l'accès direct », qui est issu directement du Conseil stratégique des industries de santé pour raccourcir ces délais.

    Les plus de 500 jours actuels, c'est le délai de commercialisation après l’AMM, néanmoins, ces mécanismes d'accès précoce permettent aujourd'hui de les réduire à presque de moitié, en étant autour de 250 jours. C'est encore beaucoup trop par rapport à la recommandation européenne. Néanmoins, c'est un pas important et donc, il faut continuer à travailler sur ces deux éléments : l'accès précoce et la bonne mise en œuvre de l'accès précoce d’une part et, d'autre part, les mécanismes qui permettent de raccourcir les délais administratifs qui font que l'accès à l'innovation est beaucoup trop lent en France, en particulier par rapport aux autres pays auxquels nous nous comparons. 

    Et, dans la réforme de la politique du médicament, qu'est-ce qui vous paraît essentiel et que l'on n'a pas encore abordé dans cette discussion ? Est-ce que d'autres éléments vont jouer ? 

    On est en période électorale et le LEEM a présenté une plateforme de propositions organisée autour de quatre piliers. Premier pilier, c'est la recherche et on l'a évoqué. Le second pilier, c'est l'industrialisation et on l'a évoqué aussi. Le troisième pilier, c'est l'accès aux médicaments innovants. Et nous venons de l'évoquer. Et puis le quatrième pilier, c'est la gouvernance et je pense qu’il y a deux éléments que je voudrais retenir comme priorités.

    Le premier élément, c'est que l'enjeu principal est d'assurer le développement de traitements innovants que nous sommes capables de développer dans notre secteur. Et pour cela, il faut savoir qu'il n'est pas possible de favoriser l'innovation si on ne reconnait pas la croissance du secteur. Il faut donc que l’on garantisse à notre secteur certaines marges de croissance économique. C'est mécanique, l'innovation nécessite une forme de croissance. Depuis dix ans, notre secteur a une croissance contenue en France par les effets d'une régulation très efficace, sauf sur les deux dernières années, sur lesquelles nous avons eu des marges qui ont été légèrement améliorée de 0,5%, puis de 1%. Et donc, l’effort qui a été fait est un premier pas, mais si je le compare aux autres pays européens, je mesure à quel point l'enjeu principal est de redonner des marges de croissance.

    Deuxième enjeu important, c'est celui de la gouvernance que nous n'avons pas encore évoqué. Et pourquoi la gouvernance est essentielle ? C'est parce que, à partir du moment où le médicament est devenu une priorité stratégique, parmi les cinq secteurs stratégiques identifiés en sortie de crise, il faut donc que sa gouvernance soit adaptée. Notre recommandation est d'avoir un ministère qui soit en charge de l'innovation, de la recherche et de l'industrie, un autre ministère qui soit un ministère de la Santé dans un sens large et, enfin, un ministère qui soit celui des comptes publics, y compris les comptes sociaux. Nous recommandons de sortir les comptes sociaux de la responsabilité du ministère de la Santé pour les mettre dans un ministère des Comptes publics dans lequel il me semble que cela permettrait d'assurer la cohérence de l'ensemble des mesures qui sont prises. Et surtout le fait que le ministre en charge de la Santé puisse être concentré sur la stratégie de santé et pas sur les comptes publics qui peuvent être gérés par d'autres. 

    Les médecins sont bien conscients qu'ils ont besoin des médicaments et de l'innovation, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient totalement favorables à l'industrie du médicament en général. Fréquence Médicale est un journal qui s'adresse aux médecins. Si vous vouliez vous adresser plus directement aux médecins sur le médicament, quel est le message que vous voudriez leur dire ?

    Votre remarque est importante parce que toutes les crises fonctionnent comme des révélateurs, mais aussi des accélérateurs. Généralement, elles accélèrent ce qui va mal. Mais, avec un peu de chance, elles révèlent ce qu'il advient de positif. Et, pendant cette période de la Covid-19, ce que cette crise a révélé, c’est la capacité de mobilisation incroyable de notre secteur pour faire en sorte que, en dépit d'inquiétudes que nous avions, nous avons assuré la disponibilité de tous les traitements. Pas un traitement n'a manqué. Et pourtant, sur certains d'entre eux, je pense notamment aux médicaments de réanimation et à certains médicaments d'anesthésie, la chaîne a été très, très tendue. Pour autant, il faut le dire, la mondialisation a permis d'assurer la disponibilité de ces traitements et, en parallèle, les laboratoires ont continué à travailler pour développer des vaccins. Il faut rappeler que la France a été un des premiers pays en matière d'essais cliniques, notamment sur les vaccins. Et la France a été également un des premiers pays, bien sûr, à y avoir accès.

    Cet effort a été reconnu dans les enquêtes qui ont été faites, notamment par Ipsos, qui est un baromètre que nous faisons régulièrement au LEEM, et nous voyons que la réputation du secteur a significativement progressé. Cette reconnaissance des médecins est liée à notre capacité de mobilisation, notre capacité pour assurer l'ensemble de notre métier pendant une période qui a été extrêmement difficile.

    Donc, nous sommes plutôt encouragés à vouloir continuer dans ce sens-là. Mais, tous les efforts que nous faisons, que ce soit en matière d'accès aux médicaments, que ce soit en matière de recherche clinique, que ce soit en matière même de fabrication locale, ces efforts associent nécessairement les médecins, tout au long de ces parcours. Leur rôle est absolument essentiel à chacune des étapes de la recherche parce qu’aujourd'hui, on a besoin de cette expertise et que c'est un facteur d'autonomie sanitaire auquel les médecins sont très attachés. Donc, je pense que la crise nous aura appris que le secteur est essentiel car il a su se mobiliser de façon exceptionnelle pendant cette période et que tous les efforts que nous faisons pour renforcer son attractivité se font en totale collaboration avec les médecins dont l'expertise est reconnue mondialement.

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