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Santé et Présidentielle : le plus bas reste à charge des pays de l’OCDE, mais…
La campagne présidentielle a commencé et, après la crise de l’hôpital et la pandémie Covid-19, nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile sur leurs propositions de réforme de la Santé. Aujourd’hui, le texte de Pierre-Jean Lancry, économiste de la santé.
- sefa ozel/istock
Pierre-Jean Lancry est économiste de la santé. Ancien universitaire, spécialiste de l’assurance-maladie et de l’administration de la santé, il a publié de nombreux articles et ouvrages professionnels. Il est également président par intérim du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM)
Notre système de prise en charge des dépenses de santé, fondé sur l’intervention conjointe de l’assurance maladie obligatoire (AMO) et des complémentaires santé (Assurance maladie complémentaire, AMC) présente des caractéristiques intéressantes.
En moyenne ce système laisse aux patients le plus bas reste à charge des pays de l’OCDE, il est très fortement utilisé puisque 96% des assurés en bénéficient et l’AMC prend en charge une part significative des dépenses de santé (environ 12%). De ce fait, l'AMC qui complète le financement public, y compris sur des prestations essentielles, est une condition nécessaire de l'accès aux soins.
Mais, voyez-vous, utiliser la notion de moyenne pour rendre compte d’une situation réelle inégalitaire n’a pas grand sens, ou alors à considérer qu’un individu qui a les pieds dans la fournaise et la tête dans les glaçons jouit d’une température moyenne agréable. Examinons plus en détail la situation de ces valeurs moyennes.
Reste à charge le plus bas des pays de l’OCDE.
Certes, mais des inégalités majeures existent et, pour certaines, elles sont contre-intuitives. Il faut savoir que le reste à charge d’une personne en ALD (affection de longue durée) est environ quatre fois supérieur au reste à charge d’un assuré « de droit commun » (c’est-à-dire non ALD).
L’explication est simple. Une personne en ALD bénéficie d’une prise en charge à 100% pour les soins en lien avec la pathologie exonérante, mais pas pour les autres soins. Et un patient en ALD consomme beaucoup plus de soins, à la fois exonérés et non exonérés, qu’un individu non ALD. Ainsi l’ALD ne joue pas pleinement son rôle de suppression des « gros » restes à charge.
En outre il n’existe pas dans notre système de protection sociale de mécanismes « automatiques » qui prémunissent contre les restes à charge élevés. Le rapport de 2007, Briet, Fragonard et Lancry, sur le « bouclier sanitaire » avait déjà exposé de telles situations.
À cet égard l’AP-HP a publié récemment des statistiques montrant que le reste à charge du Covid hospitalier pouvait dépasser 8000€ ! Enfin, la situation des 3,2 milliards d’euros de dépassements (secteur 2, chambre seule à l’hôpital) n’est pas clairement analysée.
Importance du rôle des complémentaires
L’immense majorité des assurés (96%) bénéficie d’une couverture à la fois obligatoire et complémentaire. Loin de moi l’idée de minimiser un chiffre aussi important mais on constate que pour les populations les plus précaires le taux de couverture par l’AMC est bien plus faible. Ainsi par exemple 13% des chômeurs n'ont pas d’assurance maladie complémentaire.
Le taux d’effort est très contrasté entre les assurés.
Le taux d’effort est calculé en rapportant le reste à charge (après prise en charge AMO + AMC), majoré de la prime payée pour bénéficier de l’AMC, au revenu des ménages. Sur ce point on observe deux sources d’inégalités : une liée à l’âge des assurés, l’autre liée au revenu.
Ainsi le taux d'effort passe de 2,7% pour les 30-39 ans à 8,2% pour les plus de 80 ans ; quant aux aspects revenus, pour un groupe donné (en l’occurrence les retraités) les 20% les plus riches ont un taux d'effort de 3,9% contre 9,9% pour les 20% les moins riches.
Des inégalités également entre actifs et inactifs
Signalons enfin une source d’Inégalités bien connue entre les actifs qui, depuis 2016 dans le cadre de l’Accord National Interprofessionnel, bénéficient de contrats collectifs aidés (aide sociale et fiscale) et d’une prise en charge partielle par l’employeur.
Pour les inactifs il n’en est rien et, même si la loi Evin du 31 décembre1989 permet sous certaines conditions le portage d’un contrat complémentaire actif vers inactif, une fois à la retraite la prime se calculera en fonction du risque selon une logique strictement assurantielle.
4 scénarios d’amélioration de la couverture des dépenses de santé
Fort de ces constatations, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, dont j’assure la présidence par intérim, a publié un rapport le 14 janvier 2022 qui présente quatre scénarios « polaires » c’est-à-dire très différentiés :
• Scénario 1 : Améliorations dans le cadre de l’architecture actuelle AMO-AMC.
• Scénario 2 : Une assurance complémentaire obligatoire, universelle et mutualisée
• Scénario 3 : Augmentation des taux de remboursement de la Sécurité sociale (ce scénario a été immédiatement baptisé « grande sécu »)
• Scénario 4 : Décroisement entre les domaines d’intervention de la Sécurité sociale et des assurances complémentaires.
Il appartiendra sans doute au futur exécutif d’instruire l’un de ces scénarios… ou d’en proposer un cinquième.