Infectiologie
Ivermectine : un remake pathétique de la saga de l’hydroxychloroquine
L’exemple de l’hydroxychloroquine n’a pas suffi. Nombre d’adeptes de la « science alternative » des réseaux sociaux préfèrent s’intoxiquer à l’ivermectine plutôt que de se vacciner, sapant de facto les efforts de toute la société pour maîtriser la pandémie.
- Jaiz Anuar/istock
Vous avez aimé la saga marseillaise et internationale de l’hydroxychloroquine ? Vous allez adorer celle, pas seulement américaine, de l’ivermectine … Si, au départ, le repositionnement de médicaments existants pour traiter la Covid-19 paraissait une bonne idée, cette piste a finalement été assez décevante après les des études contrôlées sur l’humain : sur toutes ces molécules seul le remdésivir nous reste mais son efficacité reste discutée.
Nombre de molécules testées n’ont pas dépassé le stade des modèles in vivo : il y a loin de l’éprouvette à l’humain et d’une éventuelle baisse de la charge virale à un effet thérapeutique clinique. Tout espoir n’est pas perdu selon le Pr Jean-François Delfraissy avec encore des molécules en test. Quelques molécules repositionnées sont donc encore en piste mais l’ivermectine n’en fait plus partie malgré son activité SARS-CoV-2 in vitro et à forte dose.
Un antiparasitaire dont les délivrances explosent aux USA
Pourtant, la réputation de l’ivermectine contre la Covid-19 est au plus haut… sur les réseaux sociaux alternatifs, avec le zinc et la vitamine D il est vrai. Plus fort, les délivrances de cet antiparasitaire explosent en pharmacie aux Etats-Unis : elles ont été multipliées par 20 d’après le New York Times et provoquent désormais des ruptures de stock dans certains états américains. Cette situation pousse les afficionados de la « science alternative » à recourir à des formulations vétérinaires, plus fortement dosées… et à s’intoxiquer. La Food and Drug Administration s’est récemment senti obligée de rappeler que ce qui était bon pour un cheval ou une vache de 500 kilos ne l’était pas nécessairement pour les humains avec un tweet humoristique « You are not a horse or a cow… Seriously. ».
Augmentation des appels aux centres antipoisons
Et c’est justifié car selon des données de l'American Association of Poison Control Centers, là encore citées par le New York Times, les appels aux centres antipoison pour des intoxications à l'ivermectine ont augmenté de façon spectaculaire récemment, quintuplant même par rapport à leur niveau de juillet
Le département de la santé du Mississippi a déclaré au début du mois d’août que 70% des appels récents au centre antipoison de l'État provenaient de personnes qui avaient ingéré de l'ivermectine à partir de formulations vétérinaires pouvant contenir 10 à 15 fois la dose des comprimés humaines.
Un antiparasitaire nobélisé
L'ivermectine a été introduite comme médicament vétérinaire à la fin des années 1970, et la découverte de son efficacité dans la lutte contre certaines maladies parasitaires chez l'homme (onchocercose) a conduit à un prix Nobel de médecine 2015 pour ses découvreurs (William Campbell et Satoshi Ômura).
Bien que son efficacité dans le traitement de la Covid-19 n'ait pas été démontrée dans plusieurs études cliniques chez l’homme, les personnes récusant les preuves « Evidence-Based-Medicine » de la science officielle, s'arrachent désormais ce médicament promu par la « science alternative » des groupes Facebook et Reddit.
La leçon de l’hydroxychloroquine n’a visiblement pas suffi dans le cadre d’une philosophie du « tout plutôt que de se faire vacciner avec un produit efficace et validé par la science officielle ». L’ex-Président Trump, qui a largement financé le développement de ces vaccins, s’est même fait huer récemment dans un de ses meetings parce qu’il conseillait la vaccination…
Aucune efficacité clinique démontrée
Pourtant l’absence d’efficacité clinique de l’ivermectine est plutôt évidente. Une revue Cochrane récente de 14 études sur l'ivermectine, portant sur plus de 1 600 patients, conclut qu'aucune de ces études, généralement de petite taille et/ou de mauvaise qualité, n'apporte la preuve de sa capacité à prévenir la Covid-19, à améliorer l'état clinique des malades ou à réduire la mortalité.
L'un des plus grands essais étudiant l'ivermectine dans le traitement de la Covid-19 (plus de 1 300 patients), l'essai Together, a été interrompu prématurément par le comité de surveillance et de sécurité de l’étude parce qu'il a été démontré que l’ivermectine n'était pas meilleure qu'un placebo pour prévenir les hospitalisations ou une surveillance prolongée aux urgence aux urgences. L'équipe aurait interrompu cet essai encore plus tôt si ce n’était la pression d’un certain public sur tout ce qui touche à l'ivermectine : certains chercheurs et leurs familles ont même été menacés !
Ainsi, ce sont les méta-analyses biaisées des réseaux sociaux qui priment dans l’esprit de beaucoup et 31 autres études serait encore en cours avec l’ivermectine dans la Covid-19… C’est 4 ou 5 fois moins qu’avec l’hydroxychloroquine mais quel gâchis de temps et d’argent, voire que de vies perdues.
Bonne tolérance aux doses normales
Une étude randomisée du JAMA dans les formes modérées en phase précoce est également un échec patent au plan efficacité mais elle est rassurante quant à la tolérance des doses utilisées en pharmacopée humaine. Dans cette étude colombienne, contrôlée et de bonne facture, sur 476 malades, l'ivermectine n’a aucun effet statistiquement significatif versus placebo sur la réduction de la durée des symptômes dans les formes modérées de la Covid-19.
Parallèlement, il n’y a pas non plus d'augmentation statistiquement significative des effets indésirables chez les patients recevant l'ivermectine, à une dose quotidienne pourtant assez élevée (300 microgrammes par kilogramme).
Les réseaux sociaux sapent la maîtrise de la pandémie
L’ivermectine est donc un antiparasitaire repositionné mais inefficace dans la Covid-19, quel que soit le stade, et sa relative bonne tolérance ne suffit pas à en autoriser la prescription. C’est pourquoi l’ANSM refuse d’autoriser cette molécule en France dans la prévention ou le traitement de la Covid-19.
Aux USA, tant les chercheurs que les médecins et les responsables de santé publique sont alarmés par le fait que des gens cherchent à se procurer de l'ivermectine pour prévenir ou traiter la Covid-19 au lieu de se faire vacciner avec des vaccins, vaccins qui continuent pourtant à protéger contre les hospitalisations et les décès malgré le variant Delta. Le frein de l’AMM temporaire n’existe plus puisque la FDA vient d’approuver officiellement le vaccin Pfizer-BioNTech, et que celle du vaccin de Moderna devrait suivre dans les semaines à venir.
Si les gens ne se font pas vacciner à cause des « alternative facts » qu'ils lisent sur les réseaux sociaux (américains ou français), cela nuit à la capacité de toute la société à maîtriser cette pandémie.











