Onco-digestif

Immuno-oncologie digestive : de nouveaux biomarqueurs

L’immunothérapie en oncologie digestive nécessite d’être accompagnée de biomarqueurs comme par exemple la charge mutationnelle tumorale. Quelles sont les dernières données sur leur utilité ?

  • Istock/dusanpetkovic
  • 19 Avril 2021
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    Si l’immunothérapie a fait une entrée remarquée dans un grand nombre de type de tumeurs, l’oncologie digestive est restée longtemps de côté. Les inhibiteurs de checkpoint immunitaires (ICI) se sont heurtés à une modeste efficacité dans les cancers colorectaux, gastriques ou pancréatiques et à l’absence de biomarqueurs convaincants capables de sélectionner les patients répondeurs, en dehors des rares formes avec instabilité des microsatellites (MSI high). 

    Par exemple, l’expression du PD-L1 n’a pas montré de valeur prédictive évidente, sauf peut-être pour les cancers gastriques avancés (score CPS). Dans ces cancers des études récentes ont démontré l’efficacité des anti-PD1 en association avec la chimiothérapie dès la 1ère ligne lorsque le score PD-L1 CPS était > 5, sans que l’on ait de données suffisantes pour affirmer qu’il s’agissait d’un facteur prédictif, puisque les données chez les patients avec un score CPS<5 n’étaient pas comparées. 

    Plus récemment, l’étude Keynote-158 (NCT02628067) a suggéré que la charge mutationnelle tumorale (tumor mutational burden ou TMB) était un facteur prédictif important d’efficacité des ICI chez des patients atteints de tumeur solides. Par conséquent, en Juin 2020, la FDA a approuvé le pembrolizumab pour les patients une tumeur solide avec un TMB ≥10 mutations/megabase (mut/Mb). Cependant, la valeur de ce marqueur est peu évaluée dans les différents types tumoraux. C’est dans ce contexte qu’ont été testés de nouveaux biomarqueurs, comme le TMB plasmatique, ou la composition du microbiote intestinal, dans des études présentées au dernier congrès de l’ASCO-GI
     

    Le TMB plasmatique : marqueur prédictif d’efficacité du D+T dans les cancers colorectaux MSS

    Les TMB tissulaire (110 patients) et plasmatique (sur ADN tumoral circulant, 163 patients) ont été analysés dans le cadre d’une étude ancillaire randomisée, testant la double immunothérapie durvalumab + tremelimumab (D + T) versus soins de support chez des patients atteints de cancer colorectal métastatique MSS, chimioréfractaires. Il n’y avait pas de corrélation entre le TMB tissulaire (médiane de 6,6 mut/Mb) et plasmatique (médiane de 16,3 mut/Mb), probablement expliquée par un intervalle médian entre le prélèvement tissulaire et plasmatique de 3,3 ans.

    Un TMB élevé, défini comme un TMB tissulaire ≥10 mut/Mb ou un TMB plasmatique ≥28 mut/Mb (seuils prédéfinis), est retrouvé chez 29% des patients sur l’analyse tissulaire et 21% des patients sur le plasma. Le TMB tissulaire ≥10 mut/Mb n’est pas prédictif de l’efficacité du D+T dans cette étude (Hazard Ratio = 0,54 ; IC 90% (0,27-1,08) ; p = 0,14). En revanche, un TMB plasmatique ≥28 mut/Mb apparaît associé à une meilleure efficacité du D + T (Hazard Ratio = 0,34 ; IC 90% (0,18-0,63) ; p = 0,004).

    En conclusion, l’analyse de l’ADN tumoral circulant sur biopsie liquide pourrait mieux refléter le TMB à un temps donné, tenant compte à la fois de l’hétérogénéité tumorale et de l’effet des traitements reçus, tout en évitant une nouvelle biopsie. Il pourrait être un élément prédictif plus pertinent que le TMB sur tissu, parfois ancien.

    Adénocarcinome pancréatique :  le TMB plasmatique semble associé à l’efficacité du D+T

    Le TMB plasmatique a également été évalué dans l’essai de phase II randomisé CCTG PA.7, testant une chimiothérapie par gemcitabine + Nab-Paclitaxel (GN) +/- durvalumab + tremelimumab (D + T). Cette étude ne montre aucun bénéfice de l’ajout du D + T dans la population globale. 

    L’analyse du TMB plasmatique, avec un seuil prédéfini de 5 mut/Mb, ne retrouve pas de valeur prédictive du TMB. Cependant, un seuil plus élevé à 9 mut/Mb, sélectionnant un petit sous-groupe de patients (8 patients, 4,6%), semble être associé à une meilleure efficacité de l’ajout du D + T à la chimiothérapie cependant non significative du fait de la taille de l’effectif (HR=0,30 ; (IC 90% : 0,06 - 1,37) ; p=0,19). Ces données suggèrent qu’un petit groupe de patients avec un adénocarcinome pancréatique et TMB plasmatique élevé pourrait bénéficier des ICI. 

    Cancers gastriques : le microbiote intestinal pourrait influencer la réponse au nivolumab 

    L’influence de la composition du microbiote intestinal sur la réponse à l’immunothérapie a été montrée dans certains types de tumeurs (poumon, mélanome, rein)Le microbiote a été analysé dans l’étude prospective observationnelle japonaise DELIVER, chez des patients atteints d’adénocarcinome gastrique avancé, traités par nivolumab en 2ème ligne ou plus, d’abord chez 180 patients (cohorte d’entrainement), puis les résultats observés ont été confirmés dans une cohorte de validation de 257 patients.

    L’ensemble des analyses ont retrouvé 3 facteurs associés à un meilleur contrôle de la maladie sous nivolumab : 
    - un microbiote intestinal plus diversifié
    - une invasion bactérienne des cellules épithéliales moins élevée
    - une flore enrichie en Veillonella, tandis que la présence d’Odoribacter était au contraire associée à la progression. 

    Même si cette étude n’est qu’observationnelle et ne permet pas d’affirmer un rôle prédictif, elle fournit un rationnel important et une première piste intéressante pour intégrer l’étude du microbiote dans l’analyse des facteurs prédictifs d’efficacité des ICI dans de futurs essais prospectifs. 

    Des études prospectives de validation de ces marqueurs sont nécessaires

    Au total, l’évaluation du TMB plasmatique et du microbiote intestinal pourraient à l’avenir s’intégrer dans les stratégies thérapeutiques pour sélectionner les patients atteints de cancers digestifs susceptibles de bénéficier d’une immunothérapie.

    Cependant, il apparait que le seuil de TMB dépend à la fois de la technique d’évaluation utilisée et de la localisation tumorale. L’analyse du microbiote intestinal est quant à elle une méthode complexe, dont l’interprétation manque de reproductibilité. Il reste donc beaucoup à faire dans ces domaines en termes d’harmonisation des techniques et de validation prospective de ces biomarqueurs dans des essais cliniques dédiés. 

    Enfin, d’autres biomarqueurs d’efficacité des inhibiteurs de checkpoint immunitaires sont actuellement à l’étude dans certains cancers digestifs, comme l’évaluation des structures lymphoïdes tertiaires (TLS), de l’infiltrat lymphocytaire ou de l’infiltrat macrophagique. Une comparaison des différents marqueurs, probablement en partie redondants, sera également nécessaire afin de déterminer les marqueurs les plus pertinents.

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