L'interview du week-end
Maladies respiratoires : "Le système de santé reste centré sur le curatif, pas la prévention"
Le Dr Frédéric Leguillou, pneumologue et président de Santé Respiratoire France, alerte sur l’oubli de la prévention tertiaire. Il revient auprès de Pourquoi Docteur sur les enjeux, les freins et les solutions concrètes pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladies respiratoires.
- Par Stanislas Deve
- Commenting
- brizmaker / istock
"Objectif : freiner la progression des maladies respiratoires chroniques et réduire le risque de complications." A l’occasion de son 18e colloque annuel, organisé le vendredi 24 novembre à Paris, l’association Santé respiratoire France a choisi, en 2025, de mettre l’accent sur la prévention tertiaire en santé respiratoire. Pourquoi Docteur s’est entretenu avec son président, le Dr Frédéric Le Guillou, pneumologue et allergologue.
- Pourquoi Docteur : Qu'est-ce que la prévention tertiaire en santé respiratoire ?
Dr Le Guillou : La prévention primaire vise à empêcher l'apparition des maladies respiratoires (asthme, BPCO...) en agissant sur les facteurs de risque (tabac, alcool, pollution...). La prévention secondaire cherche à détecter précocement les maladies pour en freiner l'évolution. La prévention tertiaire, quant à elle, concerne les personnes déjà malades : il s'agit de réduire les complications et les conséquences de la maladie, d'éviter les hospitalisations et d'améliorer leur qualité de vie de façon globale.
C'est cette dernière prévention que Santé Respiratoire France a choisie d'explorer, car elle touche directement le quotidien des patients. Contrairement aux autres formes de prévention, elle permet un retour sur investissement rapide, qui est mesurable en termes d'hospitalisations, de consultations non programmées ou de traitements délivrés.
La qualité de l’air intérieur est 5 à 6 fois plus polluée que l’extérieur, alors qu’on y passe plus de 80 % de notre temps.
- Quels sont les résultats de l'enquête menée par votre association ?
L'enquête, réalisée entre le 22 avril et le 31 mai 2025, a réuni les réponses complètes de 841 patients à un questionnaire de 41 questions, conçu par un conseil scientifique. Il fallait environ 15 minutes pour y répondre. Une analyse plus qualitative a également été menée avec 14 entretiens approfondis, issus de patients volontaires. Le taux d'engagement des répondants était très élevé, ce qui reflète une certaine prise de conscience.
Alors que plus de 10 millions de Français sont concernés par une pathologie respiratoire, la notion de "prévention tertiaire" est encore très méconnue. Pourtant, 60 % des sondés ont connu une aggravation de leur maladie dans l'année, dont 20 % ont été hospitalisés. Près de la moitié jugent l'accès à un pneumologue trop long, et seuls 12 % ont eu accès à un programme d'éducation thérapeutique. La réadaptation respiratoire est encore moins connue : seuls 14 % en ont bénéficié.
Par ailleurs, 14 % des patients fument toujours, malgré leur pathologie. Si certains adoptent des comportements favorables à leur santé (vaccinations, activité physique, adhérence au traitement), ils n'ont pas conscience qu'il s'agit d'actes de prévention tertiaire. Il y a un véritable déficit d'information et de pédagogie sur les enjeux de la prévention.
L'enquête souligne aussi de fortes inégalités d'accès aux soins, ainsi qu'une responsabilité trop souvent laissée aux patients, peu accompagnés dans la gestion au quotidien de leur maladie. Et ce, alors que 46 % des répondants sont en activité professionnelle : ce sont des personnes bien insérées socialement, qui ont besoin de dispositifs adaptés à leur rythme de vie.
- Quelles sont vos recommandations pour améliorer cette prévention ?
Nous préconisons trois mesures principales. D’abord, rendre le patient acteur de sa maladie, en intégrant la prévention tertiaire dans des parcours de soins réalistes, adaptés à chaque territoire. Cela passe par des outils numériques permettant de prédire les poussées, les exacerbations de la maladie (jusqu'à 3 ou 4 jours à l'avance), associés à un suivi médical. Ces applications peuvent inclure des alertes, des plans d'action, concernant par exemple la prise d'antibiotiques ou de corticoïdes. Le tout s'inscrit dans une logique de ce que l’on a appelé "Prévaction" : l'heure n'est plus à l'incantation, mais à la pratique.
Ensuite, il faut renforcer la sensibilisation des professionnels de santé pour que tout patient diagnostiqué soit informé de son parcours de soins et des dispositifs disponibles. L'émergence des "Maisons France Santé", qui doivent succéder aux Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), pourrait permettre au patient de mieux se projeter dans l’action.
Enfin, il faut rendre plus accessibles les structures de réadaptation respiratoire et d'éducation thérapeutique sur tout le territoire. Même si l'on sait qu'il n'y aura pas de création massive de lits, la réadaptation à domicile, la télé-réadaptation et les formats hybrides sont des solutions efficaces. Cela bénéficie d’ailleurs aussi aux aidants qui, souvent oubliés, doivent être intégrés à ces stratégies de prévention.
- Quelles sont les failles du système de santé actuel ?
Le système reste centré sur le curatif : plus de 7 milliards d'euros sont dépensés pour les maladies respiratoires, contre seulement 150 millions pour la prévention. Il faut revoir cette répartition et repenser l'organisation autour du patient, en allant au plus près des gens, vers les gens. Cela passe par des réformes structurelles, et donc par une volonté politique de valoriser la prévention.
- Que peut faire un patient de son côté, chez lui par exemple ?
Beaucoup de choses. Dans son domicile, par exemple, où l’on passe plus de 80 % du temps et qui est cinq à six fois plus pollué que l’extérieur, on peut améliorer la qualité de l'air intérieur (aération, entretien des ventilations, absence de moisissures) et maintenir une bonne hygiène (aspiration fréquente, surtout avec des animaux). Par ailleurs, on peut se faire vacciner (grippe, Covid, pneumocoque, DTPC, Zona), mais aussi pratiquer une activité physique adaptée, surveiller son alimentation, préserver son sommeil, ou encore rechercher un soutien psychologique en cas de besoin. Pour se renseigner, il existe des vidéos pédagogiques, comme la série RespiMove, disponible sur le site de Santé Respiratoire France.
La prévention tertiaire est probablement la porte d'entrée la plus efficace vers un système de santé préventif. Elle ne remplace pas les autres formes, mais elle les complète.
- Et quand on est atteint d’allergies respiratoires ?
25 à 30 % de la population souffre d’allergies, en majorité respiratoires. La prévention passe notamment par l'environnement : il est nécessaire d’aérer son domicile, de choisir des matériaux sains, de diversifier les plantations, y compris dans les écoles. Pour les allergiques, la désensibilisation permet de rééduquer le système immunitaire, sur une période de 3 ans minimum. Mais attention, l’observance des traitements est cruciale pour que cela soit efficace. Des outils numériques, comme l'application Drago, peuvent aider à maintenir l'adhérence au traitement, en transformant la prise quotidienne en une sorte de jeu interactif.
- La prévention tertiaire n'est-elle pas une goutte d'eau dans l'océan des maladies respiratoires ?
Au contraire, c'est probablement la porte d'entrée la plus efficace vers un système de santé préventif. Le retour sur investissement est rapide, à la fois pour le patient et la collectivité. C’est du gagnant-gagnant. La prévention tertiaire ne remplace pas les autres formes, mais elle les complète.







-1761302652.jpg)