Onco-digestif

Cancer du rectum : choix de la méthode de préservation rectale

La préservation du rectum est une problématique ô combien sensible et importante pour les patients et leurs médecins. De nouveaux protocoles permettraient de meilleurs résultats.

  • Istock/Mohammed Haneefa Nizamudeen
  • 23 Octobre 2020
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    En mai 2020 au congrès de cancérologie américain (ASCO 2020), Julio Garcia-Aguilar a présenté les résultats de l’essai OPRA évaluant deux schémas de traitement néoadjuvant total (TNT) en vue d’une stratégie de préservation rectale pour des malades ayant un cancer du bas rectum localement évolué.

    Le concept de préservation rectale est apparu il y a maintenant plus de 10 ans avec la première publication de résultats de malades traités par « Watch and wait » par l’équipe brésilienne d’Angelita Habr-Gama. Il s’agit d’une stratégie thérapeutique qui s’appuie sur l’efficacité de la radiochimiothérapie dans les cancers du bas rectum et dont l’objectif est d’éviter la proctectomie aux malades en réponse clinique complète après traitement.

    Résultats rétrospectifs prometteurs

    Les premiers résultats très encourageants voire impressionnants, issus de série rétrospectives, ont conduit nombre d’équipes à adopter cette stratégie et il existe aujourd’hui des données de cohorte mondiale de malades qui en ont bénéficié. L’analyse de ces études de cohortes internationales révèle des variations importantes des résultats oncologiques notamment du taux de progression locale pouvant concerner plus d’un quart des malades. Ce taux varie selon la sélection des malades à la prise en charge, l’extension de la maladie initiale, le fractionnement et la dose d’irradiation, les critères utilisés pour définir la réponse complète et le schéma de surveillance utilisé.

    Dans ces séries, les malades qui ont une repousse locale (regrowth) nécessitent le plus souvent une chirurgie d’exérèse non conservatrice du sphincter, Hartmann bas ou amputation abdominopérinéale. La période actuelle est marquée d’une part par l’élargissement du concept vers ce que l’on appelle désormais la préservation rectale et qui comprend d’autres approches que celle du « watch and wait » et d’autre part, la volonté de mieux évaluer et de standardiser cette stratégie qui pourrait dans l’avenir transformer la prise en charge des malades ayant un cancer du bas rectum localement évolué.

    Un essai pour essayer de trouver la meilleure stratégie de préservation

    L’objectif de l’essai OPRA était d’évaluer l’intérêt d’une chimiothérapie d’intensification en association avec la radiochimiothérapie en vue d’une préservation rectale chez des malades ayant un cancer du bas rectum localement évolué (stade II ou III) sans critères restrictifs de taille ou de marge circonférentielle prédictives. Il s’agit d’une étude prospective de phase II non comparative. Les malades étaient randomisés en deux groupes pour recevoir un TNT comprenant une chimiothérapie à base d’oxaliplatine pour 4 mois (FOLFOX ou CAPOX) soit avant la radiochimiothérapie en induction, soit après la radiochimiothérapie, en consolidation.

    Le critère principal de l’étude était la survie sans récidive à 3 ans, et l’objectif était d’atteindre un taux de 85% pour conclure à l’efficacité de chacun des bras de traitement.  La proportion de malades pouvant avoir une stratégie non opératoire (« watch and wait ») était donc évaluée parmi les critères secondaires de l’étude. Au total, 324 malades ont été inclus et randomisés, en majorité des malades ayant un cancer du bas rectum cT3/T4, avec une suspicion d’envahissement ganglionnaire pour près de 2/3 d’entre eux. Que ce soit en induction ou en consolidation, la majorité des malades a reçu une chimiothérapie de type FOLFOX et la durée moyenne de traitement était de 4 mois (8 cycles).

    Une étude négative mais qui éclaire tout de même

    Après un suivi médian de 2 ans, aucun des deux bras de traitement n’a atteint la borne d’efficacité sur le critère principal de l’étude, le taux de survie sans récidive à 3 ans (77%, intervalle de confiance [IC] 95% = 0,69-086, pour le groupe induction, et 78%, IC95% = 0,71 – 0,87 pour le groupe consolidation), l’étude est donc négative. Le taux de survie à 3 ans sans chirurgie d’exérèse était de 43% (IC95% = 0,35 – 0,54) dans le groupe chimiothérapie d’induction est de 59% (IC95% = 0,50 – 0,69) dans le groupe chimiothérapie de consolidation. Dans cette étude, l’administration d’une chimiothérapie en consolidation de la radiochimiothérapie pourrait augmenter les chances de préservation rectale. La proportion de malades de plus de 50% pouvant éviter une chirurgie lourde peut laisser rêveur

    Les caractéristiques opératoires des malades, en dehors des résultats anatomopathologiques, en particulier le taux de chirurgie conservatrice du sphincter et le taux de complications postopératoires, n’ont pour le moment pas été communiqués. Les auteurs concluent que l’administration d’un TNT pourrait favoriser la faisabilité d’une stratégie de préservation rectale. Selon eux, cette étude suggère que les résultats oncologiques d’une approche favorisant la préservation rectale après un TNT pourraient être équivalents à ceux des malades ayant une approche standard comprenant une proctectomie. Dans cette perspective, l’administration d’une chimiothérapie de consolidation pourrait être supérieure à un schéma d’induction.

    Conclusion et perspectives :

    Cette étude de phase II apporte des arguments supplémentaires sur la faisabilité d’une stratégie de préservation rectale, c’est-à-dire non opératoire, des cancers du bas rectum. Cette stratégie se pose en alternative possible à la séquence classique comportant une radiochimiothérapie préopératoire suivie d’une proctectomie avec ou sans conservation sphinctérienne.

    Il faut noter que conformément à la description initiale du watch and wait, les malades de l’essai OPRA ne sont pas sélectionnés au départ et il s’agit pour la majorité de cancers cT3/T4. C’est la réponse au traitement qui fait la sélection, et sur cet aspect, la consolidation pourrait être supérieure à l’induction ce qui bouleverse beaucoup d’idées reçues. Il faut très probablement considérer que l’allongement très important du délai entre la fin de l’irradiation et l’évaluation de la réponse, ce qui a été longtemps contesté, a pu favoriser l’augmentation du taux de réponse. Il faut aussi très certainement remettre en question le dogme selon lequel la chimiothérapie est moins efficace en tissu irradié. Cette étude apporte des arguments qui s’y opposent très clairement.

    Cette étude présente cependant plusieurs limites. Actuellement, les seules données issues d’essai de phase III sur la sécurité oncologique d’une stratégie de préservation viennent de l’essai GRECCARII. Dans cette étude portant sur des tumeurs plus petites, le taux de préservation était de 46%. Il n’y a pas dans le schéma expérimental de l’étude OPRA, la preuve que cette approche est équivalente au schéma standard. Cela reste une vraie question ce d’autant que l’étude est négative sur le critère principal, la survie sans récidive, alors que la démonstration de l’efficacité du TNT a été faite dans plusieurs essais de phase III, RAPIDO et PRODIGE23.

    Comment affirmer la réponse complète

    Une des grandes difficultés de la stratégie de préservation rectale est d’affirmer la réponse complète. La stratégie de watch and wait, contrairement au schéma de GRECCARII (5) qui se base sur l’analyse de l’exérèse locale de la cicatrice, utilise une définition clinique de la réponse complète. On peut regretter que cette définition ne soit pas détaillée dans la communication qui a été faite sur les résultats de l’essai pour le moment. Ce point, qui n’est pas consensuel, est certainement un paramètre clef du succès de la prise en charge.

    Pour la majorité des défenseurs du watch and wait, cette stratégie se pose comme une alternative à l’amputation abdominopérinéale. Dans cette étude, le taux de chirurgie d’exérèse conservatrice du sphincter n’a pas été communiqué. Cependant, on sait que la majorité des malades qui présentent une repousse locale de la tumeur après une stratégie de préservation ont une amputation abdominopérinéale. L’inversion de la séquence thérapeutique avec la chimiothérapie de consolidation allonge de façon considérable le délai entre la fin de l’irradiation et la réalisation d’une chirurgie d’exérèse potentiellement nécessaire si la tumeur n’a pas complètement répondu ou si elle repousse. L’allongement de ce délai peut compliquer la réalisation de la chirurgie et obère les chances de chirurgie conservatrice du sphincter. En d’autres termes, si le malade répond, il évite l’opération et garde son rectum, s’il ne répond pas ou si sa tumeur repousse, il perd tout et va non seulement nécessiter une chirurgie comprenant l’exérèse rectale mais aussi celle du sphincter sans possibilité de rétablissement. C’est un peu un pari à quite ou double…

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