Diabétologie
La Metformine : une reine détrônée ?
La metformine est le traitement de référence du diabète depuis des décennies maintenant. De nouvelles options thérapeutiques font leur apparition et sont recommandées de plus en plus tôt Les dernières recommandations continuent de préconiser la metformine en première ligne mais pour combien de temps ?
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La diabétologie n’a jamais été aussi pleine de nouveauté et d’espoir que ces dernières années (et on l’espère les années qui viennent). L’arrivée des analogues du GLP1, des inhibiteurs du SGLT2, des capteurs de glucose de plus en plus performants et des premières boucles fermés sur le marché sont les événements qui ont fait, qui font et qui feront encore, du traitement du diabète un domaine en expansion.
Des nouveaux traitements aux larges effets ...
Les résultats inattendus des essais de tolérance cardiovasculaire des analogues du GLP1 et des inhibiteurs ont été pour une large part impliqués dans ces bouleversements qui ont bousculés le classique pas de trois : metformine, sulfamides et insulines, qui a prévalu pendant plusieurs dizaines d’années.
Les cartes ont été rebattues : les nouveaux traitements sont plus efficaces, mieux tolérés, s’accompagnent d’une perte de poids et surtout ont montré leurs capacités à réduire le risque cardiovasculaire (et aussi rénal pour les inhibiteurs du SGLT2), particulièrement chez les patients en prévention secondaire.
... effets pris en compte dans les recommandations officielles
Ces effets, au-delà du contrôle glycémique ont ainsi amené une révision majeure de la stratégie thérapeutique du diabète de type 2 dans les récentes recommandations européennes et américaines. En effet, les analogues du GLP1 et les inhibiteurs du SGLT2 apparaissent maintenant très précocement dans la stratégie thérapeutique. Pour l’American Diabetes Association (ADA) dans la version 2020 de ces « standard of care », ces 2 classes sont recommandées au choix en 2ème ligne chez les patients avec maladie cardiovasculaire avérée ou chez les patients pour qui la perte de poids est un objectif de traitement.
La présence d’une insuffisance cardiaque ou d’une atteinte rénale font indiquer les inhibiteurs de SGLT2 préférentiellement. Cet algorithme est repris à l’identique dans la dernière prise de position de la SFD. Dans ces recommandations, la metformine garde sa place depuis longtemps acquise de traitement de 1ère intention en complément des mesures hygiéno-diététiques.
Une première place challengée
En revanche, les recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) endossées par l’European Association for the Study of Diabetes (EASD) vont plus loin en recommandant en 1ère intention, chez un patient diabétique naïf de traitement et ayant une maladie CV avérée ou même à risque cardiovasculaire élevé ou très élevé, un analogue du GLP1 ou un inhibiteur du SGLT2. La metformine n’apparait alors qu’un seconde ligne si l’HbA1c n’est pas à l’objectif.
Cette prise de position est justifiée par le fait que ces 2 nouvelles classes thérapeutiques ont prouvé de manière robuste et répétée leur efficacité sur la prévention cardiovasculaire du patient diabétique à risque, ce qui n’est pas le cas de la metformine. Cette molécule ancienne n’a, en effet, pas eu à passer l’étape maintenant obligatoire des essais de tolérance cardiovasculaire. Faut-il pourtant reléguer cette vieille dame à la seconde place ? La médecine basée sur les preuves, fortes de ces essais cliniques de grande ampleur nous disent que c’est le cas.
La metformine challengée à tort ?
La metformine, molécule d’un autre temps, (re)découverte dans un laboratoire pharmaceutique à Suresnes par Jean Sterne dans les années 50, n’a jamais eu à faire les preuves aujourd’hui exigées pour tout nouvel antidiabétique. Cependant, du haut de ses 60 ans de commercialisation, la metformine accumule des preuves indirectes, observationnelles ou plus fondamentales, qui laissent à penser qu’il serait peut-être dommageable de ne pas en faire profiter précocement les sujets diabétiques.
Il y a d’abord l’étude UKPDS qui a montré une réduction de 36% de la mortalité et de 39% des infarctus du myocarde sous metformine versus placebo. Cette étude a ses limites méthodologiques bien sûr mais elle est confirmée par une récente méta-analyse ayant inclus plus de 1 millions de sujets diabétiques et coronariens : la mortalité globale est diminuée de 33%, la mortalité cardiovasculaire de 19% et les événements CV de 17% (Han Y, Cardiovasc Diabetol 2019). De même, dans la cohorte REACH, chez 19 691 sujets diabétique avec MCV avérée, la mortalité globale à 2 ans était diminuée de 24% (p<0,001) chez les patients sous metformine par rapport à ceux sans, après ajustement et utilisation de score de propension. Dans le même sens, on notera que dans le taux d’événements du critère de jugement principal de ces grands essais cardiovasculaires récents (en général critère combiné, mortalité et évènements CV) était à chaque fois moins fréquent chez les patients sous metformine à l’inclusion que chez les non utilisateurs (Harrington JL, Current Diabetes Reports 2018).
A ces arguments, moins robuste il est vrai qu’un véritable essai randomisé contrôlé, s’ajoute également de multiples données sur les effets bénéfiques extra-glycémiques de la metformine. Les données cliniques et fondamentales s’accumulent en effet ces dernières années qui montrent un rôle bénéfique de la metformine sur l’évolution de nombreuses pathologies. On citera dans le désordre, la fibrose pulmonaire, la DMLA, la drépanocytose, le syndrome de l’X fragile, etc… Ces effets potentiels sur des maladies relativement rares ne suffisent pas cependant à justifier une première place pour la metformine. Mais celle-ci a d’autres atouts susceptibles de toucher le plus grand nombre.
La metformine, un atout dans de nouveaux domaines ?
En effet, la metformine gagne le terrain de la cancérologie avec, depuis les premières données observationnelles publiées en 2005, suggérant un effet protecteur du biguanide dans plusieurs formes de cancer, la mise en place d’essais clinique spécifiques évaluant la metformine sur la survie en sus des traitements conventionnels dans le cancer du sein, du colon, de la prostate, ….
Au-delà de cet effet anti-tumoral, la vieille dame apparait ces dernières années comme un nouveau traitement anti-âge, jouant sur de multiples tableaux (cancer, effet cardioprotecteur mais aussi neuroprotection) qui, ensemble, pourraient conduire à une amélioration de l’espérance de vie et de la qualité du vieillissement. Des données expérimentales montrent ainsi un allongement de la durée de vie chez les nématodes et la souris. Trois grands essais cliniques sont actuellement en cours pour évaluer l’efficacité de la metformine sur la mortalité et les effets du vieillissement (cancer, démence, fonction cognitive) chez des sujets prédiabétiques.
Ces effets ubiquitaires de la metformine, même si certains sont en attente de confirmation, plaident pour une utilisation large de la molécule chez les sujets diabétiques. Si on ajoute à cela sa bonne tolérance, son faible coût, son faible nombre de contre-indications véritables, il est difficile de justifier son absence de prescription précoce et sa relégation au même plan que les autres ADO dans les recommandations de l’ESC. Chez un patient avec MCV, il pourrait ainsi être proposé une bithérapie d’emblée, metformine et analogues du GLP1 ou inhibiteurs du SGLT2 afin de faire bénéficier aux patients de l’ensemble des bénéfices, potentiels ou avérés, des 2 classes thérapeutiques. Le meilleur des 2 mondes en somme.








