Psychiatrie
Stress post traumatique : l'étude des attentats du 13 novembre éclaire les mécanismes
Dans les suites des attentats du 13 novembre 2025, des scientifiques français et certains rescapés se sont unis pour mieux appréhender les répercussions d’un tel drame sur un individu et la société.
- Sergi Nunez/istock
130 morts, 413 blessés. Les attentats du 13 novembre perpétrés au Stade de France, sur des terrasses de cafés du 10e et 11e arrondissements et au Bataclan sont la pire attaque terroriste survenue dans le pays. "Il y a eu bien sûr un moment de sidération. Mais très vite, il s’est passé autre chose dans toute la société. Tout le monde voulait apporter une réponse à ce qui s’était passé. Et la science pouvait en apporter aux institutions, et plus importants encore aux victimes et à leur famille", explique le neurologue Francis Eustache (université de Caen Normandie, INSERM).
Pour y parvenir, le scientifique et l’historien Denis Peschanski ont lancé le Programme 13-novembre, un programme de recherche transdisciplinaire et longitudinal ayant pour objectif d’étudier les mécanismes de la mémoire, du stress post-traumatique et de la reconstruction après un attentat. Alors que les 10 ans du drame approchent, ces travaux portés par le CNRS, l’Inserm et l’université Paris Panthéon-Sorbonne dévoilent leurs premiers enseignements.
Plus de 4.400 heures d’entretiens pour comprendre la mémoire des rescapés
Survivants, témoins des attaques, policiers, médecins, pompiers, proches endeuillés, habitants des quartiers touchés et de trois villes témoins (Caen, Metz, Montpellier)... Près de 1000 volontaires ont confié leur vécu et leurs souvenirs des attentats aux chercheurs à plusieurs reprises au cours des 10 dernières années écoulées. "Après les 3 premières phases (2016, 2018 et 2021) d’entretiens filmés, nous sommes à 2.700 témoignages audiovisuels, soit 4.400 heures d’entretien. Le programme a déjà donné 27 thèses (dont 14 soutenues) qui explorent le drame sous des points de vue très différents : les neurosciences, la psychologie, la sociologie, l’histoire… Cela représente une immense richesse pour la recherche bien sûr, mais aussi patrimoniale", précise l’historien Denis Peschanski (CNRS, Université Paris-Sorbonne).
L’analyse de ces échanges a montré que les souvenirs des attaques évoluent au fil du temps en fonction des sentiments de la victime, mais également des récits médiatiques, politiques et collectifs entendus. Autre constat : les émotions modèlent la trace mnésique de l'événement. Plus le choc a été important, plus les souvenirs risquent d’être sélectifs et/ou fragmentés.
Le traumatisme retrouve sa place de souvenir
Un volet biomédical du programme, qui s’est concentré sur 200 participants, a aussi exploré les réseaux cérébraux impliqués dans le stress post-traumatique et la résilience grâce à l’imagerie et à des tests cognitifs. Baptisé REMEMBER, il a mis en lumière l’origine des souvenirs intrusifs qui bouleversent le quotidien des personnes souffrant de PTSD.
"On a un mécanisme d'inhibition dans notre cerveau qui permet de contrôler les intrusions qui sont des images traumatiques qui reviennent à la conscience de la personne. Et ce qu'a montré une étude publiée en 2020 dans la revue Science, c'est ce mécanisme défaillant. La personne qui souffre de stress post-traumatique ne peut plus mettre en place ces mécanismes de contrôle de la mémoire. Ce qui alimente l’ensemble des symptômes”, explique le neuropsychologue Francis Eustache.
En début d’année, une nouvelle publication a détaillé le mécanisme “inverse”. Les chercheurs sont, en effet, parvenus à détailler les mécanismes de plasticité cérébrale qui se mettent en place afin que le cerveau soit à nouveau capable de contrôler les intrusions. "Nous avons vu comment les victimes reconstruisent une autobiographie qui, progressivement, met à part le trauma. Elle ne l’oublie pas, mais elle lui rend sa place de souvenir, même si c’est un souvenir douloureux. Ces mécanismes sont très importants à comprendre, car leur compréhension va permettre de développer des psychothérapies modernes fondées sur des données scientifiques", explique le neuroscientifique.
Programme 13-Novembre : "c’était un bras d’honneur fait à Daech"
L’ensemble des personnes qui ont travaillé sur le programme 13-novembre, l’assurent, cette recherche est “unique au monde” et les avancées scientifiques faites ont aussi été portées par l’engagement de ces participants. S’il est généralement difficile dans la recherche de maintenir l’engagement des volontaires sur plus d’une dizaine d’années, celui des participants du programme 13-novembre n’a jamais faibli.
"J’avais très fort en moi cette idée que c’était un bras d’honneur fait à Daech, à des gens qui avaient fait ce qu’ils avaient fait, car ils avaient une vision obscurantiste du monde. Contribuer un tout petit peu à ce que les chercheurs créent de la connaissance, était une bonne façon de leur dire : vous n’avez pas gagné", confie Sophie, une victime directe des attentats du 13 novembre et participante à différentes études du programme, qui a témoigné lors d'une soirée organisée à l'université de Caen.
Les rescapés ont pu mettre des mots sur leur traumatisme
Au-delà des avancées scientifiques, les entretiens avec les chercheurs ont également permis aux rescapés de mettre des mots sur leurs maux. "J’avais une culpabilité du survivant énorme. J’avais besoin de donner du sens à ce qui m’était arrivé, et aussi à comprendre ce que je vivais. L’étude 1000 était le moyen pour moi de raconter ce qui m'était arrivé sans tabou. Cela m’a fait un bien fou", se souvient Stéphanie qui était au Bataclan au moment des attaques.
"J’avais plein de symptômes – comme les flashs – que je ne comprenais pas et que je ne contrôlais pas. Participer aux études 1000 et REMEMBER m’a aidé à mieux comprendre les mécanismes de la mémoire et à réaliser que les symptômes de stress post-traumatique que j’avais, allaient disparaître. C’était encourageant", ajoute-t-elle. "J’ai aussi appris que le cerveau a le droit d’oublier. Parfois, je passe des journées sans penser aux attentats, et je culpabilise. Je me dis que je manque à la mémoire de ceux qui ne sont plus là. Apprendre à accepter l’oubli et à ne pas culpabiliser a été un pas important dans ma reconstruction."
Ce travail de recherche et de reconstruction n’a pas pour objectif de se limiter aux pages des revues scientifiques. Il est également au cœur du reportage du 13 novembre : nos vies en éclats de la réalisatrice Valérie Manns, diffusé ce lundi 3 novembre à 23h20 sur France 2 après les deux premiers épisodes de la série sur l’attaque du Bataclan “Des vivants”. Ce documentaire retrace le parcours de 27 volontaires ayant participé à l’Étude 1000 en partageant des extraits de leurs entretiens filmés au cours des 3 premières phases de l’étude. Au fil des années, ils partagent leurs ressentis, leurs peurs et leur reconstruction.








