L'interview du week-end
Retour au travail après un cancer : "la moitié des femmes ne reprennent pas leur activité professionnelle comme avant"
La victoire contre un cancer du sein ne marque pas toujours la fin de la bataille. Retourner dans le monde actif peut devenir une véritable épreuve pour certaines patientes. Annabel Brourhant, responsable de l’accompagnement au retour au travail au sein de l’association HOPE, répond à nos questions sur ce défi qui s’ajoute aux difficultés physiques et mentales laissées par la maladie.

- Par Sophie Raffin
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- KatarzynaBialasiewicz
- Pourquoi docteur : le retour au travail après un cancer est-il compliqué ?
Annabel Brourhant : les chiffres parlent d’eux-mêmes. 20 % des femmes n'ont pas repris le travail 5 ans après leur diagnostic. Et une personne sur trois ne retravaillera jamais après sa guérison. C'est énorme. D’autant plus, quand on sait qu’une personne sur trois aura un cancer au cours de sa vie.
Ce qui est compliqué est de se défaire de ce qui a été notre quotidien pendant six mois, voire parfois plus longtemps pour certaines : les rendez-vous quotidiens pour la radiothérapie, la chimio et autres… Les journées étaient rythmées par toutes ces activités, par ces rencontres avec les médecins, avec les infirmières, etc. Quand tout d'un coup, tout s'arrête, c'est un peu la panique. Il n’y a plus de repère et on se retrouve complètement dans le vide. La plupart des femmes qui arrivent chez notre association HOPE sont perdues. Beaucoup souffrent de dépression. Certaines ont perdu leur estime de soi. Elles n'ont ni l'envie, ni l'impulsion de repartir dans une vie active. HOPE a été créé pour les aider à retrouver cette impulsion et à rebondir après leur cancer. Elles rencontrent d'autres femmes qui ont vécu le même parcours et peuvent aussi participer à des séances d’équithérapie. Cela les aide à reprendre confiance en elles et dans leurs interactions avec les autres.
C’est important, car reprendre une activité et retrouver une vie sociale permettent d'oublier qu’on a été malade et aussi de replonger dans un quotidien où on ressemble aux autres.
Après cancer : "Ne pas être capable de reprendre le rythme est l’une des premières craintes exprimées"
- Quelles sont les craintes exprimées par les femmes avant leur retour au travail ?
En premier lieu, elles craignent de ne plus être en capacité physique de faire leur travail, car la bataille contre le cancer fatigue énormément et abîme l’organisme. Et cela peut être d’autre plus compliqué qu’il n’y pas souvent de signes extérieurs du combat mené une fois les traitements passés.
Ne pas être capable de reprendre le rythme est l’une des premières craintes exprimées. Mais il y a aussi d’autres questions plus complexes et personnelles : "Est-ce que j'ai toujours envie de faire ce que j'ai fait ?", "Est-ce que j'ai toujours envie de courir à 100 à l'heure ?", "Est-ce que j'ai toujours envie d'être dans ces réunions sans fin ?". De vraies questions existentielles se posent. Le cancer chamboule beaucoup de choses. Il faut du temps pour l’absorber, mais très fréquemment les priorités sont resserrées à l’essentiel. Je dirais ainsi que presque la moitié des femmes ne reprennent pas leur activité professionnelle telle qu'elles l'avaient auparavant. Généralement, elles changent pour un métier au plus proche de ce qu'elles sont, elles. Très souvent, elles se tournent vers des activités centrées autour de l'aide aux autres.
Il y a aussi beaucoup de femmes qui n’osent pas dire à leur travail qu'elles ont été malades et qu'elles ont eu un cancer, car le mot cancer est encore tabou dans notre société. Elles ont peur de perdre leur poste, d’être remplacées, du regard des autres… Devoir cacher la maladie, c’est pire que tout. Lorsqu'on sait qu'une personne sur trois sera touchée par un cancer, ça fait peur. On devrait pouvoir parler librement avec nos collègues, nos supérieurs et nos DRH, etc.
- Quels conseils donneriez-vous à une femme qui a ou a eu un cancer du sein pour que son retour dans le monde actif se passe bien ?
Il est important d’avoir des entretiens avec les DRH ainsi qu’avec son supérieur. Il faudrait même pouvoir leur parler des aménagements possibles au sein de la société dès l’annonce du diagnostic. Anticiper permet d'éviter les craintes du retour au travail.
Je conseillerais également, avant de reprendre le travail, de se tourner vers des associations. Elles permettent de rencontrer des gens qui ont traversé le parcours de la maladie et avec lesquels il est possible d’échanger et de parler de tout sans tabou. Ça aide à trouver l'impulsion pour repartir.
Prendre un coach ou consulter un psychologue pour exprimer tout ce qu’on a besoin d’exprimer avant de repartir dans la vie active peut aider aussi. Il ne faut pas avoir honte de demander de l’aide. Il est essentiel d’apprendre à dire les choses… que cela soit “je vais bien” ou “je ne vais pas bien”. - Que peuvent faire les employeurs pour aider leur employée malade à reprendre le travail ? Je trouve que les employeurs devraient mettre un peu plus d'aide et de souplesse dans leur organisation. Par exemple, si une femme a besoin, par volonté de ne pas couper les liens avec la société, de reprendre avec un mi-temps thérapeutique ou alors en télétravail, de laisser ces portes ouvertes. J'ai rencontré des femmes qui ont par exemple demandé à leur DRH de continuer à participer aux réunions en visio. Cela leur permettait de se dire “oui, je peux retourner à une vie normale”. Je pense qu'il faut laisser à chaque personne la possibilité d'être elle-même. Si elle dit, j'ai besoin d'un peu plus de temps avant de retourner au travail, c'est son choix. Si elle a envie de reprendre le travail - à partir du moment où elle est en capacité – il faut la soutenir dans sa démarche. Le tabou autour du cancer, mais aussi des pathologies chroniques dans le monde professionnel est un vrai problème. Les entreprises devraient organiser des meetings pour échanger sur la maladie et la santé sans tabou ainsi que sur les aménagements possibles. Ainsi, si le jour se présente, que cela soit pour le salarié, les collègues ou la direction, l’annonce de la maladie est moins compliquée, tout comme le retour. Finalement, mes recommandations, c'est “s'adapter”, “être compréhensif” et “libérer la parole”. - Comme vous l’avez dit, le cancer reste un sujet tabou dans notre société. Quels conseils donneriez-vous aux salariés dont un collègue souffre d’un cancer ? Il ne faut pas hésiter à aborder le sujet. Je me rappelle quand j’étais malade, certains de mes amis demandaient de mes nouvelles par des intermédiaires disant qu’ils n’osaient pas me voir ou me parler. Cela a été très difficile à vivre. Il faut rester le plus naturel possible – car la fausse-compassion, c'est horrible aussi – et oser demander simplement : "comment vas-tu ?", "Est-ce que tu as fini tes traitements ?", "Est-ce que tu as besoin de parler ?", ou tout simplement dire "si tu as besoin, je suis là pour toi". Il ne faut surtout pas faire comme si ça n'existait pas. Il n’y a rien de pire. Reprendre son poste ou une autre activité - puisque comme on l’a vu certaines femmes changer de vie après le cancer - est fondamental, je pense. Cela aide à ne pas rester dans l’autocompassion où on ne sort pas du cercle infernal de la maladie. C'est difficile parce que l’entourage n’a pas conscience que le cancer est entré dans notre vie et y restera. Mais c’est essentiel de retrouver une activité, car ça nous replace dans la vie."Les entreprises devraient organiser des meetings pour échanger sur la maladie et la santé sans tabou"
Cancer et travail : "Il ne faut pas hésiter à aborder le sujet"