Médecine générale
Covid-19 : Inès, une jeune femme libre mais déprimée
Paradoxalement, ne pas se vacciner est pour certains le seul moyen de garder un petit espace de liberté face aux nombreuses restrictions qu’ils subissent. Mais c’est une liberté parfois chèrement acquise.
- fizkes/istock
Inès est une jeune femme sérieuse de 22 ans qui vient de trouver son premier travail. Elle est venue me consulter pour des douleurs cervicales d’allure franchement fonctionnelles et survenant dans un contexte difficile.
L’approfondissement de l’interview révèle un syndrome dépressif modéré, au-delà de ce que l’on voit habituellement lors d’un syndrome de deuil. Car Inès vient de perdre son père de la Covid-19, alors que sa mère est morte l’année dernière. Tous les 2 n’étaient pas vaccinés.
Une jeune femme de son temps
Inès non plus n’est pas vaccinée. Ce n’est pas par option politique, religieuse ou culturelle. Inès est d’origine musulmane, mais cela n’a pas interféré dans son choix. Elle n’a pas non plus d’idées politiques très arrêtées et n’est en rien une « libertarienne » convaincue. Mais en a simplement assez qu’on lui dise quoi faire depuis 18 mois.
Elle ne lit pas beaucoup les journaux et ne regarde pas les infos à la télévision. Elle écoute un peu la radio de temps en temps mais préfère la musique en streaming. Elle va bien sûr sur les réseaux sociaux. Une jeune femme de son temps.
Trop de contraintes
Sur ses réseaux sociaux favoris, elle a bien sûr vu passer divers post ou vidéos sur la dangerosité supposée des vaccins. Elle a pris ces informations avec réserve et n’a pas vraiment cherché à les infirmer ou les confirmer. Si cela a instillé en elle un doute sur les conséquences à long terme de ces vaccins « développés trop vite », cela n’a pas véritablement déclenché un sentiment anti-vaccin.
Non, Inès, comme beaucoup de jeunes de sa génération se méfie des discours des institutionnels et en a assez des contraintes. Elle a douloureusement vécu le 1er confinement qui l’a beaucoup gênée pour trouver son premier emploi. Après un an de recherches difficiles, elle a enfin débuté un premier CDI et n’entend plus se faire dicter sa conduite par qui que ce soit.
Un espace de liberté
Va-t-elle désormais se faire vacciner ? Elle considère que ce n’est pas une priorité à son âge. Ce n’était pas non plus un sujet de discussion avec ses parents. Pour elle, ne pas se vacciner est donc plutôt la préservation d’un petit espace de liberté, un choix d’indépendance par rapport aux nombreux diktats que l’époque et le coronavirus nous imposent.
Est-ce que le pass sanitaire finira par l’amener à se vacciner ? Peut-être. Pour le moment sa société lui accorde de télétravailler en permanence, mais elle devrait en avoir assez des nouvelles restrictions que celui-ci impose. Il est aussi possible qu’elle admette que la vaccination est importante pour la liberté de tous.
Des cas particuliers
Après quelques explications rassurantes sur ses douleurs cervicales, le lui ai prescrit des antalgiques, un peu de rééducation et j’ai fait une lettre pour une consultation de psychiatrie. Mais j’ai eu l’impression de ne lui rendre service qu’à moitié.
Alors je lui ai dit de revenir me voir d’ici quelques temps, même sans douleurs. Je lui ai dit de revenir me voir pour parler d’elle et de sa liberté, si elle le souhaite, et répondre à ses questions sur la vaccination...
A l’heure où la France a rattrapé son retard avec plus de 70% de premières injections, il ne faut pas tomber dans le piège de mettre tous les non-vaccinés dans le même panier. Ce ne sera qu’une succession de cas particuliers à accompagner avec bienveillance dans la majorité des cas… mais quelle quantité invraisemblable de temps les « gourous narcissiques », les « anti-Vax » et les réseaux sociaux nous auront fait perdre !








