Témoignage

Journée mondiale du Lupus : ”Que l’on soit en jean ou en robe à paillettes, on a toujours un corps douloureux”

Le 10 mai sera la journée mondiale du lupus. Cette maladie auto-immune apporte d’importantes douleurs articulaires, une grande fatigue et une myriade de troubles qui impactent tous les aspects du quotidien, et très souvent ces difficultés sont invisibles aux yeux des autres. C’est pourquoi Ludivine Iyer, diagnostiquée quand elle avait 23 ans, a décidé de se confier sur sa pathologie.

  • Ludivine Iyer
  • 09 Mai 2025
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    Alors qu’elle avait tout juste 23 ans, Ludivine a commencé à ressentir des petites douleurs, de la fatigue et d’autres signes un peu étranges. Mais, comme tous les étudiants qui jonglent entre les cours, les révisions et les examens, elle a mis ses petits désagréments sur le stress.

    Puis la veille des fêtes de Noël, entre les articulations douloureuses, les migraines reflux gastro-œsophagien, la bouche pâteuse, l’impression d’avaler du verre, la femme originaire d’Alsace n’en pouvait plus. "J’avais très mal, j’étais au bout du rouleau. Mon médecin traitant était absent donc j’ai pris rendez-vous avec sa remplaçante. Après lui avoir expliqué mes symptômes, elle m’a dit : Je pense savoir ce que vous avez, mais je ne suis pas spécialiste. Je préfère vous confier à un médecin compétent. Et, elle m’a pris rendez-vous avec le Pr Sibilia, spécialisé en immunologie", se souvient-elle.

    C’est cette rencontre qui a permis à Ludivine de mettre des mots sur ses troubles.

    Lupus : "Les maladies auto-immunes arrivent généralement en cohorte"

    Dans un premier temps, le professeur a révélé que Ludivine souffrait d’un syndrome de Gougerot-Sjögren, une maladie auto-immune systémique touchant les glandes salivaires et lacrymales. Cette dernière, aussi surnommée syndrome sec, entraîne une sécheresse oculaire et buccale. Mais d’autres symptômes, ne collant pas avec la maladie, sont apparus par la suite. Les examens supplémentaires ont alors montré que la jeune femme souffrait d’un lupus.

    "Il faut savoir que les maladies auto-immunes arrivent généralement en cohorte. Quand on m’a aussi diagnostiqué un syndrome de Raynaud, je reconnais que je me suis demandée quand ça allait s’arrêter", explique la patiente.

    "Si le syndrome de Gougerot-Sjögren a été le premier à être repéré, c’est surtout le lupus qui m’a beaucoup embêté. J'ai eu des squames sur les joues en forme de masque vénitien, des rougeurs douloureuses sur le corsage, des engelures aux pieds, des crevasses aux mains, des douleurs très fortes, des migraines, des phlébites, une perte de poids, une sécheresse oculaire…"

    Lupus : "On vit avec une épée de Damoclès sur la tête"

    Les causes du lupus sont mal connues. Mais pour Ludivine, elles pourraient bien se trouver dans son ADN. "Normalement le lupus n’est pas héréditaire, mais la loterie de la génétique nous a apporté son lot de surprises du côté maternel. Les maladies auto-immunes y sont bien présentes", confie la femme qui aura 45 ans le mois prochain. Si sa grand-mère – qui présentaient plusieurs symptômes distinctifs du lupus - n’a jamais pu être diagnostiquée, sa mère l’a été quelques temps après Ludivine, et surtout après des années de douleurs inexpliquées. Et la maladie a été particulièrement agressive chez elle.

    "Maman a fait une poussée de lupus d’une extrême violence : néphropathie, péricardite, reflux gastro-œsophagien, syndrome sec très invalidant. Puis quelques temps après, elle a développé un lymphome, une suite possible du lupus. Elle est décédée en six mois. Le lupus a été découvert tardivement chez ma mère, mais il a été d’une violence extrême. Il a tout ravagé sur son passage", se souvient Ludivine.

    "Ma cousine a également été diagnostiquée avec un lupus. Il a été bien jugulé par corticothérapie, mais elle a développé assez rapidement une atteinte rénale sévère et des complications oculaires. En février l’année dernière, elle a eu un AVC hémorragique sévère. On eu peur de la perdre."

    Face à son histoire familiale, Ludivine a réalisé que le lupus la conduit à "vivre avec une épée de Damoclès sur la tête". Toutefois, elle peut compter sur l’aide de son mari et de son fils de 10 ans pour affronter ses troubles.

    "J’ai beaucoup de chance, car j’ai un mari extrêmement aidant. S’il y a quelqu’un à admirer, c'est mon mari. Mes douleurs se manifestent principalement la nuit. Je suis obligée de me lever et de me mettre en mouvement, de mettre du chaud sur mes douleurs. Il est toujours là pour me tenir la main, me dire un mot gentil. Il a de très courtes nuits à cause de mon lupus. Les aidants sont vraiment essentiels."

    Lupus : "La fatigue nous éteint"

    En plus de la douleur, l’un des symptômes les plus difficiles à gérer au quotidien pour Ludivine est la fatigue. "Cela impacte tout : la vie sociale, la vie amicale, la vie parentale, la vie familiale, la vie de couple, la vie professionnelle… La fatigue nous éteint", explique-t-elle.

    Repas entre amis, sorties… "J’ai dû apprendre à dire non. J’ai, en effet, été obligée de décliner certaines invitations, car j’étais malade ou fatiguée. Cela n’a pas toujours été bien compris par tout le monde. Mais j’ai un petit noyau amical sincère et qui comprend."

    Si Ludivine a pu profiter de la grande adaptabilité de ses proches et de sa famille, il a été plus difficile pour l’ancienne bibliothécaire de concilier maladie et travail. "Je vivais une vie de bibliothécaire épanouie. J’étais passionnée par ce que je faisais, j’étais formatrice et chargée de cours à l’université. Je n’avais pas peur de prendre ma voiture, de faire des kilomètres et de porter des sacs de livres. Je participais à des colloques et à des recherches universitaires. J’ai vraiment eu une vie professionnelle épanouie pendant de longues années". Mais au fur et à mesure que les troubles et les douleurs se sont faits plus présents surtout au cours de ces dernières années, tenir ce poste a été de plus compliqué.

    Des difficultés parfois ignorées par l'entourage professionnel

    "J’ai fait l’objet d’un reclassement professionnel il y a 3 ans. Je suis devenue assistante de direction dans un théâtre. Sur le papier, c’était parfait. Cependant, au final, je me suis rendue compte que l'événementiel était un univers peu adapté à ma maladie. C’est très stressant, on travaille le soir, il n'y a pas vraiment d’horaires, il y a beaucoup d'escaliers. La vie d’un théâtre, c’est un vrai bouillonnement… et c’est épuisant pour les personnes qui ont des maladies auto-immunes comme moi", reconnait Ludivine.

    C’est d’autant plus ardu que les difficultés ne sont pas toujours perçues par l’entourage professionnel. "Dans l’univers de l'événement, on est très souvent bien habillé et apprêté, donc les gens n’imaginent pas que je suis malade. Mais que l’on soit en jean ou en robe à paillettes, on a toujours un corps douloureux."

    Il y a bien sûr eu plusieurs tentatives de la médecine du travail et de l’employeur pour adapter le poste, mais cela n’a pas suffit. "J’ai creusé ma fatigue et j’ai enchaîné les poussées", explique l’ancienne bibliothécaire. "En plus, je n'ai pas eu de chance : à la même époque, j’ai dû subir 4 interventions chirurgicales en à peine 8 mois, alors qu’on laisse normalement 3 mois entre chaque intervention. La fatigue s’est accumulée, le corps s’est épuisé. Je suis actuellement en congé longue maladie."

    "Il faut communiquer davantage sur les handicaps invisibles dans le monde du travail"

    "Carl Jung dit que la maladie n’arrive jamais par hasard, qu’elle nous fait prendre des trajectoires de vie différentes. Je pense qu’il y a de ça, en effet"
    . Et la nouvelle trajectoire pour Ludivine pourrait passer par le partage de son expérience et aider les autres malades. Elle vient de déposer sa candidature pour intégrer la formation de patient expert à la Sorbonne. "La commission pédagogique va se réunir au mois de mai". Elle prévoit également avec l’accord de tous ses médecins, de commencer une formation de relation d’aide et de soins relationnels dans une visée de reconversion.

    "Je vais avoir besoin de temps, je le sais. Mais je vais le prendre. Même si cela débouche finalement sur une invalidité. Il faut accepter de se retrouver à un moment en situation de vulnérabilité pour peut-être mieux rebondir. Ces nouvelles expériences sont singulières, mais elles sont aussi source de force et de motivation."

    Si Ludivine commence à envisager une nouvelle trajectoire, elle appelle toutefois à une meilleure prise en compte des salariés touchés par des maladies invalidantes dans le monde du travail."De manière générale, il y a des progrès à faire au niveau professionnel. Il faut communiquer davantage sur les handicaps invisibles dans le monde du travail, notamment en informant et formant davantage les employeurs.""On peut travailler avec un lupus ou une maladie auto-immune, il faut juste des postes adaptés à nos capacités", ajoute-t-elle.

    "Cette journée du lupus est un cadeau : elle rend visible une pathologie qui est invisible"

    Ce samedi 10 mai est la journée mondiale de sensibilisation au Lupus. "Pour moi, cette journée est importante, et elle le sera d’autant plus cette année que le 9 mai, c’est l’anniversaire du départ de maman décédée des suites d’un lupus. Je pense à elle qui n’est plus là pour voir les avancées. Elle m’a toujours demandé de me battre pour faire connaître cette maladie pour qu’il n’y ait plus personne qui partent dans les mêmes conditions qu’elle. Ainsi, cette journée du lupus est un cadeau : elle rend visible une pathologie qui est invisible, pour la plupart des gens."

    Et pour les personnes qui viendraient d’apprendre qu’elles ont un lupus, Ludivine a quelques conseils pour limiter les troubles : veiller à avoir une vie saine, manger équilibré en évitant au maximum les produits ultra-transformés, se tourner vers l’activité physique adaptée qui "fait du bien au moral, physiquement et protège les articulations" ainsi que vers la méditation.

    Elle ajoute aussi : "Les ateliers d’éducation thérapeutique sont utiles aussi, même si on croit connaître sa maladie. On apprend toujours quelque chose sur la pathologie, et sur le plan humain, c’est bénéfique aussi. Boire un café avec quelqu’un qui a la même maladie, cela fait du bien. On n'a pas besoin de beaucoup de mots pour se comprendre."

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    JDF