Psychiatrie

Dépression résistante : une étude valide l’intérêt d'un psychédélique synthétique

Une dose unique de 25 mg de psilocybine synthétique procure une réponse rapide et sur au moins 12 semaines avec 37% de dépressions résistantes à au moins 2 antidépresseurs, voir 3, 4 ou 5. La comparaison aux autres traitements est désormais nécessaire.

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  • 04 Nov 2022
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    Selon une nouvelle étude de phase 2, randomisée versus placebo, publiée dans The New England Journal of Medicine, une dose unique d'un composé synthétique de la psilocybine, une molécule hallucinogène naturellement présente dans les « magic mushrooms », permet d'atténuer rapidement les symptômes dépressifs chez les personnes souffrant d'une forme résistante au traitement de dépression.

    Il s’agit du plus grand essai clinique randomisé en double aveugle sur les psychédéliques dans la dépression résistante. Il montre une réponse rapide et soutenue avec une dose unique de 25 milligrammes d'une psilocybine synthétique, le COMP360, qui a été administrée en présence de thérapeutes formés à la gestion des effets du « trip ». Les résultats ne semblent pas durer au-delà de 3 mois et des tentatives de suicides ont été observées

    37% de patients améliorés selon l’échelle MADRS

    Dans cette étude, la gravité de la dépression a été évaluée la veille du traitement à l'aide de l’échelle MADRS. Des conseillers formés pour offrir un soutien psychologique étaient présents pendant les « trips » psychédéliques, qui ont duré entre six et huit heures. Les participants ont également reçu deux séances de psychothérapie supplémentaires au cours de la première semaine.

    Les niveaux de dépression ont été documentés le jour suivant le « trip » et à cinq autres occasions sur une période de 12 semaines. Environ 37% des personnes ayant pris la dose de 25 milligrammes montrent une amélioration. En fait, 29% sont considérés comme étant en rémission à la troisième semaine.

    L'incidence d’une réponse soutenue à la semaine 12 est de 20% dans le groupe de 25 mg, de 5% dans le groupe de 10 mg et de 10% dans le groupe de 1 mg (groupe contrôle). Cependant, à la semaine 12, l'impact positif sur les symptômes dépressifs diminue et n'atteint plus la significativité statistique.

    Étude randomisée en double-aveugle

    Les 233 patients de l'étude souffraient de dépression résistante au traitement, définie par une absence de réponse à au moins deux traitements antidépresseurs classiques. L'essai clinique randomisé et en double aveugle a comparé les résultats d'une dose de 25 milligrammes à une dose de 10 milligrammes et une d'un milligramme d'une psilocybine synthétique administrée en présence de thérapeutes formés.

    L'effet maximal a été observé le jour suivant l'administration du traitement. Cet effet très rapide contraste avec les antidépresseurs classiques, qui mettent plusieurs semaines à atteindre leur effet maximal. Si le profil de sécurité semble globalement encourageant, une grande prudence est de mise lors de l'utilisation de substances psychoactives telles que la psilocybine, d’autant que certains patients ont déclaré des pensées suicidaires après la prise.

    Un « wash-out » du traitement antidépresseur de 3 semaines

    Les psychédéliques ne fonctionnent pas chez les personnes qui prennent déjà des antidépresseurs sérotoninergiques, les récepteurs où se fixent également les psychédéliques dans le cerveau étant inondés de sérotonine par le traitement antidépresseur classique.

    Les participants à l'étude qui prenaient des antidépresseurs ont donc dû arrêter ces médicaments avant le début de l'essai. Il leur a été demandé de ne pas prendre d'antidépresseurs pendant les trois premières semaines suivant l'administration de la psilocybine de synthèse expérimentale. Cependant, les antidépresseurs classiques pouvaient être repris à tout moment pendant l'essai si un médecin investigateur le jugeait cliniquement nécessaire.

    Des effets indésirables à bien analyser

    Des maux de tête, des nausées, de la fatigue et des vertiges ont affecté 77% des participants à l'étude et sont apparus à tous les niveaux de dosage, ce qui, selon les experts, est une réponse typique le jour de l'administration de la psilocybine.

    Un petit nombre de personnes dans les trois groupes de dosage ont eu des pensées suicidaires ou ont fait une tentative de suicide au cours de la période de suivi de 12 semaines. Au cours des trois premières semaines seulement, deux personnes du groupe 25 milligrammes ont pensé au suicide et deux se sont mutilées intentionnellement. Deux personnes du groupe 10 milligrammes ont eu des pensées suicidaires, une s'est blessée et une a été hospitalisée pour dépression sévère.

    Ces phénomènes ne sont pas inhabituels dans ce type de dépression et les chiffres sont assez faibles dans cette étude, mais il faudra en tenir compte d’après les experts, car il s'agit de personnes qui n'étaient pas considérées comme ayant un risque important de suicide lorsqu'elles ont été inclues dans l'essai.

    Des dépressions difficiles à traiter

    La dépression résistante est une maladie difficile à traiter, comme l'a montré l'essai STAR*D (Sequenced Treatment Alternatives to Relieve Depression) où l'incidence de la rémission diminuait progressivement entre le premier traitement antidépresseur (36,8%), le deuxième (30,6%), le troisième (13,7%) et le quatrième (13,0%).

    On considère généralement que l'échec de deux traitements définit un groupe de patients souffrant de dépression résistante au traitement. Ces patients ont une gravité et une durée de la maladie, une incapacité, des incidences d'hospitalisation, un risque de suicide et des coûts économiques plus importants que les patients souffrant de dépression répondant au traitement.

    En pratique

    Dans un éditorial associé, le taux de réponse pour un traitement psychédélique a été considéré comme prometteur pour un traitement de 3ème ligne, voire de 4ème ou 5ème ligne pour certains patients. Cette étude de phase 2 confirme les études pilotes précédentes, mais l’efficacité de la psilocybine n’y est pas spectaculaire, en dehors de sa rapidité, du fait de la moindre magnitude numérique du taux de réponse par rapport à d’autres études. Par ailleurs, l’aveugle de l’étude peut être mis en doute du fait des propriétés hallucinogènes de ce produit, hallucinations totalement imprévisibles, mais qui ne sont pas les mêmes aux doses de 25 et de 10 mg. L’éditorial pose également la question de l’accessibilité aux produits hallucinogènes dans la société et interroge sur la possibilité dans l’avenir d’une crise identique à celle des opioïdes que l’on connaît actuellement dans la douleur.

    Enfin, cette large étude de phase 2, « dose-ranging », ne répond pas bien-sûr à la question de l’efficacité de la psilocybine par rapport aux autres traitements médicamenteux ou non médicamenteux existants dans la dépression sévère. On attend les prochaines études comparatives avec impatience.

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    JDF