Gynéco-obstétrique
Grossesse et antiacides : les IPP majorent le risque infectieux jusque dans le post-partum
La prise d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) avant la conception ou au 1er trimestre de la grossesse serait associée à une augmentation du risque d’infections aux 2e et 3e trimestres et en post-partum. Chez les femmes enceintes, la prescription d’un IPP doit être évaluée chez les femmes à risque d'infection, en privilégiant une durée minimale et des mesures hygiéno-diététiques.

- AndreyPopov/istock
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) figurent parmi les dix médicaments les plus consommés, avec un recours croissant chez l’adulte jeune. La grossesse, où le reflux gastro-œsophagien touche jusqu’à 80 % des femmes aux 2e et 3e trimestres, favorise leur prescription. Or l’hypochlorhydrie induite peut modifier le microbiote gastro-intestinal et certaines fonctions leucocytaires, suggérant une vulnérabilité accrue aux infections. Dans un registre national suédois rassemblant 1 509 102 grossesses uniques (accouchements 2006–2019), 42 293 (2,8 %) femmes ont été exposées à un IPP entre J-90 avant la date des dernières règles et la fin du 1er trimestre.
Selon les résultats publiés dans The Lancet Obstetrics, Gyaecology,& Women’s Health, le critère principal combinant « toute infection » survenant du 2e trimestre à J+90 post-partum est plus fréquente chez les femmes exposées à un IPP : risque relatif (RR) ajusté 1,26, IC à 95 % 1,25–1,27. Les infections « légères » repérées par délivrance d’antimicrobiens (RR 1,30, 1,28–1,33) et les infections modérées à sévères codées en soins (RR 1,36, 1,33–1,38) étaient également augmentées, de même que les complications obstétricales liées à l’infection (RR 1,09, 1,06–1,12).
Un profil de risque différencié
Le sur-risque concerne tant les causes virales (RR 2,07, 1,92–2,23) que bactériennes (RR 1,43, 1,40–1,47). Par localisation, le signal serait maximal pour les infections digestives (RR 2,09, 1,96–2,23), cohérent avec un microbiote altéré sous hypochlorhydrie. La hausse de prescriptions d’IPP sur la période (1,5 % des grossesses en 2006 versus 3,4 % en 2019) suggère une banalisation d’usages parfois hors AMM, notamment en cas de reflux laryngopharyngé mal caractérisé.
Aucune alerte spécifique de sécurité médicamenteuse n’a été rapportée au-delà de ce surrisque infectieux populationnel ; toutefois, chez des patientes à susceptibilité accrue (ATCD d’infections, comorbidités), l’équilibre bénéfice-risque peut devenir défavorable. Ces résultats, bien que observationnels, convergent avec la littérature générale associant IPP, dysbiose et infections, et rappellent que la plupart des indications digestives justifient 2 à 12 semaines de traitement, avec stratégies de désescalade et relais à la demande.
Un médicament trop prescrit par rapport au signal infectieux
L’étude est un couplage de registres nationaux (registre des naissances, prescriptions, hospitalisations, base socio-professionnelle), incluant grossesses uniques, hors maladies infectieuses chroniques et antécédents de chirurgie abdominale. L’exposition aux IPP reposait sur au moins une délivrance d’IPP (ATC A02BC) dans la fenêtre préconceptionnelle/1er trimestre ; les évènements infectieux provenaient des délivrances d’antimicrobiens et des diagnostics CIM-10 en ambulatoire ou hospitalier, complétées par des complications obstétricales.
Les RR ajustés dérivent de modèles log-binomiaux intégrant âge, IMC et tabagisme en début de grossesse, niveau d’éducation, pays de naissance et comorbidités. La taille d’échantillon confère une puissance élevée et la validité externe d’un système de santé national ; néanmoins, demeurent des biais d’indication, une possible classification imparfaite de l’exposition (automédication en vente libre) et des facteurs de mode de vie non mesurés, imposant une lecture prudente des causalités.
Selon les auteurs, il convient de peser l’indication d’un IPP juste avant ou pendant la grossesse, de privilégier mesures hygiéno-diététiques et antiacides/alginate en première intention, de limiter la durée et de programmer une réévaluation systématique. Chez les patientes à risque infectieux, discuter les alternatives, le « step-down » et le sevrage planifié. En recherche, des études mécanistiques longitudinales du microbiome maternel, des analyses dose-réponse et temporelles (molécule, dose, durée, fenêtre d’exposition), et des essais pragmatiques de désescalade sont prioritaires, afin de préciser quels sous-groupes tirent un bénéfice net d’un IPP pendant la grossesse.