Pédiatrie

Enfants et pollution : des vulnérabilités spécifiques qui peuvent être gérées

La pollution environnementale pose un risque spécifique pour les enfants du fait de leurs vulnérabilités particulières. Mieux protéger les enfants dans les contextes difficiles peut s’appuyer sur l’expertise des ingénieurs environnementaux.

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  • 05 Jul 2022
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    « L’environnement est un déterminant majeur de notre santé. » C’est sur ces mots que s’ouvre le quatrième et actuel Plan national santé-environnement (PNSE4). Cette affirmation s’applique à la population générale, et tout particulièrement aux populations les plus sensibles. C’est notamment le cas des enfants, qui présentent des vulnérabilités spécifiques face aux pollutions environnementales. Cet article vise à mieux comprendre cette problématique et a été rédigé par Guillaume Karr, ingénieur-expert en santé environnementale et auteur du blog Santé des enfants et environnement.

    Impact sanitaire des pollutions environnementales

    Quantifier précisément l’impact sanitaire des pollutions environnementales est un exercice complexe [1], notamment à cause du grand nombre de substances artificielles produites (entre 100 et 150 000 sur le marché européen) et des limites de nos connaissances sur leurs effets [2,3]. Néanmoins, les évaluations existantes indiquent que les enjeux sanitaires sont majeurs. Par exemple :
    • Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les facteurs environnementaux sont responsables de près de 20 % de la mortalité en Europe [4].
    • Selon un rapport de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) daté de 2022 [5], « l’exposition à la pollution provoque 10 % des cas de cancer en Europe ».
    • D’après l’OMS [6], les causes environnementales sont directement responsables d’environ 14 % de la mortalité en France, soit environ 75 000 décès par an [7].

    En outre, les pollutions environnementales constituent des facteurs de risques pour une large gamme des pathologies, non spécifiques. Par exemple [4] : cancers, pathologies respiratoires, maladies cardiovasculaires, allergies, diabète, asthmes, obésité, etc.

    Certaines populations s’avèrent plus vulnérables aux effets des pollutions environnementales. En particulier, les jeunes enfants font l’objet de fortes préoccupations. L’impact sanitaire correspondant commence à être évalué de manière quantitative. Par exemple, une expertise européenne datée de 2019 [8] conclut à un impact de 211 000 DALY par an (disability-adjusted life-years, années de vie en bonne santé perdues) pour les enfants, en ne considérant pourtant que sept facteurs environnementaux : particules fines, ozone, fumée secondaire, humidité, plomb, formaldéhyde. Ce fort impact estimé est notamment dû aux vulnérabilités spécifiques des enfants.

    Vulnérabilités spécifiques des enfants

    Fenêtres de vulnérabilités

    Pour un même niveau d’exposition à des substances préoccupantes, les dommages peuvent être bien plus forts pendant certaines périodes du développement du corps de l’enfant. Ces périodes sont appelées « fenêtres de vulnérabilité » [9,10]. Pendant ces périodes, même de faibles expositions peuvent conduire à des effets graves et irréversibles.

    En effet, la construction du corps humain s’appuie sur des processus extrêmement sensibles, qui peuvent être facilement perturbés. Le cas échéant, le fonctionnement de certains organes et systèmes peut être altéré, parfois de façon pérenne [11–14], en particulier le cerveau et les organes reproducteurs.

    Surexpositions

    D’une manière générale, relativement à leur masse corporelle, les enfants respirent plus (même au repos), boivent plus et mangent plus que les adultes [15–17]. Par conséquent, leurs expositions aux substances préoccupantes sont plus élevées. Ainsi, d’après le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) [18], « on observe, lorsque les expositions pour les enfants et les adultes sont disponibles et comparables, une surexposition significative des enfants, pour la quasi-totalité des substances examinées. »

    Dans le même ordre d’idée, la surface de la peau des enfants est plus grande que celle des adultes, toujours relativement à leur masse corporelle. Compte tenu aussi que leur peau présente souvent plus d’éraflures, les expositions par voie cutanée pourraient également être plus préoccupantes chez les enfants.

    Besoin de la protection des autres

    Enfin, les jeunes enfants peuvent manquer des capacités cognitives et de l’expérience nécessaires à repérer et à éviter les risques liés à leur environnement [19]. Par exemple : incapacité à se mouvoir à distance d’un objet à risques, impossibilité de lire des pictogrammes de danger, imprudences faute de connaissances, etc. Ces aspects rendent aussi les enfants plus vulnérables aux polluants du quotidien.

    Assurer un haut niveau de protection aux enfants

    Au regard de ces vulnérabilités spécifiques, les enfants ne peuvent pas être considérés comme de simples « adultes en plus fragiles ». L’écart est bien plus grand. Les enfants ont donc besoin d’un haut niveau de protection contre les polluants du quotidien. Et dans cet objectif, les parents peuvent notamment s’appuyer sur des bonnes pratiques de santé environnementale.

    A mon sens, les médecins pourraient utilement sensibiliser les parents à ces bonnes pratiques, ainsi que les appuyer dans leur mise en œuvre. Dans ce cadre, les médecins peuvent s’appuyer sur différents documents de référence. A titre indicatif, voici une sélection de documents qui me semblent intéressants à considérer.

    • URPS Médecins Libéraux PACA, Association Santé Environnement France (ASEF), Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ARS Paca). Comment protéger mes patients de la contamination chimique & des perturbateurs endocriniens - Guide à l’usage des médecins libéraux - Dossier scientifique. 2020.
    • Réseau Île-de-France santé environnement (ÎSÉE). La qualité de l’air intérieur - Guide de consultation à l’attention des médecins. 2021.
    • Wong, KH et al. Exposures to Endocrine Disrupting Chemicals in Consumer Products - A Guide for Pediatricians. Current Problems in Pediatric and Adolescent Health Care 2017.
    • Karr, C. Addressing environmental contaminants in pediatric practice. Pediatrics in review 2011.
    • American Academy of Pediatrics, American Public Health Association, National Resource Center for Health and Safety in Child Care and Early Education. Environmental Health in Early Care and Education. 2021.


    Dans certaines situations, un médecin peut identifier le besoin d’un accompagnement plus poussé auprès de certains patients. Le cas échéant, il a la possibilité de s’appuyer sur un Conseiller médical en environnement intérieur (CMEI). Ce conseiller peut intervenir sur prescription médicale, auprès de personnes souffrant de maladies respiratoires ou allergiques. Sa mission est d’identifier les sources de polluants et d’allergènes au domicile des patients, afin d’améliorer la qualité de leur environnement intérieur.

    Ainsi, la consultation du médecin est complétée par une visite du domicile du patient. Cette visite consiste en une sorte d’« audit » du logement, pièce par pièce, qui peut durer deux heures environ. A l’issue de la visite, le patient reçoit des conseils personnalisés, en fonction des informations collectées.

    Pour mieux connaître les bonnes pratiques de santé environnementale

    Si ce thème des environnements favorisant la santé vous intéresse, alors je vous invite à me retrouver sur le blog Santé des enfants et environnement. J’y partage des conseils et des astuces pour aider les parents à entourer les enfants d’environnements plus sains, avec moins de pollutions et plus de nature. Vous pouvez également suivre mon travail sous la forme de podcasts et de vidéos.

     

    Références

    1. Agence Européenne Environnement (AEE). Healthy environment, healthy lives: how the environment influences health and well-being in Europe. 2020.
    2. Bonvallot N et al. Pour une gestion alerte du risque chimique - Risques (éco)toxicologiques pour les êtres humains et l’environnement dans une logique de biodiversité. Expertise collective. Rapport final. 2021.
    3. Demeneix B, Slama R. Endocrine Disruptors: From Scientific Evidence to Human Health Protection. European Parliament Reports 2019.
    4. Ministère chargé de l’Écologie, Ministère chargé de la Santé. Quatrième Plan national santé-environnement (PNSE4). Un environnement, une santé. 2021.
    5. Agence Européenne Environnement (AEE). L’exposition à la pollution provoque 10 % des cas de cancer en Europe. Web report “Beating cancer — the role of Europe’s environment”. 2022.
    6. Buguet-Degletagne B, Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Evaluation du troisième plan national santé environnement et préparation de l’élaboration du plan suivant - rapport N°2017-176R. Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 2018.
    7. Dab W. Santé et environnement. Que sais-je ? n°3771. 2012 (Mis à jour en 2020).
    8. Rojas-Rueda D, et al. Environmental Burden of Childhood Disease in Europe. International Journal of Environmental Research and Public Health 2019 ; 16.
    9. Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). La santé des enfants et l’environnement numéro thématique - volume 18 numéros 3. 2007.
    10. Barouki R, et al. Developmental origins of non-communicable disease: Implications for research and public health. Environmental Health 2012 ; 11 : 42.
    11. Marano F, Barouki R, Zmirou D. Toxique ? - Santé et environnement : de l’alerte à la décision. Buchet-Chastel 2015.
    12. Grandjean P, Landrigan PJ. Developmental neurotoxicity of industrial chemicals. The Lancet 2006 ; 368 : 2167–2178.
    13. Landrigan PJ, Etzel RA. Textbook of Children’s Environmental Health. Oxford University Press, 2014.
    14. Tamburlini G, et al. Children’s health and environment: a review of evidence: a joint report from the European Environment Agency and the WHO Regional Office for Europe. Office for Official Publications of the European Communities, 2002.
    15. American Academy of Pediatrics (AAP). Pediatric Environmental Health. Library of Congress, 2012.
    16. Cohen Hubal EA, et al. Children’s exposure assessment: a review of factors influencing Children’s exposure, and the data available to characterize and assess that exposure. Environmental health perspectives 2000 ; 108 : 475–486.
    17. Miller MD, et al. Differences between children and adults: implications for risk assessment at California EPA. International journal of toxicology 2002 ; 21 : 403–418.
    18. Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Évaluation du deuxième Plan national santé-environnement. 2013.
    19. Zölzer F, Meskens G. Ethics of Environmental Health. Taylor & Francis, 2017.

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