Rhumatologie

Lombalgie aiguë : les anti-inflammatoires associés à la chronicisation ?

Dans la lombalgie aiguë non spécifique, l’utilisation d’un traitement anti-inflammatoire en lieu et place d’un traitement antalgique, physiothérapique, voire de réhabilitation, serait associé à un sur-risque de lombalgie chronique. Le blocage prolongé des polynucléaires neutrophiles par les AINS, utiles dans les processus de résolution de la douleur, serait en cause.

  • Chinnapong/istock
  • 12 Mai 2022
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    Dans la lombalgie aigüe, les recommandations placent en première ligne du traitement les antalgiques simples, la physiothérapie et l’entretien de la mobilité rachidienne. Les AINS peuvent être utilisés en 2ème intention, avec une efficacité modérée comme l’a montré une revue Cochrane, mais la question se pose de la responsabilité de ces derniers dans les mécanismes de la chronicisation de la lombalgie.

    Dans une étude parue dans Science Translationnal Medicine, des chercheurs canadiens avancent des arguments expérimentaux et cliniques qui tendent à montrer que l'utilisation prolongée de médicaments anti-inflammatoires au cours de la lombalgie aiguë (ibuprofène à dose antalgique ou autre AINS à dose efficace) serait associée à un risque accru de lombalgie chronique.

    Ils suggèrent que les médicaments qui inhibent l'inflammation pourraient interférer avec le processus naturel de résolution de la douleur, en particulier les polynucléaires neutrophiles, augmentant ainsi le risque de lombalgie chronique. Ces données doivent être vérifiées dans une étude randomisée.

    Une étude multi-dimensionnelle

    Les mécanismes qui sous-tendent la transition de la douleur aiguë à la douleur chronique restent à élucider. Dans cette étude, une équipe de recherche de l’université de McGill, au Canada, s’est focalisée sur l’implication du système immunitaire en utilisant des échantillons provenant de patients et de modèles animaux dans 3 analyses.

    L'analyse transcriptomique des cellules immunitaires a d’abord été réalisée chez 98 personnes souffrant de lombalgie aiguë, suivis pendant 3 mois. Les changements transcriptomiques ont été comparés entre les patients dont la lombalgie était résolue à 3 mois et ceux dont la lombalgie persistait à ce stade (lombalgie chronique). Les chercheurs ont trouvé des milliers de changements transcriptionnels dynamiques, dont une hyperactivité des polynucléaires neutrophiles, chez les participants dont la douleur lombalgique s'était résorbée, mais aucun chez ceux dont la douleur persistait. La régulation transitoire à la hausse des réponses inflammatoires des polynucléaires neutrophiles pourrait protéger contre la transition vers la douleur chronique. En effet, les polynucléaires neutrophiles dominent les premiers stades de la réponse inflammatoire et feraient le lit d'un bon processus de cicatrisation.

    Dans les modèles de douleur aiguë chez la souris (compression du nerf sciatique), un traitement précoce avec un stéroïdien (la dexaméthasone est fréquemment utilisée aux USA dans cette indication) ou un anti-inflammatoire non-stéroïdien (AINS), entraîne également une prolongation de la douleur, bien que l’anti-inflammatoire soit analgésique à court terme. En effet, une telle prolongation de la douleur n'a pas été observée avec d'autres antalgiques, la gabapentine ou la lidocaïne. La déplétion des neutrophiles semble associée à un retard de la résolution de la douleur chez les souris, tandis que la ré-injection dans le sang périphérique de polynucléaires neutrophiles ou de protéines S100A8/A9, normalement libérées par les neutrophiles, empêcherait le développement d'une douleur chronique associée à un médicament anti-inflammatoire.

    Les chercheurs se sont tournés enfin vers la UK Biobank, une banque de données contenant des informations sur la santé médicale et la consommation de médicaments d'un demi-million de patients anglais. Ils ont étudié 2 163 personnes souffrant de lombalgies aiguës, dont 461 ont ensuite souffert de lombalgies chroniques. Les chercheurs ont constaté que les personnes prenant un anti-inflammatoire non stéroïdien auraient près de deux fois plus de risques de développer une lombalgie chronique que celles prenant d'autres médicaments ou aucun médicament. Ceci leur suggère que les traitements anti-inflammatoires pourraient avoir des effets négatifs sur l’évolution de la douleur lombalgique.

    En pratique

    Dans une étude observationnelle, il est toujours possible qu’une sur-consommation d’AINS ne soit que le témoin d’une forme de lombalgie plus intense, ou capable d’évoluer vers une lombalgie chronique. Il ne faut donc pas interpréter ces données de façon trop littérale, mais les données expérimentales sont suffisamment intéressantes pour les vérifier dans une étude clinique randomisée en double aveugle.

    À ce stade, on peut donc conclure que, malgré une efficacité analgésique indéniable aux premiers stades d’une lombalgie aiguë, l’interférence des AINS avec les mécanismes de l'inflammation sur le long terme peut être contre-productive pour l’évolution des douleurs chez les personnes souffrant de lombalgie aiguë.

    Les lombalgiques prennent généralement des AINS à faible dose (ibuprofène) en cas de douleur parce qu’ils ignorent que ce sont des anti-inflammatoires. Les médecins prescrivent des AINS dans les lombalgies aiguës résistantes pour éviter de leur prescrire des antalgiques de niveau 2 contenant des opioïdes, tout en sachant que le bénéfice de ces AINS est assez modéré. L'utilisation à court terme des anti-inflammatoires non stéroïdiens ne semble cependant pas nocive dans cette étude, mais si elle ne prouve pas que l'utilisation à long terme est délétère (en l’absence de randomisation), elle objective un mécanisme biologique qui peut jouer sur le long terme. Raison de plus pour bien examiner les lombalgies à la recherche d’une cause identifiable, suivre les recommandations et ne pas prescrire des AINS au long cours dans la lombalgie.

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    JDF