Elections et débat national

Santé et Présidentielle : une politique de droits et de devoirs

La campagne présidentielle a commencé et, après la crise de l’hôpital et la pandémie Covid-19, nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile sur leurs propositions de réforme de la Santé. Aujourd’hui, l’interview du Dr Franck Devulder, président de la CSMF.

  • sefa ozel/istock
  • 27 Mar 2022
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    Le Dr Franck Devulder est gastroentérologue, installé en établissement privé à Reims et syndicaliste : il est aujourd’hui Président de la CSMF et porte les valeurs de la médecine libérale dans la nécessaire réforme de la Santé.

    On a eu crise après crise, et la Covid-19 en prime. Quelle est votre analyse sur ce qui ne va pas et ce qu'il faut vraiment changer dans le système de santé actuel ?

    Je reviendrai d'abord sur ce qui va, et sur ce qui a marché. Je rappelle souvent que Nicolas Revel, qui lorsqu’il était directeur général de l'Assurance maladie, lors d'une commission paritaire nationale après la 1ère vague de la Covid-19, avait salué « l'agilité » des professionnels de santé en général et des médecins libéraux en particulier.

    Pendant la pandémie, la coopération entre médecins a très bien fonctionné. Cependant, cela n’a malheureusement pas duré autant que nous aurions pu l’espérer. On est aujourd'hui de nouveau dans une organisation très jacobine, très centralisée, avec une complexité administrative qui nuit réellement à notre épanouissement professionnel individuel, mais aussi à notre capacité collective à répondre à la demande de soins des Français.

    Alors certes, les médecins sont pointés du doigt, parce qu’ils n’y répondraient pas suffisamment… Nous devons comprendre que les français sont victimes des politiques publiques qui, depuis 40 ans, ont mis en place un numérus clausus très sévère. Souvenons-nous du dogme du : « s'ils sont moins nombreux, ils coûteront moins cher parce qu'ils vont moins prescrire… », alors que dès les années 80, tous les observateurs éclairés se posaient déjà la question de la gestion des retraités du Baby-boom. Mais à l'époque, les pouvoirs publics ont abaissé le numérus clausus à 3500 ! Le deuxième problème, c’est la fin d’un mode de vie qui faisait passer le travail avant tout dans la société française. Désormais, les médecins aussi accordent plus d’importance à leur bien-être, leur vie de famille… et ils travaillent moins. Et c'est comme ça que les politiques publiques nous ont conduit à manquer de médecins aujourd'hui.

    Un autre aspect qui ne fonctionne pas, c'est la confiance qu'on peut avoir les uns envers les autres. Cela s'applique aussi dans les relations avec l'assurance maladie et les ARS. On cite souvent son environnement professionnel parce qu'après tout on baigne dedans toute la journée. Je suis gastroentérologue dans une des plus grosses cliniques de France. L'histoire a fait que les établissements privés des villes de moindre importance autour de la nôtre, ou dans la périphérie, ont été en difficulté financière pour plein de raisons et sont venus nous solliciter. Nous les avons rachetés. On n'a pas fait mieux qu'eux et finalement, on a fini par fermer ces cliniques. Mais, on y a créé des centres de consultation pluridisciplinaires. Cela constitue de véritables équipes de soins spécialisés même si aujourd'hui encore l'ARS reste sourde à leur formalisation. Ce que je demande ? Ce n'est pas de forfaitiser la médecine, c'est de nous donner un intérêt à agir pour que, nous médecins, allions dans le respect du parcours de soins, consulter dans les zones où il y en a le plus besoin.

    Dans cette perspective de lutte contre les déserts médicaux, que pensez-vous de l’encadrement à l’installation des médecins libéraux ?

    Je me suis maintes et maintes fois exprimé contre la restriction à la liberté d'installation des jeunes médecins, parce que je pense que ça ne marchera pas. Imaginer contraindre un jeune médecin à aller s’installer dans un territoire où l’école et les commerces de proximité ont disparu est une illusion. Vouloir passer en force, c’est pousser mes jeunes confrères vers le salariat ou vers une activité de remplaçant au long cours, ou pire encore prendre le risque de les voir quitter la médecine clinicienne. 

    Je pense que nous devons nous engager dans une politique faite de droits et de devoirs. Répondre aux besoins de la population sur nos territoires, c'est notre devoir. Mais, à côté de ce devoir, il y a des droits : cette consultation en zone désertifiée doit être majorée pour tous ceux qui s’y engagent. Cet engagement territorial des médecins doit également être encouragé par la création d’un espace de liberté tarifaire, solvabilisé par les assurances médicales obligatoires et complémentaires. Chaque médecin serait ainsi incité, en signant un tel engagement, à répondre, en coordination avec ses confrères et les autres professionnels de santé, aux besoins de la population sur son territoire.

    Ces consultations sur sites distincts doivent aller de pair avec l’ouverture massive de stage en libéral pour les externes, les internes et les assistants partagés. Pour les internes, toutes les maquettes doivent comporter un minimum de 2 stages, un au début de sa formation, l’autre au stade de docteur Junior. Mais, soyons bien clair ! Il ne faut pas envoyer les « docteurs juniors » seuls, dans des territoires sous denses.  On a tous été de jeunes médecins, et on sait que, au début, quand on s'est retrouvé aux urgences du CHU, on était un peu paniqué, on avait les poches remplies de bouquins et on demandait plus d'examens complémentaires que nécessaire parce qu'on avait besoin d'être rassuré. On avait peut-être la tête plus remplie qu’aujourd'hui, mais on n'avait pas encore d'expérience. C’est pourquoi je pense qu'il faut inciter les médecins d'expérience à consulter en zone sous-dotée et protéger les plus jeunes en les accueillant dans nos cabinets principaux où ils seront mieux entourés. A mon sens, la seule façon d’arriver à un tel objectif est de rendre obligatoire ces stages en libéral dans toutes les maquettes de DES. Les facultés de médecine sont là pour former des médecins, tous les médecins et pas seulement des médecins hospitaliers.

    Comment devraient s’organiser les rapports entre l’hôpital public et le privé ?

    Nous sommes complémentaires. Je suis convaincu que la tension entre les médecins des différents secteurs n’existe pas. Il n’en est pas de même entre les établissements, qui en raison du poids de la T2A, sont concurrents. Chacun se demande désormais comment prendre des « parts de marché » à l’autre, que l’on soit dans le public ou dans le privé.

    Là aussi, je crois à une politique faite de droits et de devoirs pour les acteurs concernés. Les politiques de santé relèvent parfois de l'oxymore. On nous dit tout et son contraire. Vous devez prendre des assistants médicaux. Mais si vous prenez un assistant médical, on va vous mettre sous contrainte et l’aide éventuelle proposée par la CNAM sera conditionnée à votre spécialité et à l’évolution de votre file active de patients.

    Le fond de ma pensée, c'est que quand on est libéral, on est libéral : j'ai une infirmière dans mon cabinet et je n'ai jamais demandé la moindre aide. C'est moi, c'est mon entreprise médicale qui l'emploie. Mais force est de constater que quand je dis ça à certains de mes confrères, qui ont un exercice plus isolé, ils me disent qu’ils n’en ont pas les moyens. Je ne dis pas que les aides promises sont malvenues, mais elles doivent être simples d’utilisation. Il faut trouver une façon plus souple de travailler en coopération, c'est-à-dire d'avoir des parcours dont le pilote ne peut être que le médecin.

    On a vu que pendant la crise, on a tout recentré sur l'hôpital public et, qu'au début, même les établissements privés étaient hors circuit. Quant aux libéraux, on leur a demandé de fermer leur cabinet. Donc que recommandez-vous pour une meilleure ouverture de l'hôpital sur la ville et de l’intégration du privé ?

    Vu de Reims, la gestion initiale de cette crise localement a été surprenante. Même si on n'a pas été les plus touchés, la Covid-19 y a été violente. Même si je travaille dans le plus gros établissement de santé privé en France, avec une réanimation cardiaque, une réanimation pédiatrique et une réanimation polyvalente, on a vu passer sous nos fenêtres des EVASAN transportant des malades intubés vers l'ouest de la France alors qu’il y avait de la place en réanimation dans notre clinique ! Cela n’a pas été un cas isolé. Il y a un formatage à changer dans les relations ville-hôpital, privé-public, que ce soit pour la Covid, les urgences et le reste.

    À la CSMF, on pousse beaucoup pour le « statut unique du médecin ». Je pense qu'il manque de passerelles entre nos métiers, entre celui de médecin hospitalier et celui de médecin libéral, dans les deux sens. Je ne dis pas qu'il faut faire tout et n'importe quoi. Je ne vais pas demain devenir universitaire : ce n'est pas ma vocation première. Je ne cherche pas demain à être enseignant ou chercheur, sauf éventuellement enseignant sur le mode compagnonnage lors des stages en libéral des internes. A chacun son métier. En revanche, je pense que le médecin libéral doit pouvoir, au-delà des vacations, trouver un intérêt à rentrer à l'hôpital. Et, je me souviens que, tout enfant, mon grand-père, cardiologue, doyen, président d'université, était aussi libéral. Il faut un statut unique du médecin et ces passerelles doivent exister dans les deux sens. Un chirurgien hospitalier doit pouvoir venir faire certains actes dans le privé. Moi qui suis endoscopiste, je pense que pour certains actes techniques d'endoscopie très spécialisés, il faut unir nos moyens sur un plateau technique lourd qui devrait parfois être concentré sur un seul site Ce site, je pense qu'il peut être à l'hôpital public ou au sein d’une “grosse” clinique

    Cette coopération public-privé doit s’étendre aussi aux urgences ?

    Evidemment ! Mais, évoquer les urgences, c’est parler du service d'accès aux soins et des soins non programmés (SNP). Là aussi, on voit bien que la confiance n'y est pas ! Quel est l'enjeu ? L’enjeu affiché, c'est de désengorger les urgences hospitalières publiques (87% des urgences) et privées.

    Mais qui va réguler les urgences ? C’est via le numéro d’appel unique du SAS, le service d’accès aux soins ?

    Vous savez comme moi que le numéro d’appel a fait l’objet de débats contradictoires. Je pense qu’il faut surtout donner du sens, un intérêt à agir et un fonctionnement lisible du SAS. Quand vous regardez la convention médicale, c'est ubuesque. Le généraliste qui participe au SAS doit libérer 2 h de plages hebdomadaires pour recevoir ses propres patients qui auront besoin de soins non-programmés. Au-delà de ces 2 h, se met en place le soin non-programmé pour les patients à l’exclusion de sa patientèle cette fois ! Mais entre zéro et 5 patients, il ne touche pas la valorisation du SNP, entre le cinquième et le 15ᵉ patient, il est rémunéré, mais c'est forfaitaire et le forfait baisse jusqu’au 15ème patient. Puis, le forfait remonte au 16ᵉ pour baisser jusqu'au 30ᵉ. En plus, il ne touchera sa rémunération qu'un an plus tard, parce que c’est un forfait...

    Cerise sur le gâteau, mais c’est heureux, les pouvoirs publics ne sont pas prêts pour que l'outil numérique de régulation du SAS soit opérationnel au 1er Avril ! Le plan B soutenu par la CSMF consiste à proroger l'existant de deux ou trois mois dans les régions-pilotes. Il nous faut maintenant proposer une évolution lisible et incitative pour que dans 3 mois, les médecins aient un intérêt à agir pour entrer dans le SAS en confiance. Si au début de l'été, la seule solution est la mise en place du SAS aux conditions de l’avenant 9, cela va poser problème. C’est une évidence.

    Bref, si vous pensez que vous allez emporter les foules avec un dispositif qui est aussi contraignant et incompréhensible, où vous risquez d'avoir des régulateurs sans effecteurs, on va mettre en tension les urgences hospitalières. Et c’est encore pire pour les médecins spécialistes quasiment écartés de l’incitation à aller vers plus de soins non programmés. Je pense vraiment que la défiance envers les médecins libéraux freine leur épanouissement entrepreneurial pourtant nécessaire pour répondre aux besoins des français.

    Et qu’est-ce que vous recommandez ?

    Il faut savoir ce qu'on veut parce que finalement les médecins hospitaliers comme les libéraux ayant des carnets de rendez-vous pleins, il faut leur donner un intérêt à agir. Je ne pense pas qu’un médecin doive se dire que de son propre chef qu'il ne participera à aucune astreinte. Je sais que certains l'ont écrit, mais je pense différemment. Moi, je pense que ça fait partie de nos devoirs. Non pas à titre individuel mais collectivement dans nos territoires et les bassins de population où nous exerçons.  Ce n’est peut-être pas très syndical comme discours, mais je l'assume.

    Je pense qu'on a des devoirs, qu'on ne peut pas se recroqueviller dans notre coquille en disant : « Je m'en fous, je fais ce que je veux, mes carnets de rendez-vous sont pleins. Je ne suis pas responsable des politiques publiques et de ce numérus clausus ». On peut jouer à ça, mais si on le fait, demain, il y aura des mesures contraignantes parce que le politique, quel qu'il soit, a en charge la politique de la nation et donc l'accès aux soins de tous. Nous sommes prêts à répondre collectivement à la demande.

    Et pour les malades qui n’ont pas les moyens de payer ?

    Cette singularité française de marcher sur un pied libéral et un pied salarié impose de gérer la problématique du reste à charge. On sait que le reste à charge moyen en France est le plus bas de tous les pays de l'OCDE, mais il y a quand même des problèmes. Les plus jeunes d'une part, les plus âgés d'autre part. Quand je vais consulter dans les Ardennes et que je reçois des exploitants agricoles à la retraite et qu’ils me disent : « voilà, on peine à garder notre petite maison et on vit avec 600 € par mois ». C'est la vérité.

    Nous devons donc tous avoir une attention tout à fait particulière envers ces personnes économiquement fragiles, les jeunes et les plus âgés. Et pas forcément ceux qui n’ont qu'une petite retraite. Parce que le patient souffrant d’une affection chronique va consulter son médecin plus souvent. Et cela a un coût non négligeable.

    Qui doit administrer le système ?  On a vu que certaines ARS n’étaient pas très efficaces pendant la crise ?

    J'ai deux reproches à faire aux ARS. D'une part, la lenteur et la lourdeur administrative, qui sont franchement insupportables. D’autre part, l'absence d’adaptation de l'application de la politique publique au niveau local. Cette politique ne doit pas forcément être uniforme dans tous les territoires. Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il faut balayer d'un revers de main les ARS. Mais je pense qu'elles ne peuvent plus avoir seules la puissance de décision comme c’est le cas aujourd'hui.

    Je pense qu'il faut trois acteurs aux commandes : les usagers, les élus locaux et les professionnels de santé concernés, médecins et autres professions de santé. C'est ensemble qu'on construit la politique adaptée aux besoins de la population. Il me semble également nécessaire d’avoir une prise de décision au plus proche du terrain. Les nouvelles régions conduisent les ARS à être parfois très éloignées des problématiques territoriales. Voilà pourquoi, les antennes régionales mais surtout les acteurs des soins doivent aussi être aux commandes. Il faut donc une direction qui soit partagée et pas uniquement administrative, avec les élus, des patients, les libéraux et les hospitaliers, les médecins et les professionnels de santé.

    Un mot sur la prévention ?

    J'avais deux mots. J'avais un mot sur la prévention et un sur la qualité. J'ai été auditionné au nom de la CSMF il y a quelques mois par une mission Igas sur la prévention. Je pense qu'il faut passer d'une médecine purement curative à une médecine préventive et curative. Beaucoup de choses nous en ont empêché jusqu’ici et entre autres, le fait de ne pas disposer d’un financement pluriannuel.

    En matière de prévention, nous devons changer de braquet ! Nous sommes à la traîne par rapport à nos voisins. Je pense qu'on ne peut pas parler de prévention sans parler d’observance. Les consultations d’observances doivent même pouvoir, en partie, payer la prévention. Car on sait que la première cause d'échappement thérapeutique, par exemple d’une rectocolite hémorragique, c'est la non observance. Et donc il ne s'agit pas de sanctionner mais d’expliquer, d’écouter, de convaincre parfois du bien-fondé de la décision médicale partagée. C’est cela une consultation d'observance.

    La prévention est l'affaire de tous. C'est un sujet que nous avons partagé au sein des Libéraux de Santé. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Mais mon analyse, c'est qu'après les trois consultations de prévention de la petite enfance, nous proposons trois consultations de prévention à des âges clés de la vie : la consultation de la maturité, à la cinquantaine, âge où on prend du ventre et où les soucis de santé commencent, mais aussi la consultation de la jeune adolescence entre 12 et 15 ans, où on peut s’occuper de certaines vaccinations, comme la vaccination HPV, et faire de l’éducation des risques liés aux addictions et à la sexualité, et puis une consultation du jeune adulte, 10 ans plus tard pour gérer d’autres risques, dont le Burn-out et les risques liés au mode de vie.

    La qualité, enfin, c’est un sujet majeur, où on est également à la traîne par rapport au pays nordiques, au Canada ou aux Pays-Bas, où des dispositifs d’évaluation de la qualité ont été mis en place, parfois à l’initiative des médecins libéraux. Ils reposent sur de vrais critères de qualité, définis par les médecins et par les patients.

    Ces critères de qualité prennent en compte le résultat médical mais également le ressenti du patient. La qualité doit intégrer notre pratique quotidienne. La rémunération de la qualité ne peut plus attendre.  

    Votre message final ?

    Le message, c’est un message d’entreprenariat médical. Ce n’est pas un gros mot ! Cela ne concerne pas que les libéraux. Cela concerne aussi l’hôpital car c’est tous ensemble, dans une démarche entrepreneuriale, que l’on pourra répondre à la demande de soins qui va continuer à augmenter.

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    JDF