Hématologie

CAR-T et LNH à l’ASH 2021 : des résultats qui redéfinissent les bonnes indications

Deux études randomisées de phase III permettent de mieux définir les bonnes indications des CAR-T cells dans les lymphomes diffus à grandes cellules B réfractaires ou en rechute.

  • Design Cells/istock
  • 16 Déc 2021
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    Ces dernières années la révolution des CAR-T cells a apporté un renouveau dans le traitement de différentes hémopathies et en particulier celui des lymphomes diffus à grande cellules B, réfractaires au traitement. Jusqu’ici, les résultats présentés faisaient état de taux de réponse de plus de 50% avec une PFS à 1 et 2 ans de suivi chez 35 à 40% des patients traités, faisant se poser la question de la place de l’autogreffe de moelle.

    Deux nouvelles études randomisées de phase III, présentées au congrès annuel de l’American Society of Hematology (ASH 2021), et publiées conjointement dans le New England Journal of Medicine, ont des résultats contradictoires en apparence : leur analyse doit aller en profondeur pour mieux comprendre les bonnes indications respectives des CAR-T cells et de l’autogreffe de cellules souches (ASCT) en 2ème ligne du traitement des lymphomes à grandes cellules B récidivants ou réfractaires.

    2 études de phase III contradictoires en apparence

    Dans l'essai ZUMA-7, Locke et al. ont comparé l’axicabtagene ciloleucel (180 patients) à l’autogreffe de cellules souches (179 patients) : ils observent une fréquence plus élevée de réponse complète (65% contre 32%) et une meilleure survie sans événement (HR pour un événement ou le décès, 0,40 ; p<0,001). Comme dans l'étude ZUMA-1, les malades ne pouvaient recevoir que des glucocorticoïdes en cas de traitement de bridging, et ceux qui avaient une maladie extensive ou rapidement évolutive n'étaient pas éligibles. Ceci a donc permis de réaliser des perfusions de CAR T-cell chez 94% des patients (2 patients avec une progression de la maladie avant la perfusion de CAR T-cell).

    Dans l'essai BELINDA, Bishop et al. ont comparé le tisagenlecleucel (162 patients) à l’autogreffe de cellules souches (160 patients) mais n'ont observé aucune différence entre les 2 groupes pour la fréquence de la réponse complète ou la survie sans événement (HR pour un événement ou le décès, 1,07 ; p=0,69). Comme dans l'étude JULIET, l’existence d'une maladie extensive ou rapidement évolutive n'était pas un critère d'exclusion, et la chimiothérapie de bridging était autorisée (délai de fabrication bien supérieur). Bien que 83% des patients aient reçu un traitement de bridging, 26% avaient une maladie progressive avant la perfusion de CAR T-cell, mais contrairement à l'étude JULIET, ils n'ont pas été exclus de la perfusion de CAR T-cell et ont été inclus dans l'analyse finale.

    Différences des populations étudiées

    D’après un éditorial remarquablement étayé, il ne faudrait pas analyser ces résultats en pensant que l’axicabtagene ciloleucel serait forcément supérieur au tisagenlecleucel. Certes, ces 2 CAR-T cells ciblant CD19 diffèrent sur quelques critères, notamment en ce qui concerne les domaines de costimulation (CD28 pour axicabtagene ciloleucel et 4-1 BB pour tisagenlecleucel), la durée de fabrication (2 semaines pour axicabtagene ciloleucel et 4 à 5 semaines pour tisagenlecleucel) et la méthode de transfert de gènes (rétrovirus pour axicabtagene ciloleucel et lentivirus pour tisagenlecleucel). Mais, même s’ils n’ont pas été comparés directement dans des études face-face, leur efficacité et leur tolérance peuvent être similaires.

    Par contre, les lymphomes à grandes cellules B constituent un ensemble d’hémopathies à cellules B agressives avec une grande hétérogénéité génétique et clinique. Ces 2 études présentées à l’ASH 2021 nous apprennent peut-être que tous les malades atteints de « lymphome à grandes cellules B récidivant ou réfractaire » ne sont pas les mêmes. L'évaluation du potentiel curatif des différents CAR-T cells nécessitera donc des comparaisons dans des groupes identiques de malades, et les différences de stratégie de bridging ne peuvent être exclues comme facteurs contribuant aux différents résultats de ces essais.

    Différences de population et de protocoles

    L'essai ZUMA-7 n'a pas autorisé la chimiothérapie de bridging ce qui introduit un biais considérable dans le recrutement des patients dont la maladie progresse rapidement ou est importante, car le protocole excluait spécifiquement les patients ayant « besoin d'un traitement urgent en raison d'effets de masse tumorale ». Des études antérieures montrent que les patients qui reçoivent un traitement systémique d'appoint ont un pronostic plus défavorable que ceux qui n'en reçoivent pas, car l'administration d'un tel traitement serait un indicateur d'une maladie plus avancée, plus agressive ou les deux.

    Dans l'essai ZUMA-7, 36% des patients du groupe de soins standard ont reçu une autogreffe de cellules souches, contre seulement 32% des patients de l'essai BELINDA car la conception de l'essai permettait deux cures de chimiothérapie de sauvetage, alors que l'essai ZUMA-7 ne le permettait pas, ce qui suggère que les patients de l'essai BELINDA avaient un plus mauvais pronostic.

    Autre biais, le temps de réalisation des CAR-T cells, de 2 semaines environ pour l'axicabtagene ciloleucel et de 4 à 5 semaines pour le tisagenlecleucel, ce qui peut induire des différences dans l'état des malades et dans le choix des malades à inclure pour les médecins. Seulement 7% des patients de l'essai ZUMA-7 avaient le phénotype ABC (activated B-cell-like) du lymphome à grandes cellules B, ce qui suggère également un recrutement biaisé et peut refléter l'association de ce génotype avec des patients plus âgés.

    Quelle place pour les CAR-T cells ?

    La chimiothérapie de première ligne permet de guérir la plupart des patients souffrant d’un lymphome diffus à grandes cellules B, mais ceux qui ont une rechute ou une maladie réfractaire meurent généralement assez vite de leur lymphome. La chimiothérapie de sauvetage suivie d'une autogreffe de cellules souches (ASCT) est le standard de deuxième ligne pour le lymphome à grandes cellules B et permet de mettre en rémission jusqu'à 30 à 40% des patients éligibles, mais elle est réservée aux patients les plus jeunes et en bonne santé. Elle serait relativement inefficace dans les cas de maladie réfractaire à la chimiothérapie.

    L'essai ZUMA-7 montre clairement que les patients éligibles pour une ASCT, c’est-à-dire atteints d'un lymphome à grandes cellules B récidivant ou réfractaire et dont la maladie est contrôlable avec un traitement de bridging par les corticoïdes seul, devraient être prioritaires pour le ciloleucel axicabtagène par rapport à l'ASCT comme traitement de deuxième ligne. Une AMM viendra très probablement conscrer cette indication au vu de ces résultats et de ceux d'une autre étude présentée à l'ASH 2021 avec un autre CAR-T cells.

    L'essai BELINDA montre toutefois qu'il serait prématuré de conclure à la supériorité des CAR-T cells chez tous les patients atteints d’un lymphome à grandes cellules B et éligibles à une ASCT, en particulier ceux dont la maladie est très étendue ou progresse rapidement, ce qui justifie une chimiothérapie de bridging plus agressive.

    En effet, les facteurs qui déterminent le potentiel « curatif » des CAR-T cells peuvent être fondamentalement différents de ceux qui déterminent les résultats de l'autogreffe de cellules souches, qui sont principalement liés à la sensibilité à la chimiothérapie. Bien que la sensibilité à la chimiothérapie semble avoir moins d'influence sur l'efficacité des CAR-T cells, la présence d'une maladie très étendue ou en progression rapide pourrait bien être un obstacle majeur à la réussite des CAR-T cells.

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    JDF