Rhumatologie
Arthrose : un anticorps soulage mais accélère la destruction articulaire
Le tanezumab, un inhibiteur du NGF, soulage nettement les douleurs dans l'arthrose évoluée et résistante au traitement antalgique. Mais il accélère également la destruction articulaire chez quelques malades.
- Wavebreakmedia/istock
Une nouvelle étude a essayé d’évaluer le rapport bénéfices-risques du tanezumab, un anticorps anti-NGF, dans l’arthrose modérée à sévère, et handicapante malgré un traitement standard bien suivi. Il s’agissait de savoir si le bénéfice sur la douleur observé avec cette molécule ne s’accompagnait pas d’une augmentation du risque d’arthrose rapidement progressive.
L'essai publié dans le JAMA reprend certaines caractéristiques de conception visant à réduire les facteurs de risque d'arthrose destructrice rapide et de remplacement prothétique de l'articulation, un phénomène qui a été observé sous tanezumab mais qui pouvait être attribué à la co-prescription d’AINS.
L'effet analgésique du tanezumab dans cette étude est conforme à celui d'autres études et méta-analyses portant sur l'arthrose, qui ont démontré un soulagement plus efficace de la douleur par rapport au placebo et aux AINS, mais le tanezumab augmente également le risque de prothèse totale articulaire ou d'arthrose rapidement progressive.
Un protocole versus placebo
Les chercheurs ont recruté 696 patients souffrant d'arthrose de la hanche ou du genou et dont les scores de douleur et de fonction étaient de 5 ou plus sur l’échelle de WOMAC (Western Ontario et McMaster), avec la présence d'ostéophytes à la radiographie (Kellgren-Lawrence grade ≥2).
Ils ont été randomisés entre l'un des trois groupes de traitements par injection sous-cutanée : placebo aux semaines 1 et 8 (232 patients) ; tanezumab 2,5 mg aux semaines 1 et 8 (231 patients) et tanezumab 2,5 mg à la semaine 1, et 5 mg à la semaine 8 (233 patients). Le paracétamol à la demande a été autorisé comme médicament de secours.
Soulagement marqué de la douleur
Les trois groupes de traitement ont eu un soulagement de la douleur entre le début de l'étude et la semaine 16, avec un soulagement plus marqué chez les patients traités par le tanezumab. Par exemple, 69% (321 sur 464) des patients traités par le tanezumab ont vu leur douleur s'améliorer de plus de 30% entre le début du traitement et la 16e semaine, comparativement à 55% (127 sur 232) des patients traités par placebo.
Cependant, les patients traités par tanezumab ont également eu plus de remplacements prothétiques articulaires (prothèses totales) au cours de la période d'observation de 40 semaines : 16 sur 233 (6,9%) dans le groupe tanezumab 2,5/5,0 mg, 8 sur 231 (3,5%) dans le groupe tanezumab 2,5 mg, et 4 sur 232 (1,7%) dans le groupe placebo. Ces différences sont statistiquement significatives et suggèrent une augmentation de la fréquence du remplacement prothétique articulaire chez les patients traités par le tanezumab, augmentation qui serait proportionnelle à la dose de tanezumab. Vingt-six des 28 arthroplasties (93%) concernent l'articulation responsable de la prescription.
Un traitement difficile
L'arthrose est une affection douloureuse et invalidante dont il n'existe aucun traitement efficace. Divers médicaments sont utilisés pour soulager la douleur associée à l'arthrose, notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), le paracétamol et les opioïdes.
Le tanezumab est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le facteur de croissance nerveuse (NGF), facteur qui participe à la prolifération et au maintien des neurones sensitifs. Cette molécule a démontré son efficacité pour réduire la douleur associée à l'arthrose du genou et de la hanche, ainsi que celle de la lombalgie.
Cependant, dans les essais sur l'arthrose des membres inférieurs, les patients traités par le tanezumab ont également une augmentation du risque d'arthrose rapidement progressive et de remplacement prothétique prématuré de l'articulation par rapport au placebo. L'arthrose rapidement progressive est définie comme la progression d'un pincement de l'espace articulaire de plus de 1 mm en un an (arthrose de type 1 à progression rapide) ou l'atteinte des structures osseuses (arthrose de type 2 à progression rapide).
Arthrose rapidement progressive
Bien que les mécanismes reliant le tanezumab à une arthrose rapidement progressive et au remplacement prothétique articulaire ne soient pas parfaitement connus, l'hypothèse est que ces complications découlent de la réduction de la douleur, les patients surutilisant leurs articulations détériorées. In fine, l'efficacité analgésique du tanezumab pourrait donc être la raison de sa toxicité la plus importante.
Les analyses d'essais antérieurs suggèrent que l'arthrose et le remplacement prothétique de l'articulation en cas d’arthrose rapidement progressive soient plus fréquents chez les patients traités à la fois par tanezumab et AINS que chez ceux traités par le tanezumab seul. De plus, l'examen des cas d'arthrose évolutive rapide et de remplacement total de l'articulation dans les essais sur le tanezumab indique que 44 % de ces événements se sont produits dans des articulations autres que celles qui ont incité le patient à demander des soins.
Le tanezumab augmente le risque de prothèse
Dans une autre étude non-publiée, 3021 patients atteints d'arthrose de la hanche ou du genou ont été randomisés pour recevoir, soit du tanezumab 2,5 mg toutes les 8 semaines, soit du tanezumab 5,0 mg toutes les 8 semaines, soit un AINS tous les jours (les patients traités par le tanezumab n'ont pas reçu d'AINS). Ces traitements étaient pris pendant 56 semaines et les patients ont été suivis pendant 24 autres semaines pour atteindre 80 semaines de suivi total.
La dose de 5 mg de tanezumab est plus efficace que les AINS pour soulager la douleur et améliorer l'état fonctionnel mais il existe là encore une augmentation du risque de détérioration articulaire (principalement une arthrose rapidement progressive, une ostéonécrose et la fissure osseuse). Ce critère composite est observé dans 7,1% des cas dans le groupe tanezumab 5 mg, 3,8 % dans le groupe tanezumab 2,5 mg, et 1,5 % dans le groupe AINS. De même, la mise en place d’une prothèse totale de l’articulation est réalisée chez 8,0 % des patients du groupe tanezumab 5 mg, 5,3 % des patients du groupe tanezumab 2,5 mg et 2,6 % des patients du groupe AINS.
Ainsi, ces 2 études montrent sans conteste que le tanezumab est associé à une fréquence plus importante d'arthrose rapidement progressive et de remplacement prothétique articulaire. L’effet ne semble pas lié aux AINS, mais peut-être est-il lié aux malades. Les malades les plus douloureux sont peut-être ceux qui sont le plus à risque d’évolution rapide de leur arthrose ?
Discussion sur les bénéfices-risques
La question qui ressort de ces études est de savoir si les bénéfices analgésiques du tanezumab justifient le risque connexe d'arthrose rapidement progressive et de remplacement total de l'articulation. Si ce médicament est approuvé pour une utilisation clinique dans l'arthrose, les patients et les médecins devront discuter soigneusement de ces risques et bénéfices. Les patients qui envisagent ce traitement devront accepter la possibilité que le tanezumab puisse accélérer la progression rapide de l'arthrose et envisager un remplacement total de l'articulation à court terme dans un petit nombre de cas.
Pour les patients à haut risque de complications liées au remplacement total de l'articulation et ceux qui préfèrent éviter une prothèse totale, le tanezumab ne sera pas un choix judicieux. Les patients disposés à accepter le risque d'une arthroplastie totale en échange d'une plus grande probabilité de réduction de la douleur que les autres traitements disponibles seront des candidats acceptables pour le tanezumab.
Difficultés de remboursement en vue
Certaines autorités de santé énonceront que les risques d'arthrose évolutive rapide et de remplacement total de l'articulation sont trop élevés pour autoriser la mise à disposition ou le remboursement du tanezumab dans l'arthrose évoluée et symptomatique.
Toutefois, compte tenu de l’importance du fardeau de l'arthrose chez les personnes handicapées, ainsi que de la rareté des solutions efficaces de rechange, permettre aux patients et aux médecins de discuter ces décisions ensemble peut être raisonnable. Si cet anticorps anti-NGF arrive sur le marché, il sera essentiel que les médecins se renseignent et informent leurs patients sur les avantages à court et à long terme et les inconvénients potentiels du tanezumab.








