L'interview du week-end

"Le meilleur moyen de détecter un cancer avant ses premiers symptômes, c’est le dépistage"

Un cancer peut se manifester par l’apparition de différents symptômes inhabituels et persistants. Plus tôt ils sont détectés et traités, plus grandes sont les chances de guérison. Comment en repérer les signes avant-coureurs ? Les réponses de Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (Inca).

  • Par Stanislas Deve
  • stefanamer / istock
  • 13 Nov 2022
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    Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qu’un cancer ?

    Norbert Ifrah : C’est une prolifération autonome et non contrôlée de cellules "anormales", dérivées de cellules normales mais qui ont perdu leurs caractéristiques, et qui vont se multiplier de façon anarchique. Ce dysfonctionnement peut entraîner une réaction de défense de l’organisme, qui sera efficace ou pas - lorsque le cancer est déclaré, c’est qu’elle ne l’a pas été suffisamment. On doit parler des cancers, au pluriel : toutes les cellules, donc tous les organes, tous les tissus peuvent être touchés par un cancer.

    Cancer : "Il n’y a pas de signes de certitude, seulement un faisceau d’arguments"

    Quel signal d’alerte général, s’il existe, peut révéler un possible cancer ?

    Il faut bien comprendre que d’un côté, il y a la tumeur, plus ou moins régulière, qui augmente de volume et peut comprimer les organes, ce qui peut parfois être à l’origine de douleurs inexpliquées. De l’autre, il y a des réactions, des résistances de l’organisme pour lutter contre, ce qui va provoquer une altération de votre état général. Pour repérer un éventuel cancer, il faut d’abord regarder s’il y a un changement réel, inexpliqué et persistant dans sa conformation physique : fièvres, perte de poids, saignements, problèmes respiratoires, digestifs ou urinaires, lésions qui ne cicatrisent pas... Il n’y a pas de signes de certitude, seulement un faisceau d’arguments qui vont permettre au médecin de prendre une décision, de savoir quels examens envisager. (La liste complète des signes précurseurs de cancer est proposée ici par le Manuel MSD, ndlr.)

    Les premiers symptômes d’un cancer diffèrent selon les organes touchés. Par exemple ?

    Le sens clinique, et parfois le bon sens orientent : une douleur dans le sein fait penser à un cancer du sein. Ainsi, un changement au niveau des selles (consistance, odeur, sang...) peut présager un cancer du côlon, une toux chronique peut être signe d’un cancer des poumons ou de la gorge, des saignements vaginaux non menstruels peuvent être liés à un cancer de l’utérus, ou encore des troubles de la miction à un cancer de la prostate ou de la vessie. Un mélanome peut être suspecté en cas de grain de beauté qui change de taille, de forme ou de couleur. Certains signes rares ne trompent pas, comme les douleurs aux ganglions en ingérant de l’alcool, qui annoncent un lymphome de Hodgkin. Dès que le symptôme est inhabituel et persistant, il faut consulter.

    Quand se manifestent les premiers signes ? Peut-on "sentir" un cancer avant que ses symptômes nous alertent ?

    C’est plus une question de masse que de temps : lorsque le patient a des symptômes, cela signifie généralement qu’il a déjà entre 500 grammes et 1 kilo de tumeur dans l’organisme, soit 1.000 milliards de cellules – c’est considérable. Le diagnostic clinique se fait souvent à une phase trop tardive du cancer. C’est pourquoi nous insistons sur la prévention et les dépistages organisés, notamment pour les cancers du sein, du côlon et du col de l’utérus. Le meilleur moyen de repérer un cancer avant que ses symptômes nous alertent, c’est de le dépister. Prenez le cancer du côlon : s’il est diagnostiqué précocement, vous avez 90 % de chances d’être en rémission complète ou guéri 5 ans après ; s’il est diagnostiqué à l’étape clinique, métastasique, les chances tombent à 16 %. Et neuf fois sur dix, le dépistage lui-même (par coloscopie) permet de guérir le cancer car il enlève la tumeur naissante.

    Les comportements sains "préviennent le risque de cancer de 40 %"

    Vous avez parlé de prévention : un adulte qui se nourrit et dort mal, qui fume et qui boit, qui ne fait pas de sport, doit-il consulter plus tôt qu’un autre ?

    Il est plus à risque qu’un autre, donc oui, éventuellement. Il devrait consulter à partir de 40 ou 45 ans (avant cet âge-là, le risque de cancer, même lié à des comportements excessifs, est très réduit) quand un autre le fera à 50 ans. D’une manière générale, les comportements sains, sur lesquels on peut agir - l’absence de tabac sous toutes ses formes, la réduction drastique de la consommation d’alcool, une activité physique régulière, une alimentation équilibrée, une faible exposition aux rayons du soleil... - préviennent le risque de cancer de 40 %. Et c’est le plus tôt possible que nous devons adopter des comportements protecteurs de notre santé pour éviter le risque de cancer plus tard.

    Un risque réduit de 40%... Cela veut-il dire qu’une majorité des cancers sont dus au hasard ?

    En tout cas, ils ne sont pas évitables aujourd’hui. Souvent, ce sont des cancers que l’on connaît mal, ou auxquels on ne peut se soustraire, comme les cancers dus à la pollution atmosphérique, à l’amiante ou une infection (hépatite, papillomavirus...), qui font le lit de la cancérogenèse. Il a été démontré que les enfants qui vivent à proximité d’autoroutes ont 30 % de plus de risque d’avoir une leucémie aiguë. Le tabagisme passif est responsable d’environ 1.000 cancers par an en France. La liste est longue.

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    JDF