Cardiologie

Échocardiographie : l’IA couplée bouscule les Hotlines à l’ESC

L’Intelligence Artificielle arrive en échographie cardiaque et c’est pour l’améliorer. Une innovation de plus à cet ESC 2022 pourtant riche de la 3D, de nouvelles recommandations et des simulateurs. La synthèse complète.

  • Ivan-balvan/istock
  • 30 Aoû 2022
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    Avec les développements technologiques comme la 3D, l’intégration de nouvelles mesures dans les recommandations de l’ESC ou l’emploi de simulateurs pour la formation des cardiologues, nous pensions faire un bon tour de l’actualité sur le thème de l’échocardiographie. Erreur ! L’intelligence Artificielle vient de pousser les portes avec fracas. 2 études en Hotline qui vont faire bouger les lignes.

    Et ce n’est pas tout, en plus d’apporter une valeur ajoutée aux mesures à réaliser et à l’interprétation des données voilà que l’IA vient nous prendre par la main pour nous guider à mieux réaliser nos examens.

    L’échocardiographie, une technologie en mouvement

    L’échographie 3D s’installe durablement dans la pratique et continue son développement. Le premier intérêt de la technique réside dans une mesure plus fiable et précise du volume des ventricules et des oreillettes qu’une analyse en biplan et ceci comparé à l’IRM cardiaque, l’examen de référence.

    L’étude des valvulopathies représente un autre volet concerné par le 3D. Lorsque se pose la question d’une intervention, qu’elle soit chirurgicale ou interventionnelle d’un patient porteur d’une valvulopathie complexe, le 3D va permettre de mieux comprendre le mécanisme et de dialoguer avec le chirurgien. Pendant l’intervention, le chirurgien voit précisément comment se présente un prolapsus ou la qualité des cordages.

    Mesure de la contractilité myocardique, un passage nécessaire avant certaines chimiothérapies

    Autre point en matière d’innovation en échographie, le strain qui permet d’affiner la compréhension de la contraction cardiaque. Jusqu’à présent, la contractilité était évaluée à travers la fraction d’éjection du ventricule gauche (VG). Il est désormais possible d’appliquer des algorithmes de post-traitement qui vont identifier au sein du muscle cardiaque une « signature d’image » en niveau de gris.

    La déformation de cette signature entre la systole et la diastole permet l’identification de la déformabilité myocardique que l’on appelle le strain. L’altération du strain se produit avant la diminution de la fraction d’éjection du VG. Il s’agit donc d’un marqueur plus précoce d’atteinte de la contraction du muscle cardiaque.

    Ce paramètre important vient d’être mis en avant dans les dernières recommandations de l’ESC dans le domaine de la cardio-oncologie et publiées cette année. Certaines chimiothérapies ont une toxicité cardiaque et le strain du VG va s’altérer avant la fraction d’éjection sachant que la mise en place précoce de traitements protecteurs de l’insuffisance cardiaque permet une meilleure récupération. Les oncologues exigent ce type de mesure avant la mise en place d’anticorps monoclonaux comme le trastuzumab dans les cancers du sein métastatiques HER2+. Cette fonctionnalité est aujourd’hui proposée sur de nombreux échographes.

    D’autres mesures commencent à faire leur apparition comme l’Intérêt de l’accélération de la contraction isovolumique (IVA) pour évaluer le ventricule droit ou les analyses de paramètres de forces hémodynamiques ont plus une utilité en matière de recherche.  Elles permettent d’améliorer nos connaissances physiopathologiques mais n’ont pas encore de place en pratique clinique.

    Enseignement échographique par simulation, un essai transformé

    La SIMULATOR Study1 a été présentée par Theo PEZEL à l’ESC avec le groupe des jeunes de la filiale d’imagerie cardiovasculaire de la Société Française de Cardiologie.  Il s’agit de la première étude randomisée multicentrique sur le sujet. Elle a inclus 324 internes et 42 centres.

    Le premier groupe a suivi un enseignement traditionnel sur la réalisation d’une échographie transoesophagienne avec des cours magistraux pendant 6 mois. Le 2ème groupe a bénéficié en plus, de 2 séances de 2h à un mois d’intervalle sur un simulateur haute-fidélité qui mime la réalisation de l’examen.

    Les médecins ont été réévalués à 3 mois et les résultats sont significativement en faveur du groupe simulation. Il est constaté une meilleure connaissance théorique et en termes pratiques, les 10 coupes de bases effectuées sur un mannequin sont mieux réalisées par le groupe simulation avec un temps de réalisation plus rapide.

    Et l’IA va faire de nous de meilleurs médecins

    Le Machine learning et le deep learning sont 2 technologies d’IA actuellement exploités en cardiologie dans le traitement du signal, de la stratification du risque clinique ou encore dans le traitement de l’image.

    Le machine learning (apprentissage automatique) est la technologie la plus ancienne et la plus simple. Elle est alimentée par des données structurées et s’appuie sur un algorithme qui s’adapte à partir des retours faits par l’humain. Il existe ainsi différents algorithmes de machine learning, dont le plus classique est le Random survival Forest, qui permet d’identifier les variables d’intérêt au sein d’une liste de paramètres cliniques, biologiques et échographiques. A terme ces algorithmes vont complètement changer notre façon de stratifier le risque cardiovasculaire à travers la réalisation de scores combinant imagerie/clinique/biologique voire génomique.

    Le Deep learning (apprentissage profond) n’a pas besoin de données structurées. Le système se base sur des réseaux neuronaux combinant différents algorithmes dont le fonctionnement s’inspire du cerveau humain.

    Dans le domaine du signal, focus sur les arythmies

    Prenons l’exemple de la détection de la fibrillation atriale (FA).  Les recommandations demandent de moyenner l’arythmie. Manuellement, c’est une opération fastidieuse et par conséquent mal appliquée en pratique. Désormais automatisée, cette mesure fait partie des fonctionnalités proposées d’emblée par la machine. Intérêt principal, l’accélération du workflow grâce à l’automatisation de certaines tâches.

    Autre exemple, la réalisation d’un tir de doppler de la valve aortique afin d’évaluer le volume de sang qui passe à travers la valve. En pratique, il est nécessaire de passer par une série de manipulations :  la première étape consiste à figer l’image, puis de segmenter la totalité du flux à la main à l’aide de la souris. Cette opération prend 20 à 30 secondes. Désormais dès le premier clic, une segmentation automatique fiable est proposée par l’appareil. Cependant, une nouvelle étape vient d’être franchie lors des Hotlines de cette édition de l’ESC. La démonstration de la valeur pronostique de ces mesures automatisées.

    De la valeur pronostique de l’IA en échographie cardiaque

    En avril 2022, une équipe du Cedars-Sinai Medical Center à Los Angeles avec la collaboration de l’Université de Stanford a publié une étude de cohorte visant non seulement à mesurer précisément les caractéristiques du VG lors d’une hypertrophie mais aussi à identifier les causes sous-jacentes comme la cardiomyopathie hypertrophique et l'amylose cardiaque à l’aide d’une IA.  

    Cette recherche de l’affection primaire chez des patients avec une HVG était effectuée avec une méthode de deep learning s’inspirant du cortex visuel, le Convolutional Neural Network. Pour ce faire, ils ont intégré 24 000 vidéos d’échographie cardiaque. Ce "réseau neuronal « convolutif » a ainsi pu identifier avec un niveau de certitude relativement élevé, l'amylose cardiaque (AUC - Aire sous la Courbe de 0,79 donc une marge d’erreur de 21%) et la cardiomyopathie hypertrophique avec une AUC de 0,89, séparément des autres causes possibles dans une population sélectionnée. Un premier pas.

    EchoNet-RCT : l’IA c’est plus fort que toi !

    Lors de la hotline N°3, nous avons retrouvé le Pr David Ouyang du Cedars-Sinai (et…  dernier auteur de l’étude suscitée) en tant qu’investigateur principal de l’étude EchoNet-RCT. Certains se souviennent du match ayant opposé Garry Kasparov à Deep Blue le supercalculateur d’IBM en 1997. Un moment que tous les joueurs d’échecs considèrent comme un point de non-retour. Toute proportion gardée, j’ai un peu le même sentiment à l’issue de la présentation. 

    Pour faire court, une IA reposant sur des vidéos permet une lecture des échocardiogrammes plus précise et plus fiable que celle effectuées par des cardiologues expérimentés, ce qui laisse à penser que cette technique n’est plus expérimentale Ce que confirme David Ouyang en précisant que l’équipe prévoit de déployer la technologie à Cedars-Sinai et qu’elle est prête à l’emploi. A noter que la technologie utilisée avait fait l’objet d’un papier dans Nature en 20203.

    EchoNet-RCT est le premier essai réalisé en aveugle avec une IA dans le domaine de la cardiologie. Près de 3500 échocardiogrames ont été randomisés entre ceux qui ont été réalisés par l’IA et échographistes. Les comptes rendus effectués dans les 2 groupes ont ensuite été revus en aveugle par des cardiologues. L’objectif principal de l’étude était la proportion de cas dans lesquels les cardiologues ont modifié la lecture de la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) de plus de 5%.

    Le critère principal a été atteint dans 27,2 % des comptes-rendus générés par les échographistes mais seulement dans 16,8 % des rapports générés par l'IA, soit une différence moyenne de 10,5 % (p < 0,001). Alors que l’IA élimine complètement le travail de l’échographiste, elle est également associée à une réduction significative du temps médian du cardiologue consacré à l'évaluation de l'échographie (54 contre 64 secondes, p < 0,001).

    AI-ENHANCED pour la détection et la prédiction de la mortalité dans les sténoses aortiques

    Autre travail ayant eu les honneurs de la hotline, AI-ENHANCED présenté par Geoffrey Strange (University of Notre Dame, Fremantle, Australie) vise à détecter les sténoses aortiques et prédire la mortalité à 5 ans à l’aide d’une IA chez des patients ayant effectué des échocardiogrammes de routine. Dans cette étude de cohorte en population réelle, les investigateurs ont analysé les données de 1 077 145 examens auprès de 631 824 adultes dans 23 centres en Australie entre 1985 et 2019 avec une moyenne de 7,2 ans de suivi (âge moyen, 61 ans). Les chercheurs ont inclus 70 % de la population dans un ensemble visant à entrainer l’IA. Les 30 % restant de la cohorte ont été inclus dans un groupe de validation afin d’évaluer les performances de l'algorithme. Toutes les données ont été liées à l’Index de Mortalité National Australien.

    L'algorithme d'IA a permis de sélectionner les patients présentant un risque élevé (et tous les patients selon les recommandations actuelles) de mourir dans les cinq ans qui peuvent être manqués par les recommandations conventionnelles. Les résultats suggèrent donc que cet algorithme pourrait être utilisé dans la pratique clinique pour alerter les médecins en identifiant les patients susceptibles de bénéficier d’investigations supplémentaires pour déterminer s'ils sont éligibles à un remplacement valvulaire aortique.

    Compte tenu de la prévalence croissante de la sténose aortique et de son impact sur la mortalité, il est temps pour Geoffrey Strange de revoir la pratique de l'attente vigilante et d'envisager des tentatives plus proactives pour identifier les personnes à risque. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si le remplacement de la valve aortique améliore la survie et la qualité de vie des patients identifiés par l'AI-DSA (AI-decision support algorithm) comme présentant un risque élevé de mortalité, mais qui ne répondent pas aux définitions actuelles des recommandations.

    Aide à l’acquisition des images échographiques : l’IA prend la main 

    Nous pensions en avoir terminé avec ce focus sur l’échographie cardiaque. Mais nous avions occulté un point majeur. Nous savons que le plus grand défaut de l’échographie réside en son caractère opérateur dépendant. En France, toutes les boucles d’échocardiographie sont acquises par le cardiologue qui les interprète et fait le compte rendu. Aux États-Unis, ce sont des paramédicaux formés à cette tâche, les sonographers qui réalisent les examens. Derrière cette stratégie, on retrouve l’idée de réaliser une échographie cardiaque de débrouillage au point d’intervention (POCUS – Point Of Care Ultra Sound).

    En France, ces « échocardioscopies » de débrouillage intéressent aujourd’hui principalement les Urgentistes et les réanimateurs. Theo Pezel souligne qu’à l’hôpital Lariboisière le SAMU possède un V-SCAN (échographe portatif) embarqué. En pratique, le POCUS permet une estimation visuelle de la fonction ventriculaire gauche, d’éliminer un épanchement péricardique et avec le doppler d’identifier des valvulopathies.

    Une startup Israélienne vient d’obtenir un marquage CE pour une technologie basée sur l’IA permettant de guider l’opérateur à l’acquisition des images d’échocardiographie4 de qualité diagnostique Ce software qui s’implémente sur l’échographe offre aux professionnels de santé, quelle que soit leur expérience, des instructions en temps réel sur la façon de capturer des images de haute qualité. Le réseau neuronal d’IA embarqué prédit la position de la sonde d’échographie par rapport au cœur, en se basant uniquement sur le flux vidéo d’échographie et guide l’utilisateur sur la manière de manœuvrer la sonde pour l’acquisition de séquences optimales L’étude pivot réalisée au centre médical Sheba à Ramat Gan (Israël) a révélé que le guidage par l’IA permettait aux professionnels de santé qui n’avaient pas d’expérience préalable en échographie d’obtenir des images cardiaques de qualité permettant un diagnostic chez 100 % des patients versus utilisateurs expérimentés. L’étude est en cours de publication. Comme nous l’explique Salvatore Di Somma, directeur de la médecine d’urgence de l’université de Sapienza à Rome, en Italie. « De nombreux internes en médecine ont rejoint le domaine des soins de santé depuis la pandémie. Cependant, les services d’urgence européens qui cherchent à adopter l’échographie sur le lieu de soins peinent à leur fournir la formation pratique et la supervision nécessaires »

    L’IA n’a donc pas finit de truster les HOTLINES, rendez-vous à Amsterdam en 2023.

     

    Bibliographie :

    1 Pezel T. et Coll. SIMULATOR-Study a multicenter randomized study to assessthe impact of a SIMULation-bAsed Training on transoesophageal echocardiography learning for cardiology resident. groupe des jeunes de la filiale d’imagerie cardiovasculaire de la Société Française de Cardiologie. ESC 2022

    2 Duffy G. et Coll. High-Throughput Precision Phenotyping of Left Ventricular Hypertrophy With Cardiovascular Deep Learning JAMA Cardiol 2022 Apr 1;7(4):386-395. doi: 10.1001/jamacardio.2021.6059.

    3 Ouyang D. Video-based AI for beat-to-beat assessment of cardiac function Nature 2020 Apr;580(7802):252-256. doi: 10.1038/s41586-020-2145-8. Epub 2020 Mar 25.

    4 UltraSight receives CE mark for novel cardiac AI technologies PR Newswire Aug 25th 2022

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