Interview du week-end
Bronchectasie : “cette maladie touche près de 350.000 patients en France, ce n’est pas exactement rien”
Ce 1er juillet se tiendra la Journée mondiale de la bronchectasie. Pr Pierre-Régis Burgel, pneumologue à l'hôpital Cochin (AP-HP, Paris), lève le voile sur cette maladie pulmonaire méconnue du grand public, bien qu’elle touche pourtant près de 350.000 personnes en France.

- Par Sophie Raffin
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- Silver Place/istock
- Pourquoi Docteur : qu’est-ce que la bronchectasie ?
Pr Pierre-Régis Burgel : La bronchectasie ou la dilatation des bronches - ces deux termes sont parfaitement synonymes - est la troisième maladie bronchique la plus fréquente. Les deux premières étant l'asthme et la BPCO. Elle touche près de 350.000 patients en France, ce n’est pas exactement rien.
Les gens se présentent dans les cabinets des médecins le plus souvent, soit en toussant et en crachant tous les jours, soit en faisant des bronchites à répétition. Ils vont donc prendre des antibiotiques plusieurs fois par an. Mais ils continuent de tousser, d’être encombrés, de cracher…
En fait, leurs bronches sont dilatées. Les sécrétions s’y accumulent et servent de lieu de reproduction pour les bactéries. Et, l'infection s'installe. C'est un problème respiratoire répétitif.
Bronchectasie : “tant qu’il n'y pas un scanner thoracique, il n'y a pas de diagnostic de dilatation des bronches”
- Comment cette maladie pulmonaire est diagnostiquée ?
Le diagnostic se fait par un scanner des poumons. S'il n'y a pas de scanner des poumons, il n'y a pas de diagnostic de dilatation des bronches. Sur le scanner thoracique, des critères montrent que les bronches sont plus larges que ce qu'elles devraient être. Normalement, une bronche fait la même taille que le petit vaisseau sanguin voisin. En cas de bronchectasie, elle peut être une fois et demie, deux fois plus grosse.
Les radiologues savent le voir, il n'y a pas de problème. Mais, il peut y avoir une errance diagnostique, car tant qu’il n'y pas un scanner thoracique, il n'y a pas de diagnostic de dilatation des bronches. Ainsi, il faut vraiment avoir ce réflexe : symptômes respiratoires quotidiens et/ou infections respiratoires chroniques à répétition égal un scanner des poumons.
- "Infections à répétition", cela veut dire qu’il faut s’inquiéter à quel moment ?
Si la personne fait plus de 2 ou 3 bronchites dans la saison, qui est - ce que les gens appellent entre eux - fragiles des bronches, il est bon de faire un scanner.
Bronchectasie : "il y a 50 à 60 % des cas où on ne retrouve pas de cause évidente"
- Quelle est la suite du parcours de soin une fois le diagnostic posé ?
Une fois qu'on a posé le diagnostic de dilatation des bronches, il faut évaluer la maladie pour bien la prendre en charge. Les examens clé sont l'examen cytobactériologique des crachats et des expectorations. Ce test, appelé un ECBC, permet de voir s'il y a des bactéries dans les poumons et de guider l'antibiothérapie s’il y a besoin d’en donner. On peut aussi faire des explorations fonctionnelles respiratoires pour voir le retentissement respiratoire, savoir si la fonction pulmonaire est altérée ou pas.
Ensuite, d’autres examens permettent de rechercher la cause de la bronchectasie. Il y a plusieurs causes possibles. Mais il faut savoir que la recherche est susceptible d’être décevante, puisqu'on estime qu'il y a 50 à 60 % des cas où on ne retrouve pas de cause évidente, hormis des phénomènes infectieux à répétition. Lorsqu’on trouve la cause, c’est très intéressant, car cela oriente les traitements.
- Quelles sont les causes connues de cette maladie pulmonaire ?
Il y a des causes liées à des déficits de l'immunité, en particulier des déficits en immunoglobuline. On peut aussi citer les maladies générales, des connectivites (ensemble de maladies auto-immunes pouvant toucher plusieurs organes comme le syndrome de Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde), des pathologies chroniques inflammatoires type rectocolite hémorragique ou maladie de Crohn. Les réactions allergiques pulmonaires à des champignons, baptisées aspergilloses bronchopulmonaires allergiques, peuvent aussi être responsables. L’asthme et le BPCO peuvent aussi être liées à la maladie.
Après, il y a des pathologies génétiques comme les maladies des cils, appelées dyskinésie ciliaire primitive, ou encore la mucoviscidose. Les causes sont finalement un petit peu multiples, avec des diagnostics de causes pas toujours faciles à faire. Raison pour laquelle, il peut être utile d'envoyer les malades dans des centres experts pour essayer d'identifier une cause.
Dilatation des bronches : "c'est une maladie dont on ne guérit pas"
- Peut-on guérir de la bronchectasie ?
C'est une maladie dont on ne guérit pas. Puisque les branches qui sont abîmées, le restent de façon définitive. Par contre, il est possible de diminuer les symptômes quotidiens, d'améliorer la qualité de vie des malades, de diminuer les épisodes aigus (les exacerbations) et d'éviter une dégradation de la fonction pulmonaire qui peut survenir en particulier chez les gens qui ont des exacerbations à répétition.
Cela passe par le drainage du mucus, c'est-à-dire diminuer la quantité excessive de mucus accumulée dans les poumons. Il y a plusieurs moyens pour y parvenir. Le premier est la kinésithérapie respiratoire. L'activité physique peut aussi aider. En particulier, les activités sportives qui conduisent à cracher.
Du côté des traitements médicamenteux, il y a les bronchodilatateurs et surtout les antibiotiques, donnés principalement lors des épisodes aigus.
Il y a aussi des traitements qui ne sont pas encore disponibles, mais qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité comme les anti-inflammatoires qui ciblent en particulier les globules blancs et les polynucléaires neutrophiles. Un médicament qui s'appelle le Brensocatib, est particulièrement prometteur, selon les données publiées dans la revue New England Journal of Medicine, cette année. Il a montré sa capacité à diminuer les épisodes d'exacerbations, notamment chez les malades qui en ont souvent.
- Pourquoi cette maladie, qui est tout de même assez fréquente, est si peu connue ?
La dilatation des bronches a été beaucoup négligée par le passé. Une des problématiques était le diagnostic. Jusqu'à il y a 30 ou 35 ans, il n'y avait pas de scanners à large échelle dans le pays. Le diagnostic reposait alors sur un examen assez barbare qu'on appelle la bronchographie lipiodolée. On faisait inhaler aux gens un produit radio-opaque. C’était en quelque sorte la noyade d'un hémi-poumon pour voir si les bronches étaient dilatées. Je vous laisse imaginer la facilité de faire accepter cet examen aux gens ou même de le réaliser. Il y avait donc peu de diagnostic.
C'est avec le développement progressif du scanner - et en particulier des scanners actuels capables de réaliser des coupes très précises en haute résolution - qu'on s'est aperçu de l'ampleur du problème et du fait que des gens qui faisaient des maladies bronchiques chroniques pouvaient présenter des dilatations des bronches.
"L’objectif de la journée mondiale de la bronchectasie est que les gens identifient l'ampleur du problème"
- Quel est l'objectif de la journée mondiale de la bronchectasie ?
L’objectif de la journée mondiale de la dilatation des bronches est que les gens identifient l'ampleur du problème. Il s’agit de la troisième maladie bronchique. Il y a environ 350.000 personnes en France qui en sont atteintes, un grand nombre d'entre elles n'ayant pas été diagnostiquées.
Ces patients ont des infections respiratoires, prennent des antibiotiques, pour certains de façon très régulière. Pour les cas les plus sévères, ce sont des maladzq qui vont être hospitalisés, qui vont parfois avoir des insuffisances respiratoires ou même parfois avoir besoin de greffes pulmonaires.
La bronchectasie est un problème de santé publique qui a été largement négligé. Il est essentiel de mieux identifier les patients, de mieux les caractériser, d'identifier les causes quand elles sont identifiables et de mieux les traiter, de façon à la fois de diminuer l'impact individuel sur les malades, l'impact sociétal en termes d'utilisation du système de soins et enfin l'impact environnemental d'utilisation de grandes quantités d'antibiotiques.
Néanmoins, c’est aussi une maladie qui s'est beaucoup structurée au cours des dix dernières années. Elle fait l'objet d'une recherche extrêmement intense avec de nombreux nouveaux traitements qui sont soit en essais cliniques, soit en train d'arriver. Les perspectives sont loin d'être négatives pour les patients souffrant de bronchectasie.
D'où l'intérêt de faire des diagnostics et de bien caractériser les causes de la maladie. De cette façon, il est possible de bien prendre en charge les patients et de leur proposer des thérapeutiques innovantes.