Gériatrie

Conduite automobile des seniors : la question sensible des troubles cognitifs

La question de l'interdiction de la conduite automobile des seniors sur un simple score agite la communauté scientifique. Les printanières de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie) y ont été consacrées.

  • Alessandro Biascioli/istock
  • 18 Mar 2023
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    Les printanières de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie) ont eu lieu le jeudi 9 mars. La question sensible de la conduite en cas de troubles cognitifs débutants ou très légers a été un des thèmes de cette journée organisée en distanciel.

    Fréquence Médicale a rencontré le professeur Sylvie Bonin-Guillaume, gériatre à l'AP-HM et spécialiste de la question. Elle refait le point avec nous sur la vive polémique qui avait agité la communauté gériatrique à ce sujet il y a tout juste un an. Et nous livre au passage de précieux conseils pour la prise en charge pratique de cette question complexe. 

    « Peut-on encore conduire après 80 ans ? » C'est la question à laquelle les printanières de la SFFG, répondent. Pourquoi ce sujet ?

    La polémique autour de l'arrêté du 8 mars dernier a été un petit peu le moteur de cette journée des printanières avec un titre volontairement provocateur. Le sujet de la conduite automobile des personnes atteintes de troubles cognitifs débutants était très polémique dans le milieu. Il paraissait donc important à la communauté scientifique de prendre la distance avec les aspects émotifs que cette situation a soulevé en apportant  des données scientifiques issues d’études en France

    L'arrêté en question a interdit la conduite à toute personne atteinte de troubles cognitifs à partir du moment où « un doute subsiste sur la nature du trouble » et dès que le stade 3 de l'échelle de Reisberg est atteint. 

    Pourquoi la parution de l'arrêté avait suscité une si vive contestation dans la communauté gériatrique ?

    C'est la formulation de l'arrêté et l'utilisation d'un outil avec un score sec, sec qui pose problème. Ce n'est pas du tout la remise en question de limiter voir arrêter la conduite chez des patients qui ont des troubles cognitifs majeurs. L’utilisation d’un score seuil « sanction » peut paraître facile mais en fait complique la tâche car ce score doit être interprété en fonction de la situation du patient au moment de l’évaluation et plusieurs facteurs externes peuvent aussi l’altérer  

    L'arrêté manque de clarté et a mis à mal les spécialistes des consultations mémoire pour savoir à quel moment l'interdiction devait être totale ou partielle ou pas. Actuellement encore beaucoup de spécialistes souhaitent que l'arrêté soit modifié. 

    L'échelle de Reisberg a été qualifiée par la SFGG d'obsolète à la parution de l'arrêté. Existe-t-il un autre score ou échelle pour évaluer les aptitudes à la conduite d'un patient atteint de troubles cognitifs ?

    Non, il n’existe pas un test standard unique, fiable, spécifique à 100% qui va dire si un patient est apte ou non à conduire, puisque l’aptitude en soi est quelque chose de pluriel. Quand on parle de test ou d'échelles d'évaluation, il faut toujours être très vigilant sur les scores que l'on retrouve parce qu'ils sont variables en fonction de celui qui les passe, du moment où on les passe et de l’interprétation qu'on en fait.

    La question de la conduite est-elle complexe pour tous les stades des maladies neuro-cognitives ?

    Non, bien sûr, la question est moins complexe lorsqu’on a des troubles cognitifs qui sont déjà avancés. Jusqu'à présent, je dois dire qu’implicitement, une maladie neuro-dégénérative majeure à un stade parfois modéré ou sévère faisait partie évidemment des recommandations d'arrêt de la conduite. De plus bien souvent les personnes atteintes de troubles cognitifs majeurs évolués arrêtent spontanément la conduite.

    Pour les troubles cognitifs débutants, la question du maintien de la conduite est donc plus délicate ?

    Oui, en cas de déclin cognitif très léger, la question se pose du maintien de la conduite. La question est alors complexe, car il faut aussi prendre en compte l'environnement et les habitudes de conduite de la personne. Par exemple, plus elle a conduit moins la charge mentale pour conduire est importante.

    Comment en pratique se poser les bonnes questions pour le maintien ou non de la conduite en cas de troubles cognitifs légers ?

    Il faut quoi qu'il en soit suivre le patient régulièrement. Il faut aussi s'assurer de l'utilité de la voiture, des trajets qui sont fait dans cette voiture et des difficultés qui sont rencontrées : est ce qu'il y a eu des accidents ? des accrochages ? Je ne parle pas d'accidents mortels bien sûr. Il est aussi important de connaître l'existence ou non de possibles alternatives à la conduite. Et il faut inciter fortement le patient, et l'entourage à faire une évaluation auprès d'un médecin agréé à la conduite. .

    A quel spécialiste se référer en cas de doute ?

    Il est utile dans ces cas-là de demander l’avis d’un spécialiste dans une consultation mémoire parce qu’ils sont habilités à voir les capacités cognitives de ces patients. Il faut au préalable expliquer aux patients l’intérêt de faire des tests qui peut-être montreront ou ne montreront pas de difficultés. Les consultations mémoire sont vraiment un lieu où dans ce contexte là, il peut y avoir un vrai dialogue, un vrai débat avec ces patients et leur entourage.

    Les printanières nés de cette polémique vont-elles pouvoir apporter des éclairages sur l'évaluation des aptitudes à la conduite automobile en cas de troubles cognitifs ?

    Oui, car suite à cet arrêté qui a fait couler beaucoup d'encre, un groupe de travail s'est constitué avec des représentants de la fédération des consultations mémoire, des médecins généralistes, des médecins agréés à la conduite et des gériatres. Leur objectif était d'élaborer des algorithmes à la fois décisionnels et de sensibilisation pour mieux cibler l'attitude vis à vis du maintien de la conduite auprès des patients et de leur famille en cas de troubles cognitifs. Et donc ce groupe de travail va présenter lors des Printanières les résultats de leurs travaux et je pense que ce sera un moment très important pour savoir ce qui est retenu comme étant le plus consensuel possible dans la pratique médicale globale. Et plus généralement cette journée sera riche en informations car elle associe aux médecins  de multiples autres spécialistes comme des chercheurs en conduite automobile, des commandants de police, ou encore les ingénieurs de la voiture de demain. Parce que par exemple la voiture de demain qui sera présentée va peut être permettre de compenser le vieillissement en permettant plus de facilités de conduite.

    L'objectif de ces conférences rappelle pour conclure le Pr Bonin-Guillaume est d’assurer une mobilité et une autonomie de la personne âgée avec l’accompagnement adapté à son état de santé.

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    JDF