Oncologie
Cancers coliques : les dépôts tumoraux sont un critère pronostique
Les dépôts tumoraux pourraient aider les cliniciens à choisir le bon traitement par chimiothérapie selon le profil des patients atteints de cancers coliques de stade III. Des études sont en cours pour affiner leur valeur pronostique.
- Istock/Rost-9D
Nous sommes à l’ère de la modulation de la durée et du type de traitement adjuvant des cancers coliques de stade III en fonction de critères anatomo-pathologiques.
La présence de dépôts tumoraux (définis comme des amas de cellules tumorales dans la graisse péricolique, sans tissu ganglionnaire résiduel reconnaissable), ainsi que leur nombre, devraient être intégrés au compte des ganglions métastatiques dans le stade pN de la classification pTNM. Ceci, afin d’évaluer au mieux leur pronostic et de définir de manière optimale la durée et le type de traitement adjuvant chez ces malades
Les dépôts tumoraux, définition et utilité diagnostique
Les dépôts tumoraux (DT) sont des amas de cellules tumorales présents dans la graisse péricolique des malades atteints de cancer colique, sans tissu ganglionnaire résiduel reconnaissable. Ils ont été décrits en 1935 pour la première fois. Cependant, leur définition, ainsi que leur impact clinique ont évolué au cours du temps. Leur présence a été prise en compte pour la première fois dans la 5ème édition de la classification AJCC/TNM, en 1997. Dans les classifications TNM5, puis 6, les DT ont été classés en ganglions métastatiques, respectivement en fonction de leur taille (si >3 mm), puis de leurs contours (arrondis).
Les DT surviennent chez environ 20 % des patients atteints de cancer colique et sont associés à un mauvais pronostic dans les études de cohorte. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les DT ont été individualisés dans la classification TNM7, dans laquelle ils ont désormais été considérés comme une entité distincte des métastases ganglionnaires. Ils ont alors été définis comme un « foyer tumoral dans la graisse péricolique ou périrectale, à distance du front d’invasion de la tumeur, dans le territoire de drainage lymphatique de cette dernière, sans tissu ganglionnaire résiduel reconnaissable ». Pour cela, la sous-catégorie pN1c a été créée et les tumeurs ayant des DT, sans métastase ganglionnaire associée, y sont integrées, notamment afin de pouvoir réaliser un suivi pronostique de ces malades.
Non-prise en compte des DT
Cependant, ni la présence ni le nombre de DT ne sont pris en compte dans la stadification pN en cas de ganglions métastatiques concomitants. Or, les résultats de l’essai clinique de phase III IDEA (International Duration Evaluation of Adjuvant chemotherapy), dont le but était d’évaluer la non-infériorité de 3 mois de chimiothérapie adjuvante (FOLFOX ou CAPOX) versus 6 mois de chimiothérapie standard dans les cancers coliques de stade III, ont récemment mis en évidence que le type et la durée de la chimiothérapie adjuvante pouvaient être adaptés en fonction du niveau de risque des patients et notamment du nombre de ganglions métastatiques (IDEA international collaboration; Grothey et al, NEJM 2018, André et al., JCO 2018).
Disease-free survival according to (A) the pN subpopulations, (B) the presence or absence of tumor deposits, and (C) the initial pN stage and the presence or absence of tumor deposits


En effet, les analyses de sous-groupes ont montré une supériorité de 6 mois de traitement adjuvant par FOLFOX, comparé à 3 mois, notamment chez les malades ayant des cancers coliques de stade pT4 et/ou N2 (haut risque), tandis que 3 mois de CAPOX sont équivalents à 6 mois de traitement en cas de tumeur pT1-3 et N1 (bas risque).
Ainsi, à l’ère de la modulation de la durée et du type de traitement adjuvant dans les cancers coliques de stade III en fonction de critères anatomo-pathologiques, le fait de ne prendre en compte les DT qu’en l’absence de métastases ganglionnaires concomitantes est potentiellement responsable d’une perte de la capacité à prédire le pronostic des patients avec un cancer colique de stade III. De plus, certaines études récentes, dont une méta-analyse, ont suggéré que les DT devraient être ajoutés au compte des ganglions métastatiques (Nagtegaal et al., JCO 2016).
Dépôts tumoraux : facteur pronostique majeur
Une analyse post hoc de tous les compte-rendus anatomo-pathologiques des malades inclus dans l’essai clinique de phase III IDEA France (NCT00958737), ayant porté en particulier sur la présence et sur le nombre de DT, a été réalisée. L’objectif primaire était de déterminer l’impact pronostique des DT sur la survie sans récidive.
Disease-free survival of the pN subpopulation after the addition of tumor deposits to the lymph node metastasis count in patients initially classified as pN1

L’effet de l’ajout des DT au compte de ganglions métastatiques (sur la base d’un DT = un ganglion métastatique) avec, par conséquent, une restadification pN des malades, a également été évalué. Enfin, une analyse multivariée a été réalisée afin d’établir l’association entre les DT et la survie sans récidive. 184 des 1942 malades inclus dans l’étude (soit 9,5%) avaient des DT. Les groupes pN1a/b et pN1c présentaient une survie sans récidive identique. De plus, un impact pronostique négatif des DT a été observé, quel que soit le stade pN (DT comme variable qualitative) (Figures 1B et 1C).
Multivariable Cox regression analysis for disease-free survival

*Low-risk stage III
** High-risk stage III
En analyse multivariée, les DT étaient associés à un risque plus élevé de récidive ou de décès (HR=1.36; P=.0201). Les autres facteurs péjoratifs incluaient un stade pT4 et/ou pN2 (HR=2.21; P<.001), un traitement adjuvant de 3 mois (HR=1.29, P=.0029), une tumeur obstructive (HR=1.28; P=.0233), et le sexe masculin (HR=1.24; P=.0151). Un total de 35 malades classés initialement pN1 (soit 2,4% de la population) a été reclassé en pN2 après ajout des DT aux métastases ganglionnaires (DT comme variable quantitative). De manière intéressante, ces 35 malades reclassés en pN2 présentaient une survie sans récidive identique à celle des malades classés initialement pN2.
Des dépôts plus fréquemment décrits
Les DT étaient plus fréquemment décrits dans les compte-rendus anatomo-pathologiques standardisés que dans ceux non standardisés (12% versus 8%, P=0,0045). L’effet pronostique délétère des DT était significativement plus important chez les malades ayant des emboles vasculaires. En revanche, il n’a pas été mis en évidence d’interaction entre les DT et le stade pN d’une part, de même qu’entre les DT et la durée du traitement (3 mois versus 6 mois).
La présence de DT, ainsi que leur nombre, devraient être intégrés au compte des ganglions métastatiques dans le stade pN, afin de classés au mieux certains malades comme à haut risque, notamment afin de définir la durée optimale de traitement chez ces malades.Les DT sont un facteur pronostique péjoratif indépendant majeur pour la survie sans récidive des malades atteints de cancer colique de stade III, qui devrait donc être pris en compte dans l’évaluation du pronostic de ces malades.
Ces résultats suggèrent que la présence de DT, ainsi que leur nombre, devraient être intégrés au compte des ganglions métastatiques dans le stade pN, afin de classés au mieux certains malades comme à haut risque, notamment afin de définir la durée optimale de traitement chez ces malades. Cette étude n’a pas permis d’évaluer l’impact de la durée du traitement (3 mois versus 6 mois) chez ces malades, principalement en raison du faible nombre de malades reclassés. L’analyse des autres cohortes d’IDEA (notamment la cohorte Nord-Américaine CALGB/SWOG 80720 trial; ClinicalTrials.gov number, NCT01150045 dont le recueil des données est en cours) permettra, nous l’espérons, de répondre à cette question, de même qu’à celle de l’impact du type de traitement (FOLFOX versus CAPOX). Enfin, il semble essentiel que les pathologistes utilisent un compte-rendu standardisé, en raison de l’implication clinique potentielle de la mise en évidence de DT pour le traitement adjuvant personnalisé des malades atteints de cancer colique de stade III.











