Addictologie
Schizophrénie : l’onde de choc de la légalisation du cannabis chez ces patients à risque
Chez les adultes ayant des antécédents de psychose, la légalisation récréative du cannabis dans certains états aux USA s’accompagne d’une hausse marquée de la consommation des malades psychotiques, supérieure à celle observée en population générale mais ne s’accompagne pas, à ce stade, d’un glissement vers des usages plus fréquents. La montée des produits très concentrés pourrait en majorer l’impact clinique.

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La consommation de cannabis aggrave classiquement l’évolution des troubles psychotiques (symptômes, rechutes, hospitalisations). L’extension rapide des marchés commerciaux du cannabis, avec une offre à forte teneur en THC, interroge donc tout particulièrement pour cette population vulnérable.
Exploitant la cohorte nationale américaine PATH (Population Assessment of Tobacco and Health), seul suivi représentatif collectant des données individuelles sur usage de substances et antécédents de psychose, les auteurs ont appliqué une approche de différences-en-différences pour isoler l’effet de la légalisation récréative du cannabis.
Selon les résultats publiés dans le JAMA psychiatrie, chez 1856 adultes ayant déclaré un diagnostic/épisode psychotique au cours de la vie (7465 observations entre 2014 et 2022), la légalisation récréative du cannabis est associée à une augmentation absolue de 9,53 points de pourcentage de l’usage dans les 30 jours (IC à 95 % 3,05–16,00 ; p=0,004) par rapport aux États témoins. Ce saut dépasse nettement celui décrit dans la population générale après légalisation récréative du cannabis (≈+3,3 points), suggérant une vulnérabilité différentielle à la libéralisation.
La montée des produits très concentrés pourrait en majorer l’impact clinique.
Les analyses de sensibilité confirment que l’inflexion survient après la commercialisation effective (ouverture des dispensaires), sans signal avant, ce qui renforce l’attribution causale au contexte de marché. En revanche, aucune hausse significative de l’usage hebdomadaire n’est détectée, évoquant pour l’instant une extension des usages « occasionnels » plutôt qu’une intensification des pratiques.
La moyenne d’âge de l’échantillon est de 36,6 ans (ET 14,8), 58,2 % sont des femmes ; le taux d’usage à 30 jours en base est de 31,8 %. Les auteurs n’observent pas de modification robuste selon les catégories sociodémographiques usuelles, mais soulignent une limite de puissance pour des analyses fines.
Aucune mesure directe d’événements indésirables ou d’issues cliniques (rechute, hospitalisation) n’était intégrée à ce volet ; il n’y a donc pas de « profil de tolérance » au sens pharmacologique. Le risque potentiel tient toutefois à la conjonction de patients fragiles et d’une progression de la part de marché des produits à forte puissance, susceptible d’augmenter le risque de décompensation même chez des usagers non quotidiens.
Les psychiatres doivent systématiser le dépistage d’usage de cannabis
Méthodologiquement, l’étude exploite PATH, cohorte longitudinale représentative américaine, et applique un modèle DID comparant l’évolution des États ayant adopté la légalisation récréative du cannabis à celle d’États témoins, en contrôlant les tendances communes. Les auteurs distinguent l’effet de la légalisation de celui de la commercialisation (ouverture des points de vente), testent des spécifications en événements (event-study) et retrouvent des pré-tendances parallèles compatibles avec l’identification. Les limites sont notables : diagnostic de psychose auto-rapporté (sans validation clinique ni données de traitement ou de sévérité), absence d’information sur la puissance des produits, hétérogénéité résiduelle des sous-groupes et légère surreprésentation des femmes par rapport à d’autres cohortes. La généralisation hors contexte américain doit être prudente, mais la taille et la représentativité de PATH confèrent un poids de santé publique au signal.
Selon les auteurs, trois axes se dessinent. Les psychiatres doivent systématiser le dépistage d’usage de cannabis (produit, fréquence, puissance perçue) à chaque consultation de suivi psychotique et informer sur les risques spécifiques, y compris pour des usages non quotidiens. Il faut intégrer des messages clairs sur l’augmentation du risque post- légalisation récréative du cannabis, privilégier l’abstinence et, à défaut, des stratégies de réduction des risques (éviter produits hauts en THC, privilégier teneurs CBD/THC plus favorables, réduire co-consommations). Il est également nécessaire d’encourager des avertissements dédiés sur la psychose sur l’étiquetage, la régulation par puissance (taxation au THC plutôt qu’au poids), et le contrôle des allégations « bien-être mental » dans la publicité.
La légalisation récréative du cannabis s’accompagne chez les patients psychotiques d’une hausse substantielle de la consommation : un signal d’alerte opérationnel pour adapter nos pratiques et nos politiques avant que le fardeau clinique ne s’alourdisse.