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Santé et Présidentielle : un véritable système de santé et pas seulement un système de soins

La campagne présidentielle a commencé après de multiples crises, dont la Covid-19, et nous avons interrogé les candidats et des représentants de la société civile sur leurs propositions de réforme de la Santé. Aujourd’hui, l’interview de Monsieur Gérard Raymond, président de « France Assos Santé », qui est la voix des associations de malades et a présenté 20 propositions pour améliorer le système de santé.

  • sefa ozel/istock
  • 08 Avr 2022
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    Gérard Raymond est diabétique, président de France Assos Santé, « l’Union nationale des associations agréées d’usager du système de santé ». Il a été un militant historique et le président pendant de nombreuses années de la Fédération Française des Diabétiques. Il est depuis toujours le défenseur infatigable de l’approche communautaire en santé et de la démocratie sanitaire.

     

    Quelle est l’analyse des associations de malades sur les problèmes mis en évidence lors de la crise de la Covid ?

    Aujourd'hui, la crise sanitaire a montré que notre système de santé était à bout de souffle et nous avons une échéance politique qui prend en compte le chapitre santé comme un domaine important. Il y a la révolution numérique qui a fait la démonstration de son utilité pendant la Covid. Il y a donc une opportunité pour le changement, même si les politiques sont par nature assez prudents.

    Mais il y a un autre évènement important pour nous, c'est la commémoration de la loi sur les droits des patients, du 4 mars 2002, qui a quand même marqué une transformation dans l'organisation et la représentation des usagers de la santé au sein du système de santé.

    Au regard de toutes ces conjonctures, il y a, à peu près, unanimité : je ne vois pas grand monde nous dire qu'il ne faut pas remettre à plat l'organisation et le fonctionnement de notre système de santé. Donc, on est tous d'accord pour dire qu'il faut s’orienter vers une nouvelle organisation, qu'il y a des nouvelles missions à mettre en place et qu'il y a une nouvelle réflexion à mener.

    On est tous à peu près l'accord, même la médecine libérale de premier recours, et on ne peut que s'en féliciter. Après, les solutions et les propositions qu'on peut avoir les uns les autres ne sont pas tout à fait les mêmes. 

    Mais justement, on a eu une crise sévère, avec des ruptures de soins. C'est quoi la philosophie générale de ce que vous voulez changer ?

    Notre philosophie, c'est que l’on doit véritablement s'orienter vers un véritable « système de santé » et pas seulement un système de soins. C'est à dire qu'il faut prendre en compte aujourd'hui l'éducation à la santé, la prévention primaire, l'information de la population sur son capital-santé, la prise en compte de tous les facteurs environnementaux et les aspects socioéconomiques sur les territoires. Au final, il faut que l'on ait une vraie politique de santé publique qui permette à chaque citoyen d'avoir une bonne connaissance du système de santé et du système de soins, mais aussi de reconnaissance de son capital santé. Il faut aussi lutter contre la désinformation et donner une information scientifiquement prouvée, claire, transparente à tous les citoyens. Dans nos 20 propositions pour transformer notre système de santé, on parle beaucoup de NutriScore, de politique de santé, de consultation aux âges clés de la vie, de prévention à tous les âges de la vie. On en a besoin parce qu'il y a nécessité d’un accompagnement des personnes. Avoir aussi une vraie loi cadre de santé publique avec un échéancier de 5 ans... Donc, on veut véritablement s'engager sur une politique de santé, de prévention, d'éducation à la santé et d'accompagnement.

    Le deuxième point sur lequel on a porté de nouvelles propositions, c'est : « comment on répond aujourd'hui aux attentes et aux besoins d'une population ? » Et il faut que l'offre sanitaire et médicale, en y rentrant le soin, réponde aux attentes et aux besoins d'une population, tout en sachant qu’il faudra faire avec ce qu'on a. Je l'entends beaucoup moins aujourd'hui mais il y a quelques mois, certains candidats disaient « pour résoudre le problème on va embaucher 10 000 médecins. » Mais ces médecins, avec la longueur de leur formation, on les aura en 2033 et pas en 2023 ! Ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas faire comme ça, mais qu’il fallait s’appuyer sur les autres professionnels de santé. Donc, il faut trouver de nouvelles organisations et sortir de la médecine individuelle ou solitaire et passer à une médecine solidaire, c'est-à-dire une médecine d'équipe. On a été en partenariat avec les maisons de santé pluridisciplinaire mais j’ai aussi échangé avec des professionnels libéraux qui eux, parlent « d'équipe de soin » avec le patient. Et donc, on voit bien derrière cela la question de la « délégation de tâches ». Je n'aime pas ce mot là, mais plutôt « le transfert ou la délégation de compétences ». Et on voit bien que sur des parcours programmés de patients chroniques, soit un diabète, un asthme, une insuffisance cardiaque… on peut parfaitement déléguer les tâches de suivi et d'accompagnement à des infirmières ou même à d'autres professionnels de santé, y compris avec les moyens modernes de suivi à distance par la téléconsultation. Pour certains actes, on n’a pas besoin d'un médecin généraliste ou d’un spécialiste, avec 9 à 10 ans d'études. Je suis diabétique de type 1 et il n’y a pas besoin d’un médecin pour suivre mon lecteur glycémique.

    Donc, il y a toute cette réorganisation, ce travail d’équipe, qu'il faut mettre en place avec l'ensemble des professionnels de santé disponibles, et il y a les projets de territoire et de santé qui nous paraissent être aujourd'hui très importants. 

    Cela veut dire que les malades veulent être impliqués dans les modes d'organisation au niveau des territoires ?

    Oui ! Et pour que l'on arrive à ce résultat-là, il faut que les citoyens, pas les malades mais les citoyens, soient impliqués dans le « Projet de soins de santé sur le territoire ». Et donc, ce n'est pas seulement du recours à des professionnels de santé, mais c'est aussi des politiques de territoire et des citoyens.

    Et j'avais même émis cet été l’idée qu’il faudrait que dans chaque mairie, il y ait un adjoint au maire qui soit là pour créer cette dynamique de réflexion sur la santé. Pas simplement du social, mais aussi la santé. C'est-à-dire avoir un comité-citoyen qui réfléchisse avec les professionnels de santé sur comment mieux s'organiser sur un territoire donné.

    L’objectif c’est d’éviter qu’une personne qui a une simple phlébite n’aille directement aux urgences. Elle doit d'abord aller voir son médecin ou un professionnel sur son territoire de santé, avant d'aller éventuellement aux urgences. Cela fait partie de « l'acculturation » de l'ensemble de la population à la santé et à l’utilisation optimale du système de santé. 

    De nombreux malades, qu'ils soient chroniques ou pas, sont suivis entre la ville et l'hôpital. Or on voit que c'est parfois 2 mondes à part. Quel est le point de vue des associations sur l'organisation des soins entre la ville et l’hôpital ?

    On en parle depuis longtemps de cette dissociation et ce problème est récurrent. Je crois qu'il va bien falloir, à un moment donné, faire quelque chose. Même s’il faut être prudent, mais avec les nouveaux outils numériques qui sont aujourd'hui à disposition, les logiciels métier avec les identifiants et la messagerie sécurisée, cela devrait créer beaucoup plus de liens entre les professionnels de santé de la ville et de l'hôpital, y compris, dans le cadre de « Mon espace santé », avec le patient. Donc, avec des outils numériques qui soient interopérables et un encadrement strict, avec une obligation à ce que les professionnels de santé respectent ces règles, il y a peut-être une possibilité de renforcer les liens entre la ville et l'hôpital.

    Cela a toujours été incompréhensible pour moi que l'on soit obligé d'inscrire dans un texte de loi que pour sortir de l'hôpital, il faut une lettre de sortie. Ça me paraît aberrant et cela souligne un dysfonctionnement dans l'organisation de l'hôpital. Mais ce dysfonctionnement se produit aussi au niveau de l'offre de soins de territoire. Et, peut-être qu'il vaut mieux mettre en avant une réflexion pour mettre en place des nouveaux métiers de coordination que de financer bien d'autres choses. J’entends les médecins qui me disent que leur temps médical est « bouffé » par les données de santé, la coordination des projets de soins… et qu’ils n’ont plus le temps de soigner. Je préférerais qu'effectivement, soit au niveau de l’ARS, soit de l'assurance maladie, on donne des moyens pour que toutes ces tâches-là soient faites par d’autres et qu’on laisse un temps médical le plus grand possible au médecin.

    Mais encore une fois, ce discours émerge, même dans les propositions des professionnels libéraux, qui parlent de « régulation sur des territoires donnés ». Donc on voit bien qu'il y a eu une évolution dans la réflexion et je pense que la situation est relativement mûre aujourd'hui pour, qu’au cours du second semestre 2022, on puisse espérer une vraie réflexion globale de sur la santé publique. Que l’on ait aussi une volonté politique pour que l’on ait cette réflexion de fond sur l'organisation de la santé dans les territoires et avec les établissements de soins. 

    Et donc pour vous, la télémédecine, bien régulée, ce n'est pas une médecine au rabais ?

    Ça ne doit pas être une médecine au rabais. La télémédecine va être un outil qui va créer du lien, qui va créer de l'échange, qui doit permettre effectivement de rapprocher les gens. Mais il faudra, bien sûr, faire très attention à la fracture sociale et numérique, et ça c’est un défi pour les professionnels de santé et des associations de patients comme les nôtres. Il faut s'engager résolument à ce qu’il n'y ait pas de fracture numérique et que ces outils servent à nous rapprocher, et non pas à nous éloigner et à perdre en qualité. Et là aussi, c'est de notre responsabilité d’avancer, que ce soit les associations, les professionnels, dans le cadre de l'aménagement du territoire.

    J'ai toujours dit que 4000 « ambassadeurs » formés par le secrétariat au numérique, ce serait largement insuffisant. Il faut aller plus loin et il faut aussi que l'assurance maladie forme des gens pour accompagner ces populations, qui sont loin du système de santé et du numérique, à pouvoir effectivement s’en servir. Et je parle du numérique en général et pas que du numérique en santé. On a ouvert un espace pour faire à sa déclaration d’impôts en ligne : il faudra désormais faire sa déclaration en ligne et il va y avoir des gens qui vont aider à se servir de ces outils numériques sur les impôts, et pareil sur la santé.

    Est-ce que l’élaboration de « mon espace santé » a tenu compte d'une part de vos avis ? Et est-ce que cette plateforme répond aux besoins des patients, en particulier les patients chroniques ?

    La question que vous me poser posez fait le lien avec l'évolution de ce que nous appelons la « démocratie en santé » et la « représentation des usagers de la santé » dans l'évolution des établissements et au-delà. Et je trouve que, depuis maintenant quatre ans que l'on a mis en place le département du numérique en santé avec Dominique Pon, sa première action a été de nous consulter et de nous associer à la réflexion et au travail. Et quand je dis qu'il faut « passer de la représentation à la participation », je montre, comme exemple, le numérique en santé en France depuis quatre ans, qui nous a particulièrement associés et fait participer, non pas seulement pour nous consulter et nous demander si on était content ou pas, mais véritablement pour « co-construire ».

    Et cette stratégie, nous l'avons bâtie ensemble et on a indiqué des points de vigilance, y compris d'ailleurs sur les « Entrepôts numériques de données de santé » ou « Health Data Hub ». Là aussi, nous allons participer et nous travaillons à ce qu'il y ait une acculturation de l'ensemble des citoyens à comprendre ce que sont les données de santé, comment il faut qu'elles soient effectivement recueillies, sécurisées, et comment les projets d’études doivent être déposés pour pouvoir avoir accès à ces données.

    C'est toute une culture qu'il nous faut mener auprès de l’ensemble de nos concitoyens. Mais la démarche aujourd'hui est intéressante parce que nous y participons et c'est comme cela que nous pensons que l'on pourra réussir. 

    Et donc, vous êtes très impliqué dans le Health Data Hub. Qu'est-ce que c'est et à quoi cela va vous servir ? Est-ce que cela va vous permettre de faire des études pour appuyer vos propositions ? 

    Le Health Data Hub, c'est l'émanation du SNDS, qui avant était l’INDS, l'Institut national des données de santé, qui existait auparavant. Donc c'est une émanation de l'assurance maladie et depuis maintenant un bon nombre d'années.

    On sait que les établissements de soins, y compris les médecins libéraux dans leurs logiciels métiers, détiennent des données de santé, que ce soit des données de santé transversales et, dans les établissements de soins, des données spécialités par spécialités où on a des cohortes de patients, que ce soit le diabète, que ce soit le cancer ou une autre maladie. Il y a donc énormément de données de santé et l'idée, c'est de dire il faudrait peut-être regrouper dans un endroit, dans un « entrepôt numérique », l'ensemble de ces données, après les avoir traitées, sécurisées, anonymisées…, pour que si on veut faire une recherche sur tel ou tel sujet, on ait l'ensemble des données de santé qui correspondent à ce sujet au même endroit et qu'on puisse les analyser.

    L'idée de départ est intéressante : elle ne prive pas les bases de données existantes, ni les CHU de leurs données, ils les gardent. Mais si une copie de toutes ces données est au même endroit, on pourra avoir une meilleure qualité des données pour faire de la recherche. L'exemple le plus frappant, ce sont les maladies rares où il y a trois cas à Marseille, quatre cas à Paris et deux cas à Bordeaux, or les gens ne se parlent pas. On pourrait quand même réunir ces données et ça ferait une dizaine de cas en France, voire les regrouper avec celles disponibles ailleurs en Europe, et on pourrait avoir des données beaucoup plus sérieuses à analyser. C'est un peu ça l'idée du Health Data Hub.

    Après, il faut voir comment on arrivera à travailler ces données pour qu'elles soient utilisables, au-delà des données de la CNAM, qui sont des données de remboursement et donc pas les mêmes, mais que l’on peut croiser. Le problème est qu’en France, ou en Europe, il n'y a pas d’entrepôt numérique sécurisé de stockage des données de santé suffisamment important et certains sont réticents à sortir ces données de France. Mais le problème de l’insécurité des données de santé, c’est plutôt avec des logiciels métiers et ceux de petits hôpitaux ou de petits établissements. Après, il faut avoir une vraie stratégie politique et cette stratégie doit incorporer la sécurité et l'éthique et elle doit être menée avec l'ensemble des acteurs. Tout le monde n'aura pas accès à ces données et certainement pas les projets mercantiles

    Parmi les points que l'on n'a pas abordés, c’est quel est le sens que l’on va donner à cette réorganisation ? 

    C’est fondamental et je pense que dans cette réorganisation, il faut redonner du sens au métier de soignant et au système de santé. Nous pensons que depuis maintenant de nombreuses dizaines d'années, on a voulu voir dans le système de santé un volet économique et des dépenses, et qu’à force de rogner, on a dégradé.

    J'avoue sincèrement que chaque année voter une loi de financement de la Sécurité sociale, sans prendre en compte les besoins des populations, cela ne me convient pas. Ce n'est pas comme ça qu'on donne du sens et de la valeur à une politique de santé. Or, c’est une politique qui doit s'inscrire dans la durée, qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs et qui doit permettre à chacun de se sentir effectivement responsable.

    Et on espère que dans le cadre de ces échanges, ou de ces confrontations d'ailleurs, il ne faudra jamais perdre de vue ce sens qui est celui d’un « système de santé solidaire, de répartition, avec une véritable éthique pour les soignants ». 

    Quelle est votre conclusion ? 

    Pour nous, cette réforme nécessaire, cela doit être un nouvel élan de la démocratie en santé. On doit passer de la représentation à la participation. Et puisque la santé est un bien commun, il nous faut, sur chaque territoire, des « parlements sanitaires et territoriaux », qui peuvent s'appuyer sur les « conférences de santé et de l'autonomie » ou les « conférences de territoires de santé », mais qui soient indépendants, rééquilibrés avec la participation citoyenne. Ce ne doit pas être simplement des associations de malades, mais des participations citoyennes, qui travaillent et réfléchissent à des réponses aux attentes et aux besoins d'une population donnée. Et il faut que l’ARS soit plutôt là en tant que régulateur, que donneur d'ordres. C'est par là, nous semble-t-il, qu'il faut redonner du sens à la médecine.

    Penser cette réorganisation, ce n'est pas seulement aller dans les locaux du ministère de la Santé. Au lieu de la faire de manière descendante, il faut la faire en remontant et partir des besoins des populations sur les territoires.

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    JDF