Nutrition

Alimentation et maladies inflammatoires : les 1ères recommandations scientifiques

L’alimentation est une préoccupation croissante au cours des maladies inflammatoires chroniques et les premières recommandations basées sur une analyse soigneuse de la littérature scientifique et un groupe de travail multidisciplinaire sont désormais disponibles pour les rhumatismes inflammatoires chroniques.

  • KuzminSemen/istock
  • 19 Jan 2022
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    Les premières recommandations sur l’alimentation des malades souffrant d’un rhumatisme inflammatoire chronique ont été établies par un groupe de travail pluridisciplinaire, avec le soutien de la Société Française de Rhumatologie. La groupe de travail comprenait 12 experts rhumatologues, 3 médecins nutritionnistes, 1 médecin interniste, 1 diététicienne et 3 représentants des associations de patients. Il s’est appuyé sur une analyse extensive de la littérature scientifique qui a permis de pondérer les recommandations. Ce remarquable travail basé sur la méthodologie de la société européenne de rhumatologie (Eular) aboutit à 8 principes généraux et 9 recommandations pratiques. Surtout, il ouvre la voie à une recherche fondée sur les preuves.

    Ce travail est indispensable pour la pratique quotidienne des médecins et des rhumatologues car de nombreux malades les interrogent et cherchent des solutions dans cette direction, solutions qui peuvent être basées sur des croyances fausses renforcées par les réseaux sociaux. Nombre de malades ont ainsi déjà adopté des régimes d’exclusion comme le régime sans gluten (en l’absence de maladie cœliaque avérée) ou la diminution de la consommation des produits laitiers et de viande, et il convient de conseiller ces malades avec un discours argumenté pour obtenir une alimentation qui se rapproche des recommandations générales et celles concernant les rhumatismes inflammatoires chroniques.

    8 principes généraux

    Dans le cadre de la prise en charge des patients souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC), les mesures non pharmacologiques demeurent essentielles car elles participent, à côté du traitement médicamenteux, à contrôler l’activité de la maladie et améliorer la prise en charge globale des patients. Au sein des mesures non pharmacologiques, l’alimentation pourrait revêtir un intérêt particulier en modifiant le microbiote intestinal, en modulant la réponse immune et/ou inflammatoire et en ayant un effet sur le risque cardiovasculaire et d’ostéoporose secondaire.

    Les principes généraux mettent en avant que les conseils nutritionnels ne doivent bien sûr pas se substituer au traitement pharmacologique des rhumatismes inflammatoires chroniques, car le niveau de preuve des études sur des modifications alimentaires ou supplémentations nutritionnelles est limité, et les interventions pour lesquelles il y a le plus de données montrent un effet symptomatique qui reste modeste. Il est également important de souligner qu’aucune de ces études n’a montré d’effet structural, c’est-à-dire d’effet sur la protection des articulations.

    Bien que les données soient encore limitées dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, il paraît important d’être à l’écoute des patients sur leur ressenti et leurs pratiques alimentaires. Les conseils nutritionnels doivent prendre en compte le contexte culturel et socioéconomique. L’accompagnement nutritionnel s’intègre donc dans la prise en charge globale des patients mais il peut avoir l’avantage de permettre au patient de s’impliquer plus activement dans sa prise en charge.

    Les conseils nutritionnels communiqués aux malades souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques doivent prendre en compte les effets articulaires et extra-articulaires, notamment cardio-métaboliques et osseux, souvent impactés sur le long terme par certains traitements ou les effets de l’inflammation chronique.

    De nombreuses croyances véhiculées par différents acteurs (réseaux sociaux, industrie agroalimentaire, soignants, patients...) circulent sur l’alimentation et les rhumatismes inflammatoires. Le groupe de travail a jugé important de rappeler que les conseils donnés par les médecins aux patients doivent s’appuyer sur des données scientifiques, données scientifiques qui sont bien sûr évolutives, mais dont ces recommandations procurent une bonne analyse.

    L’alimentation est un facteur très important pour la santé en général. En particulier, c’est un des principaux déterminants de la composition du microbiote intestinal, qui lui-même peut influencer la santé par le biais de modifications locales (perméabilité de la barrière intestinale, stimulation du système immunitaire digestif) ou à distance via le passage de métabolites dans la circulation sanguine (stimulation des terminaisons nerveuses et de l’axe intestin-cerveau, libération systémique de métabolites, hormones, antigènes, …).

    Enfin, les conseils nutritionnels sont indissociables de la promotion d’une activité physique adaptée. Bien sûr, s’il existe d’autres recommandations nutritionnelles spécifiques à une pathologie, une situation clinique ou un traitement associé, celles-ci continuent de s’appliquer (ex. dénutrition, obésité, sarcopénie, ostéoporose...). Au-delà, il faut rappeler le rôle néfaste du tabagisme et de l'alcool en excès, qui ne sont pas à proprement parler des éléments de nutrition mais tiennent au mode de vie.

    9 recommandations

    Chez les personnes en surpoids ou avec une obésité, les recommandations proposent l’accompagnement vers une perte de poids, la perte de poids pouvant aider à contrôler l’activité du rhumatisme inflammatoire chronique. Cette perte de poids a, par ailleurs, des effets bénéfiques cardio-métaboliques et psychologiques. Une seule étude randomisée contrôlée portant sur des patients atteints de rhumatisme psoriasique a été retrouvée dans l’analyse systématique de la littérature : elle montre que les patients qui perdent au moins 5% de leur poids, auraient 4 fois plus de chance d’atteindre une activité articulaire minimale (MDA) sous traitement que les autres.

    Une alimentation de type méditerranéen pourrait être proposée aux malades atteints de polyarthrite rhumatoïde et probablement à ceux atteints d’autres rhumatismes inflammatoires chroniques en raison de ses effets symptomatiques articulaires et surtout cardio-métaboliques. Cette recommandation s’appuie sur 5 études contrôlées dont 2 de bonne qualité.

    Une supplémentation en acides gras essentiels polyinsaturés, principalement oméga-3, supérieure à 2 g/j peut être proposée à visée symptomatique aux patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et probablement à ceux atteints d’autres rhumatismes inflammatoires chroniques. Les termes d’acides gras essentiels polyinsaturés font référence aux grandes familles des oméga-3 (principalement retrouvés dans les huiles de poisson et algues marines) et des oméga-6 (essentiellement retrouvés dans les huiles d’origine végétale). Ils sont dits essentiels car ils sont nécessaires pour l’organisme, sans que celui ne puisse les synthétiser. Ils sont donc uniquement apportés de manière exogène. Contrairement aux autres recommandations, celle-ci se base sur une littérature riche avec, au moment de la recherche bibliographique, 43 essais randomisés contrôlés contre placebo et plusieurs méta-analyses, ce qui justifie une recommandation de grade A.

    À l’inverse, le régime sans gluten, qui est de plus en plus adopté dans la population du fait du discours ambiant sur les réseaux sociaux, ne devrait pas être proposé pour le contrôle de l’activité du rhumatisme inflammatoire chronique, en l’absence de maladie cœliaque confirmée. Aucun essai randomisé n’a étudié les effets d’un régime sans gluten seul et dans les quelques études de mauvaise qualité où ce régime a été étudié avec d’autres régimes, si un effet articulaire a pu parfois être observé, il est important de noter qu’en moyenne, les patients du groupe intervention gardaient beaucoup d’articulations douloureuses et gonflées, bien loin donc de l’objectif thérapeutique actuel dans la PR. Pour mémoire, au-delà des données articulaires, le coût des aliments sans gluten est en moyenne 2 fois supérieur à celui des aliments correspondants classiques et la pratique d’un régime sans gluten strict peut également avoir un impact social sur la vie des patients.

    Le jeûne ou le régime végétalien, malgré un impact partiellement favorable à court terme sur l’inflammation articulaire, ne devraient pas être proposés pour contrôler l’activité du rhumatisme inflammatoire chronique : si un jeûne prolongé de 7 jours pourrait avoir des effets bénéfiques, ceux-ci ne semblent pas se maintenir après la réalimentation, ce qui en limite considérablement l’intérêt.

    La croyance que les produits laitiers ont des effets délétères est actuellement assez largement répandue dans la société et leur consommation a diminué en France ces dernières années en dépit de l’absence de preuves scientifiques, en particulier dans les rhumatismes inflammatoires chroniques. En conséquence, l’éviction des produits laitiers ne devrait pas être proposée dans la prise en charge des rhumatismes inflammatoires chroniques, d’autant que les produits laitiers sont la principale source alimentaire de calcium. Les patients atteints de rhumatismes inflammatoires chroniques sont plus à risque de développer une ostéoporose, du fait de leur maladie et de l’exposition fréquente et prolongée aux corticoïdes.

    Enfin, pour le contrôle de l’activité du rhumatisme inflammatoire chronique, il n’y a pas d’indication à proposer une supplémentation vitaminique (B9, D, E, K) ou en oligoéléments (sélénium et/ou zinc). Par ailleurs, les données d’efficacité étant actuellement insuffisantes et hétérogènes, les probiotiques ne sont pas conseillés pour contrôler l’activité du rhumatisme inflammatoire chronique.

    Certaines supplémentations en épices (safran, cannelle, ail, gingembre, sésamine, concentré de grenade…) pourraient avoir un effet bénéfique sur l’activité de la polyarthrite rhumatoïde mais les données sont actuellement trop limitées pour les proposer en pratique courante. La revue de la littérature a mis en évidence un certain nombre d’études récentes de bonne qualité méthodologique avec un effet articulaire bénéfique. Néanmoins, bien que les résultats des études présentées semblent intéressants, ils sont à ce jour trop préliminaires pour pouvoir recommander l’utilisation de ces épices et suppléments en pratique.

    En pratique

    Les rhumatismes inflammatoires chroniques ont connu une révolution thérapeutique depuis l’avènement des thérapies ciblées. Pour autant, la prise en charge des patients ayant un rhumatisme inflammatoire chronique se veut globale et ne se restreint donc pas à la seule prise du traitement de fond. L’alimentation fait partie intégrante de la vie des personnes avec ou sans rhumatismes inflammatoires chroniques et est intimement liée à leur santé et ces recommandations sur l’alimentation des rhumatismes inflammatoires s’appuient sur une analyse systématique de la littérature réalisée spécifiquement pour ce projet grâce à des données scientifiques publiées. Scientifiquement, l’histoire ne s’arrête cependant pas là : des axes de recherche ont été définis à partir de cette revue de la littérature et des études de qualités vont être lancées pour répondre aux incertitudes qui persistent.

    La philosophie générale de l’alimentation développée par les experts du groupe de travail est qu’il doit s’agir d’une intégration de conseils nutritionnels dans la vie quotidienne des malades et au sein de leur environnement familial, social et professionnel. Chez les patients pratiquant déjà un régime d’exclusion, les experts conseillent de discuter des effets bénéfiques, ressentis ou non par le patient, et de proposer la réintroduction progressive de certains aliments afin d’évaluer si celle-ci s’accompagne d’une aggravation des symptômes. En cas de régime sans gluten, ils recommandent la consommation des fibres (en proposant des aliments tels que le quinoa, le riz sauvage, les légumineuses, les artichauts, noix et graines, etc.). En cas de régime sans laitage, ils conseillent la consommation de produits riches en calcium (haricots rouges ou blancs, brocolis, épinards, choux, tofu enrichi en calcium, sardines avec arrêtes, eaux minérales calciques, etc.). En cas de régime végétarien/végétalien, ils conseillent de s’assurer d’apports suffisants en protéines, fer, vitamine B12, zinc et calcium, des supplémentations pouvant être nécessaires dans ce cas.

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    JDF