Gastro-entérologie

Reflux gastro-œsophagien rebelle : penser à l’œsophagite à éosinophile

L’œsophagite à éosinophile est une entité reconnue seulement depuis une trentaine d’année qui est en augmentation et dont le diagnostic est souvent fait tardivement devant un reflux gastro-œsophagien rebelle aux antiacides

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  • 23 Déc 2022
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    L'œsophagite éosinophile est une maladie inflammatoire chronique et progressive de type 2 (Th2) qui a un impact majeur sur la qualité de vie. Elle a initialement été considérée comme une variation anatomique du reflux gastro-œsophagien, cependant, ni les symptômes cliniques ni les modifications histologiques ne répondent aux antiacides ou à la chirurgie anti-reflux chez ces patients, ce qui suggère que l’œsophagite à éosinophile est distincte du reflux gastro-œsophagien.

    L'œsophagite éosinophile voit son incidence et sa prévalence augmenter : elle toucherait actuellement 1 personne sur 3000 dans les pays occidentaux. Autrefois considérée comme une affection rare, l'œsophagite à éosinophiles est aujourd'hui l'une des pathologies les plus fréquemment diagnostiquées lors de l'évaluation des problèmes alimentaires chez l'enfant et lors de l'évaluation d’une dysphagie avec des blocages alimentaires chez l'adulte. En l'absence de traitement, la fibrose et le remodelage de l'œsophage peuvent entraîner des rétrécissements œsophagiens, des blocages alimentaires et des complications associées.

    L'œsophagite à éosinophiles est une maladie inflammatoire chronique de l'œsophage à médiation immunitaire qui a été reconnue comme une entité distincte il y a moins de trois décennies. L'immunopathogénie de la maladie est caractérisée par une inflammation des cellules T auxiliaires de type 2 (Th2) impliquant des lymphocytes T, des éosinophiles, des mastocytes et les cytokines interleukine-4, interleukine-5, interleukine-13 et lymphopoïétine thymique stromale. Ces cellules et médiateurs sont des cibles potentielles pour les biothérapies anti-inflammatoires.

    Une symptomatologie banale au début

    L'œsophagite éosinophile concerne tous les groupes d'âge, mais touche principalement les hommes blancs, entre l'âge scolaire et le milieu de la vie. Des antécédents personnels ou familiaux de troubles atopiques, tels que l'asthme, l'eczéma, la rhinite allergique et l'allergie alimentaire anaphylactique, sont fréquents, et ces affections nécessitent souvent un traitement.

    Le symptôme le plus courant de l'œsophagite à éosinophiles chez l'adulte est la dysphagie lors de l'ingestion d'aliments solides, conduisant souvent à un blocage alimentaire. Les symptômes les plus importants chez l'enfant sont le refus de s'alimenter, le retard de croissance et la douleur diffuse. Au début, les patients de différents groupes d'âge ont le plus souvent des symptômes de reflux gastro-œsophagien chronique.

    Les enfants peuvent avoir une grande variété de symptômes non spécifiques, notamment des difficultés d'alimentation, des nausées et des vomissements, des brûlures d'estomac et un retard de croissance. En revanche, les adolescents et les adultes sont plus susceptibles de présenter une dysphagie et des épisodes de blocage alimentaire.

    Les symptômes peuvent être sous-estimés en raison d'accommodements subtils et de longue date, comme manger lentement, mastiquer soigneusement, couper les aliments en petits morceaux, lubrifier les aliments avec des sauces, boire des liquides pour diluer les aliments et éviter les pilules et les aliments susceptibles de provoquer une dysphagie, comme les viandes et le pain. Des brûlures d'estomac, notamment lors de l'ingestion d'alcool, apparaissent chez 30% des patients adultes.

    L'histoire naturelle confirme la nature chronique et progressive de cette maladie qui a une forte tendance au développement d’une fibrose qui conduira à des lésions morphologiques et fonctionnelles de l’œsophage et à un risque de blocage des bols alimentaires.

    Des lésions histologiques caractéristiques

    Des études antérieures ont montré que les symptômes de l'œsophagite à éosinophiles ne sont pas toujours en corrélation avec les mesures histologiques de la maladie. L'œsophagite peut être absente à l’endoscopie. Dans les formes évoluées, les constatations endoscopiques les plus fréquentes sont des taches blanches (représentant des exsudats éosinophiles), un œdème de la muqueuse, des sillons linéaires, des anneaux œsophagiens et des sténoses.

    Le remodelage chronique est représenté par des sténoses ; un œsophage dit « en papier crépon », dans lequel des déchirures linéaires se produisent en réponse à un traumatisme minime, tel que le passage de l'endoscope.

    Les biopsies montrent une hyperplasie squameuse marquée et de nombreux « éosinophiles œsophagiens intra-épithéliaux ». Par contraste, le nombre de cellules inflammatoires n'est pas augmenté dans l'estomac et le duodénum chez les patients atteints d'œsophagite à éosinophile, ce qui suggère un processus inflammatoire spécifique au sein de l'œsophage.

    La plupart des patients ont une exposition œsophagienne normale à l'acide lors de la pH-métrie sur 24 heures. La manométrie œsophagienne montre une perturbation non spécifique de la motilité chez la majorité des patients.

    Le diagnostic de l'œsophagite à éosinophiles est posé sur la base des constatations faites lors de la biopsie la muqueuse œsophagienne (≥ 15 éosinophiles intra-épithéliaux par champ de forte puissance) sans autre cause associée et les symptômes cliniques avec une endoscopie normale.

    Un traitement en pleine évolution

    Les traitements standard de l'œsophagite à éosinophiles comprennent les régimes d’exclusion des aliments solides, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), les glucocorticoïdes topiques par voie orale et, en cas de sténoses, la dilatation œsophagienne.

    L'arsenal thérapeutique évolue mais reste limité. Seuls deux médicaments, les comprimés effervescents de budésonide (un corticoïde topique avalé) et le dupilumab, ont été approuvés par les autorités réglementaires en Europe et aux États-Unis.

    En raison de leur efficacité prouvée et de leur bon profil de sécurité, les corticoïdes topiques à avaler ont été historiquement utilisés comme traitement de première ligne et ont conduit à une rémission clinique et histologique combinée pour jusqu'à deux tiers des patients. Inversement, environ un tiers des patients n'a pas atteint la rémission clinique et histologique malgré l'utilisation de corticoïdes topiques.

    Les inhibiteurs de la pompe à protons et plusieurs produits biologiques sont utilisés hors indication ou sont encore en cours d'évaluation. Il existe donc un besoin urgent de médicaments efficaces, en particulier pour le groupe de patients atteints d'œsophagite à éosinophile « difficile à traiter », un terme cliniquement pertinent mais défini vaguement qui désigne souvent les patients qui ne répondent pas ou qui présentent des effets secondaires inacceptables aux corticoïdes topiques à avaler.

    Des traitements qui s'attaquent aux processus inflammatoires sous-jacents de l’œsophagite à éosinophile et qui préviennent ou contrôlent la progression de la maladie restent nécessaires. Des preuves croissantes suggèrent que les cytokines de type 2 jouent un rôle clé dans l'œsophagite éosinophile, qui se caractérise par une infiltration œsophagienne d'éosinophiles, de mastocytes et de cytokines inflammatoires de type 2. En outre, les patients atteints de cette affection présentent souvent des complications cliniques de type 2 coexistantes.

    Apport des anti-interleukine-4

    Dans le New England Journal of Médicine, Dellon et coll rapportent les résultats d'une étude multicentrique de phase 3 versus placebo, évaluant l'efficacité du dupilumab chez des patients adultes et adolescents atteints d'œsophagite éosinophile active. Cette publication était attendue depuis longtemps, car le dupilumab a le potentiel de combler les lacunes existantes dans le traitement de l'œsophagite à éosinophiles. Le dupilumab se lie à la sous-unité α du récepteur de l'interleukine-4 partagée par les récepteurs de l'interleukine-4 et de l'interleukine-13 et inhibe la signalisation de deux facteurs clés de l'œsophagite à éosinophiles.

    Dans les 2 parties de cet essai randomisé de phase 3, le dupilumab à une dose hebdomadaire de 300 mg permet d'améliorer les résultats histologiques et de réduire les symptômes de l'œsophagite à éosinophiles chez les adultes et les adolescents. Les deux principaux critères d'évaluation étaient la réduction des symptômes et la rémission histologique. Environ 60% des patients ont une rémission histologique après 24 semaines de traitement par le dupilumab, quel que soit le schéma posologique adopté, alors que l'inflammation persiste chez 93% des patients du groupe placebo. Une réduction pertinente des symptômes est observée avec le dupilumab par rapport au placebo chez les patients qui ont reçu la dose hebdomadaire de 300 mg de dupilumab, mais pas chez les patients qui ont reçu la dose de 300 mg toutes les 2 semaines.

    Les bénéfices concernant la rémission histologique semblent être qualitativement similaires dans les groupes dupilumab hebdomadaire et toutes les 2 semaines, mais les différences entre le groupe toutes les 2 semaines et le groupe placebo ne sont pas considérées comme significatives. L'événement indésirable le plus fréquent survenu pendant la période de traitement est la réaction au site d'injection, dont l'incidence est similaire dans les 2 groupes de l'essai. Ces réactions n'ont entraîné l'arrêt du traitement par dupilumab ou par placebo chez aucun des patients.

    Dans un éditorial associé, le Pr Alex Strauman, de l’université de Zurich estime qu'en raison du manque de médicaments approuvés, fournir plusieurs options thérapeutiques aux patients atteints d'œsophagite à éosinophile reste une priorité. Le dupilumab est la première biothérapie approuvée par les autorités de régulation dont l'efficacité est donc démontrée pour réduire l'inflammation et les symptômes chez les patients atteints d'œsophagite à éosinophile. Cependant, il reste à démontrer si le dupilumab est meilleur que les bons vieux corticoïdes topiques pour améliorer le pronostic de la maladie, en particulier à la lumière des coûts associés à ce type de biothérapie.

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    JDF