Cardiologie

Fibrillation atriale : jusqu’à quel âge peut-on faire une ablation ?

À l’occasion de la Semaine de la Fibrillation Atriale 2022, nous avons interviewé le Pr Pierre Jaïs, cardiologue et rythmologue, au CHU de Bordeaux, directeur du Liryc, l’Institut de rythmologie et modélisation cardiaque, sur la question de l’âge jusqu’au quel on peut proposer une ablation au cours de la fibrillation atriale

  • HATICE GOCMEN/istock
  • 15 Déc 2023
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    Dans la fibrillation atriale, on a maintenant une technique qui s'appelle l'ablation, et qui est dans l'âge de la maturité. Quels sont les résultats de cette technique à l'heure actuelle ? 

    L'ablation existe depuis longtemps dans la forme que l'on connaît, c'est-à-dire essentiellement l'isolation des veines pulmonaires. C'est quelque chose que nous pratiquons depuis le début des années 2000, voire un peu avant, et qui s'est répandu petit à petit et qui tient une bonne place, même dans les recommandations internationales. Et la meilleure indication, ce sont les patients qui sont symptomatiques et pour lesquels au moins un antiarythmique a échoué… ce qui finalement fait pas mal de monde.

    Il faut bien sûr tenir compte de l'état physiologique des patients, mais on n'est pas du tout dans un excès d'ablation, on est tout au contraire dans une sous-utilisation de cette technique, sans doute par manque d'accès aux interventions qui restent quand même un peu complexes. Mais c'est en train de s'améliorer avec les nouvelles énergies. Et donc on traite actuellement probablement à peu près 3% des patients qui ont de la fibrillation atriale, ce qui est très certainement une sous-utilisation majeure, alors même qu'on sait que ça marche mieux que les médicaments antiarythmiques. Donc on a beaucoup de progrès à faire à ce niveau-là. 

    Avec la technique traditionnelle de l'ablation, quelles sont les bonnes indications actuelles ? Et en particulier jusqu'à quel âge peut-on pratiquer cette technique ?

    La question de l'âge, c'est toujours une question pertinente quand il s'agit d'une intervention invasive, parce que l’ablation est une forme d'agression. Cela dit, on a montré que ce n'était pas en fait, en termes de comparaison avec les antiarythmiques, quelque chose de plus dangereux, ou qui donnait plus d'effets secondaires. Ceux-ci peuvent être graves, même si la Cordarone® peut aussi donner des effets secondaires graves.

    Et donc, en moyenne, les gens ont entre 50 et 60 ans, quand ils ont une ablation, mais les extrêmes sont très larges. Le patient le plus jeune pour lequel je suis intervenu avait seize ans, c'est quelqu'un qui fait du cyclisme et qui était très gêné par cette fibrillation, et le plus âgé devait avoir 86 ans. Bien sûr, je ne dis pas qu'il faut intervenir chez tous les octogénaires, cela dépend de leur état physiologique, mais il ne faut pas hésiter à le faire quand ils sont par ailleurs en bonne forme et gênés par l'arythmie.

    Et il y a notamment dans les indications quelque chose qui ne vient pas forcément immédiatement à l'esprit. Ce sont les patients qui ont des syndromes « Brady-Tachy », avec une maladie du sinus, ils peuvent vraiment beaucoup bénéficier de l'intervention. C'est-à-dire que parfois, ce qui les gêne le plus, ce sont les pauses à la réduction des accès de fibrillation. Et comme les antiarythmiques aggravent ce phénomène, le fait de pouvoir supprimer à la fois la fibrillation et les traitements, ça leur permet assez souvent d'éviter la pose d'un pacemaker. Donc, on n'a pas de limite d'âge en tant que tel, mais il est évident, et c'est d'ailleurs dans les recommandations, qu'il faut avoir une espérance de vie qui dépasse un an pour que ce soit justifié.

    On voit désormais apparaître de nouvelles techniques d'ablation qui seraient un peu moins agressives et qui donnerait un peu moins d'effets secondaires ou moins de risques d'effets secondaires. Est-ce que ceci risque de modifier les indications de l’ablation ? 

    Effectivement, on a vécu pendant 30 ans avec la radiofréquence, pendant quinze ans avec la cryothérapie, qui était d'ailleurs en compétition avec la radiofréquence, sans qu'aucun des essais randomisés n'ait démontré la supériorité de l'une des techniques sur l'autre. Et puis là, depuis quelques années, on a une révolution qui s'appelle « l'électroporation » ou « ablation par champ pulsé ». Et c'est une révolution parce que on a effectivement des risques d'effets secondaires qui sont bien moindres.

    Il y a aussi un aspect fascinant avec cette énergie qui s'appelle la « spécificité tissulaire ». C'est-à-dire qu'avec la recette que l'on a mis au point, et les recettes varient selon les constructeurs, mais d'une manière générale il semble que tous les constructeurs vont arriver à converger vers cette spécificité tissulaire. Cela veut dire que quand le champ électrique, qui est destiné à tuer les cellules cardiaques, que l'on veut éliminer parce qu'elles sont responsables de l'arythmie, est appliqué d'une manière assez large, parce que c'est un volume de champ électrique que l'on crée, ce volume, s'il inclut par exemple le nerf phrénique ou des cellules œsophagiennes, on ne va pas pour autant donner de dégâts permanents sur le nerf phrénique. Donc pas de paralysie phrénique. C'est clair, en tout cas à long terme, et vraiment cela a l'air complètement inoffensif sur l'œsophage.

    C'est un enjeu majeur parce qu'une des complications qui nous fait le plus peur avec l’ablation par radiofréquence, c’est la fistule atrio-œsophagienne qui s'accompagne de 60 à 80% de mortalité. Alors, même si elle est rare, c'est quand même une complication dramatique. Et quand les patients ne décèdent pas, ils ont des séquelles qui sont parfois lourdes et conséquentes. Donc, l’électroporation et sa spécificité d’organe, c'est vraiment une grande avancée sur le plan de la sécurité du geste, même si encore une fois, ça concerne peu de patients. C'est quand même extraordinaire de voir ça.

    Et dans le même temps, ce qui est assez rare en médecine, il semble qu'on gagne en efficacité, c'est-à-dire qu'on ait des lésions induites sur les veines pulmonaires qui soient plus durables que ce que l'on connaissait avec la radiofréquence et la cryothérapie. Donc c'est vraiment très intéressant. Et cerise sur le gâteau, c'est plus simple à utiliser, ça va plus vite. Et ça, c'est quelque chose d'important quand on veut changer d'échelle et traiter plus de patients, il faut avoir des interventions qui soient courtes, qui soient relativement simples et qui puissent, avec une version comme ça, de base, qui est accessible à beaucoup d'électrophysiologistes, sans qu'ils aient fait des centaines ou des milliers d'ablations de fibrillation. C'est vraiment des paramètres importants pour rendre service au plus grand nombre. 

    Et donc quel est votre message pour les confrères et les malades ? 

    L'ablation, c'est quand même une bonne solution pour la fibrillation symptomatique qui résiste à au moins un anti arythmique. Finalement, à peu près, quel que soit l'âge, si l'indication est forte, on va pouvoir réaliser le geste. Donc ça c'est important. 

    Par ailleurs, actuellement, on n'a pas encore assez recours je pense aux ablations, c'est le deuxième message. Et le troisième message, c'est notamment quand on a des formes persistantes de FA, n'attendez pas, avant d'envoyer le patient consulter un électrophysiologiste pour savoir si c'est une bonne indication ou pas à faire une ablation, parce qu'il y a une perte de chance quand on attend. L'ablation, avant six mois de fibrillation ininterrompue, donne de bons résultats. Au-delà d'un an, ça se dégrade. Et c'est encore pour moi un crève-cœur de recevoir des patients pour lesquels la fibrillation est installée de manière permanente depuis un an, deux ans, trois ans, cinq ans. Et même, même si les symptômes ne sont pas très forts au départ, il faut savoir que le fait de ne pas évaluer tôt la possibilité d'une ablation, c'est finalement amputer les chances du patient à plus long terme.

    Or, on sait quand même que la fibrillation atriale est associée avec plus de démence, plus de décès, plus d’insuffisance rénale. La FA, ce n'est pas la mort subite, mais c'est un « travail de sape » sur l'organisme et le cerveau. C'est vraiment quelque chose qui est beaucoup moins bien que le rythme sinusal. Et donc il faut faire bien attention finalement quand on prend la décision de respecter une fibrillation persistante.  

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    JDF