Pneumologie

Microbiote intestinal, reflet indirect des colonisations bronchiques dans la mucoviscidose ?

Un lien semble exister entre le microbiote intestinal et la colonisation bronchique au cours de la mucoviscidose mais des doutes persistent encore car aucune preuve de la façon dont ce lien se ferait n’a encore été établie. La corrélation doit être prouvée par une quantification absolue et non relative et par une identification précise des bactéries du microbiote. D’après un entretien avec Geneviève HERY-ARNAUD.

  • 16 Mai 2024
  • A A

    Une étude, dont les résultats sont parus en mars 2024 dans l’European Respiratory Journal, a cherché à évaluer la corrélation qui pourrait exister entre le microbiote intestinal et la colonisation bactérienne bronchique au cours de la mucoviscidose. Pour cela, les auteurs ont appliqué une double approche, taxonomique et métabolique.  Il s’agit d’une étude australienne, monocentrique ayant inclus 39 enfants atteints de mucoviscidose.  Ils ont bénéficié de prélèvements sanguins,  de selles et d’un lavage broncho- alvéolaire (LBA) à 3, 12 et 24 mois. Plus de prélèvements de selle ont été réalisés car le lavage broncho-alvéolaire n’était pas toujours réalisable chez les enfants. Les auteurs ont ensuite pratiqué des analyses métagénomiques et métabolomiques sur les prélèvements sanguins, digestifs et respiratoires.

     

    Une approche métagénomique insuffisante

    Le professeur Geneviève HERY-ARNAUD, Professeur des Universités, enseignant-chercheur en bactériologie à la Faculté de Médecine de Brest et praticien hospitalier au Centre Hospitalier Universitaire de Brest, explique que l’axe intestins-poumons est étudié depuis une dizaine d’années chez les atteints de mucoviscidose. L’intérêt de ce travail réside donc dans le fait d’avoir réalisé concomitamment des prélèvements intestinaux, sanguins et bronchiques. Toutefois, Geneviève HERY-ARNAUD émet quelques réserves. Une corrélation entre le site intestinal et le site pulmonaire a été avancée mais uniquement sur la base de la comparaison des genres bactériens communs aux deux microbiotes. En effet, les techniques d’analyse métagénomique ayant été différentes entre les 2 sites (16S versus shotgun), les bactéries ont pu être étudiées à l’espèce dans les fèces mais l’étude s’est limitée au genre bactérien dans les LBA. Etant donné la diversité des espèces au sein de certains genres bactériens d’importance, cette comparaison est loin d’apporter la preuve d’une corrélation entre intestins et poumons. Pour Geneviève HERY-ARNAUD, il est nécessaire d’aller plus loin dans la précision taxonomique et la quantification absolue des bactéries, afin d’établir d’éventuels liens entre intestins et poumons chez les patients. Elle cite comme exemple la présence de Veillonella, identifié à la fois dans les fèces et dans les LBA, en soulignant que lors du suivi longitudinal, il n’a été pris en compte ni la diversité bactérienne de ce genre bactérien qui compte 22 espèces, ni l’évolution de la quantification absolue (et non relative) aux 2 sites, intestin et poumon.  Elle rappelle que déjà en 2012 (Madan, mBio 2012), il avait été montré que le microbiote intestinal pouvait être prédictif du microbiote pulmonaire mais que l’on ne pouvait pas exclure l’inverse. Dans cette publication de 2024, les auteurs australiens n’ont pas davantage démontré.

     

    Une approche métabolique intéressante

    Geneviève HERY-ARNAUD précise que nous sommes à l’ère du métabolome qui permet l’étude des connexions microbiologiques existant entre différents sites anatomiques via notamment la diffusion sanguine des métabolites bactériens. L’approche métabolomique est complémentaire de l’approche métagénomique car elle permet de comprendre le microbiote sous l’angle fonctionnel. Ainsi, les analyses métabolomiques multisites réalisées par les auteurs ont permis de révéler des changements liés à l'âge, des associations avec l'inflammation neutrophile des voies respiratoires et d’identifier un ensemble de métabolites systémiques, potentiels biomarqueurs précoces des interactions existant entre les deux compartiments anatomiques.

     

    Limite de la transposition de ces données à la cohorte française

    Geneviève HERY-ARNAUD explique également que les pratiques françaises sont différentes, puisque le LBA est peu réalisé en France chez les enfants. De plus, les 39 enfants inclus dans cette étude avaient tous une antibioprophylaxie contre Staphylococcus aureus, ce qui n’est pas fait usuellement en France, et qui peut être la cause d’une dysbiose intestinale antibio-induite. Ces résultats sont donc difficilement transposables en France. Elle souligne qu’une étude de ce type est actuellement menée en France (NCT03947957, étude BEACH, soutien de Vaincre la mucoviscidose), sur un panel de 70 enfants recrutés dans 11 CRCM, suivis depuis l’âge de 2 mois jusqu’à l’âge de 3 ans, et prélevés tous les 3 mois (selles et expectorations induites) ; l’étude se terminera en 2026.

     

    En conclusion, les résultats de cette étude ne suffisent pas à établir une corrélation certaine entre le microbiote intestinal et la colonisation bactérienne bronchique des patients atteints de mucoviscidose mais ils peuvent servir à éveiller la conscience des pneumologues sur le sujet, en attendant les résultats précis de l’étude française en cours.

    Pour laisser un commentaire, Connectez-vous par ici.
    
    -----