Santé publique

Dépistage du cancer du sein: vers une stratégie plus personnalisée

Alors que le dépistage organisé du cancer du sein fait toujours l'objet de controverses en France, un large essai américain compare les bénéfices d'un dépistage standard à celui reposant sur des facteurs de risque qui n'a toutefois pas réduit le nombre de biopsies. 

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  • 15 Décembre 2025
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     En France, le taux de participation au programme national de dépistage organisé est loin d'atteindre les objectifs. Il est en-dessous de 50% bien lien du taux de 70% attendu. Faudrait-il en modifier le mode d'organisation?

    La stratégie de dépistage du cancer du sein repose sur un programme national organisé, piloté par l’INCa, proposant une mammographie bilatérale avec double lecture tous les deux ans chez les femmes âgées de 50 à 74 ans à risque moyen. Cette organisation est soutenue par la Haute Autorité de santé (HAS), qui souligne néanmoins les limites du dépistage fondé uniquement sur l’âge, notamment le surdiagnostic, les faux positifs et les inégalités de bénéfice selon le niveau de risque individuel. Dans ce contexte, l’essai américain WISDOM (Women Informed to Screen Depending on Measures of Risk), publié dans JAMA, apporte des données importantes sur une stratégie de dépistage personnalisée intégrant des facteurs cliniques et génétiques.

    WISDOM est un essai clinique randomisé pragmatique incluant des femmes âgées de 40 à 74 ans sans antécédent de cancer du sein. Les participantes étaient randomisées entre un dépistage annuel standard et un dépistage basé sur le risque individuel. 

    L’évaluation du risque dans le groupe intervention reposait sur un modèle combinant :

    • un modèle clinique reconnu (Breast Cancer Surveillance Consortium version 2),
    • un score de risque polygénique calculé à partir de centaine de variants génétiques (SNVs),
    • le statut de porteuse d’un variant à haute pénétrance.       

    Quatre niveaux de risque définissaient les recommandations de dépistage :

    1. Risque très élevé (≥ 6 % de risque à 5 ans ou variant pathogène) : dépistage alternant mammographie et IRM tous les 6 mois + conseils de réduction de risque ;
    2. Risque élevé : mammographie annuelle + conseils ;
    3. Risque moyen : mammographie tous les deux ans ;
    4. Risque faible : pas de dépistage jusqu’à ce que le risque revienne à un seuil ≥ 1,3 % ou jusqu’à 50 ans.JAMA Network

    Dans le groupe annuel standard, toutes les femmes étaient invitées à une mammographie annuelle sans modification de fréquence basée sur le risque.

    Le taux de cancers du sein stade ≥ IIB: pas de différence entre les deux groupes. 

     Résultat principal, le taux de cancers du sein stade ≥ IIB a été non inférieur dans le groupe au dépistage basé sur le risque comparé au dépistage annuel. La différence de taux (–18 cas pour 100 000 personne-années) n’a pas atteint une signification statistique mais confirme que le dépistage individualisé n’augmente pas le nombre de cancers avancés.

    En revanche, le dépistage basé sur le risque n’a pas réduit globalement le taux de biopsies, malgré une diminution significative du nombre de mammographies réalisées. Cela s’explique notamment par une adhésion moindre que prévue aux recommandations de dépistage adaptés au risque. Certaines femmes à faible risque ont encore réalisé des mammographies fréquentes, et certaines à risque élevé ont eu plus d’IRM que prévu.

    Comme attendu, le nombre de mammographies était nettement inférieur dans le groupe de dépistage basé sur le risque (différence d’environ –3836 mammographies pour 100 000 personne-années). Cependant, l’utilisation accrue de l’IRM et des biopsies dans les catégories à risque plus élevé a compensé en partie ces économies.

    L’approche personnalisée a été bien acceptée : dans la cohorte observationnelle, 89 % des femmes ont choisi le dépistage basé sur le risque lorsqu’on leur en donnait le choix.

    Acceptation élevée de la démarche

    L’essai WISDOM démontre que le dépistage basé sur le risque est non inférieur au dépistage annuel en termes de cancers du sein avancés, suggérant l’absence de perte de chance à moyen terme. Le nombre de mammographies était significativement réduit dans le groupe personnalisé, sans diminution globale des biopsies. L’acceptabilité de la démarche individualisée était élevée, rejoignant les constats de la HAS sur l’importance de l’information et de la décision partagée dans le dépistage.

    Les résultats de WISDOM confortent les orientations récentes de la HAS et de l’INCa en faveur d’une évolution du dépistage vers une approche plus personnalisée, fondée sur le niveau de risque. L’intégration d’outils génétiques pourrait, à terme, améliorer l’identification des femmes nécessitant un suivi renforcé tout en limitant le sur-dépistage chez les femmes à faible risque. Néanmoins, plusieurs défis subsistent : validation des outils génétiques dans la population française, équité d’accès, organisation du parcours de soins, formation des professionnels et évaluation médico-économique, point central pour toute modification du programme national.

    La comparaison entre WISDOM et le système français doit rester prudente. Le comparateur de l’essai (dépistage annuel) diffère du dépistage organisé biennal français. Le dépistage est initié à partir de 40 ans et non pas 50 ans comme dans l'Hexagone. Par ailleurs, ni la mortalité spécifique ni les coûts à long terme ne sont encore disponibles, alors que ces critères sont essentiels dans les décisions de santé publique portées par la HAS.

     Au final, l’essai WISDOM apporte une preuve de concept solide en faveur d’un dépistage du cancer du sein fondé sur le risque individuel. En cohérence avec les réflexions actuelles de la HAS et de l’INCa. Il soutient l’idée d’une évolution progressive du dépistage organisé vers une stratification plus fine du risque, intégrant à terme des données génétiques, sous réserve de validations complémentaires et d’une évaluation rigoureuse de l’impact populationnel.

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