L'interview du week-end
Allergies respiratoires : "La pollution de l'air agit comme un amplificateur"
Eternuements, toux, nez bouché, yeux qui grattent… Les allergies respiratoires explosent et touchent des millions des Français. Le Dr Le Guillou, pneumologue-allergologue, nous éclaire sur leurs causes, les bons réflexes à adopter et les traitements qui changent la donne.

- Par Stanislas Deve
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- Ralf Geithe / istock
Frédéric Le Guillou est pneumologue-allergologue et président de l’Association Santé respiratoire France (SRF). Au lendemain de la Semaine mondiale consacrée à l’allergie, du 29 juin au 5 juillet, il fait le point auprès de Pourquoi Docteur sur un phénomène devenu un véritable enjeu de santé publique. - Pourquoi Docteur : Qu’est-ce qu’une allergie respiratoire, et comment la distinguer d’un simple rhume ou d’une infection ? Dr Le Guillou : Une allergie respiratoire, qui représente entre 50 et 70 % des allergies, est une réponse excessive du système immunitaire à des substances normalement inoffensives et tolérées. Elle peut se manifester par une rhinite (nez qui coule, bouché, éternuements, démangeaisons nasales), une conjonctivite allergique (yeux rouges, larmoyants, qui grattent), ou encore par des symptômes bronchiques tels que la toux, les sifflements respiratoires, une sensation d’oppression ou d’étouffement (liés à l’asthme). On la distingue d’un rhume ou d’une infection par certains signes : pas de fièvre, un mouchage clair (et non purulent), absence de crachats épais. Les infections virales ou bactériennes sont souvent accompagnées de fièvre et de sécrétions épaisses, ce qui n’est pas le cas dans les allergies. - Quels sont les allergènes les plus fréquents ? Qui sont les coupables ? Parmi les allergènes courants, on compte les acariens (qui vivent dans la poussière domestique et se nichent dans les matelas, moquettes, peluches, rideaux...), les pollens (graminées, arbres...), les poils d’animaux (chats, chiens, lapins, hamsters...), ou encore les moisissures intérieures, les champignons (aspergillus, cladosporium, alternaria...). La présence d’humidité, de marais ou de dégâts des eaux peut notamment favoriser la prolifération de ces moisissures dans les logements. - Quelles sont les périodes critiques de l’année pour les personnes allergiques ? Certaines allergies sont saisonnières (pollens), d’autres plus pérennes (acariens, moisissures). Mais l’hiver, les acariens prolifèrent davantage en raison du chauffage et d’un air moins renouvelé. Et le pollen de cyprès, par exemple, peut désormais gêner jusqu’à 10 mois par an dans le Sud. - Entre 25 et 30 % de la population souffrent d’allergies, en majorité respiratoires, et cela ne fait qu’augmenter. Pourquoi une telle explosion des cas ? Cela tient à plusieurs facteurs : - Pourquoi les enfants sont-ils plus vulnérables ? Leurs voies respiratoires sont immatures jusqu'à l’âge de 20-25 ans. Des infections virales répétées durant l'enfance peuvent rendre les bronches plus vulnérables et déclencher des maladies comme l’asthme. Des enfants qui faisaient de l’asthme devenu silencieux peuvent le voir réapparaître après une infection virale comme le Covid-19. Les parents doivent être attentifs : un enfant qui respire par la bouche, dort mal ou a des troubles de concentration doit être évalué pour une éventuelle rhinite allergique. - Peut-on prévenir les allergies dès le plus jeune âge ? Quelques habitudes peuvent réduire le risque : favoriser l’allaitement maternel, ne pas vivre dans un environnement trop aseptisé, éviter les sources d’humidité, limiter les peluches (ou les mettre 20 minutes par semaine au congélateur pour tuer les acariens), éviter le tabagisme passif, ou encore, pratiquer une activité physique régulière. - Existe-t-il un profil-type plus à risque de développer une allergie respiratoire ? L’atopie, c’est-à-dire la prédisposition génétique aux allergies, est un facteur clé : si un parent est allergique, l’enfant a un risque accru. Si les deux parents le sont, le risque atteint même 80 %. L’eczéma chez le nourrisson peut aussi être un premier signe d’atopie.L’aseptisation excessive dans les sociétés occidentales réduit l’exposition aux microbes, ce qui nuit à l'éducation du système immunitaire des enfants. C’est la fameuse "théorie hygiéniste".
- L’aseptisation excessive dans les sociétés occidentales réduit l’exposition aux microbes, ce qui nuit à l'éducation du système immunitaire des enfants. C’est la fameuse "théorie hygiéniste" : le fait que l’on soit moins exposé à certains microbes nous rend mécaniquement plus sensibles aux allergènes. Tout est une question d’équilibre, et la nature a horreur du vide.
- Le réchauffement climatique allonge la durée des saisons polliniques et augmente la production de pollens par les plantes (grâce au CO2, nutriment du végétal).
- La pollution de l’air, en particulier les particules fines issues du diesel, agit comme un amplificateur : elle altère la muqueuse respiratoire, facilitant la pénétration des allergènes et exacerbant la réaction immunitaire.
- L’urbanisation du territoire appauvrit la biodiversité, et les politiques de plantation d’arbres identiques dans les villes (platanes, bouleaux...) augmentent l’exposition à certains pollens.
- Le mode de vie moderne (alimentation transformée, sédentarité, stress, tabac...) affaiblit le microbiote intestinal, qui joue pourtant un rôle crucial dans la régulation du système immunitaire.La prédisposition génétique est un facteur clé : si un parent est allergique, l’enfant a un risque accru. Si les deux parents le sont, le risque atteint même 80 %.
- Quels gestes du quotidien peuvent aider à réduire l’exposition aux allergènes ?
Il y en a beaucoup : aérer le logement 10-15 minutes par jour (l'air intérieur est cinq à six fois plus pollué que l’air extérieur), passer l’aspirateur régulièrement (et non le balai, qui met les poussières en suspension), nettoyer sous les lits, vérifier et entretenir le système de ventilation, de chauffage (première source de pollution intérieure) et de climatisation, laver les draps fréquemment, réduire l’accumulation d’objets et de textiles qui retiennent la poussière...
- Quand consulter un pneumologue plutôt qu’un généraliste ?
En première intention, il faut consulter son médecin traitant. Si les symptômes persistent ou altèrent la qualité de vie, ou si le traitement ne fonctionne pas, il vous orientera vers un allergologue ou un pneumologue. Un diagnostic en bonne et due forme est nécessaire avant de mettre en place un traitement plus poussé. Mais il faut savoir qu’en France, il n’y a que quelques milliers de pneumologues et allergologues, pour plus de vingt millions de personnes allergiques...
Le traitement de fond des allergies, c’est la désensibilisation, c’est-à-dire la rééducation du système immunitaire pour qu'il tolère l'allergène [...] Une technique efficace à 80-90 % pour les acariens, les pollens, les poils de chat...
- Comment se déroule le diagnostic ? Quels sont les tests réalisés ?
Le diagnostic repose sur un interrogatoire approfondi (terrain génétique, environnement, saisonnalité des symptômes), mais aussi une série de tests cutanés pour savoir à quoi on est allergique. En fonction des résultats et de l’organe touché, un traitement symptomatique peut être prescrit (antihistaminiques, corticoïdes nasaux, collyres...).
- Mais ce type de traitement ne traite que les symptômes, pas la cause...
Le traitement de fond des allergies, c’est la désensibilisation, c’est-à-dire la rééducation du système immunitaire pour qu'il tolère une substance, l'allergène, qu'il aurait dû tolérer et qu'il reconnaît comme étranger. Cela consiste à donner tous les jours, pendant trois ans, de petites doses d’allergène, sous la forme de gouttes ou de comprimés sous la langue. C’est une technique contraignante mais efficace à 80-90 % pour les acariens, les pollens, les poils de chat...
- Peut-on espérer, à l’avenir, des avancées majeures dans la prévention ou le traitement des allergies respiratoires ?
Oui. Des biothérapies ciblées (anti-IgE, anti-IL5, anti-TSLP...) sont déjà disponibles pour les formes sévères d’allergies. D’autres sont actuellement en développement. Mais l’information du grand public et la prévention demeurent cruciales, car les facteurs génétiques et environnementaux persistent.