Interview croisée

Journée mondiale de l'autisme : "Etendre le dépistage génétique serait bénéfique pour les enfants et les parents"

A l'occasion de la journée mondiale de l'autisme, Pourquoi Docteur s'est entretenu avec le Pr Stanislas Lyonnet (généticien/directeur de l’Institut Imagine) et le Pr Arnold Munnich (pédiatre/généticien/président du conseil d’administration de la Fondation Imagine).

  • Par Mathilde Debry
  • dragana991 / istock.
  • 01 Avr 2021
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    Très hétérogènes et complexes, les troubles du spectre autistique (TSA) touchent environ 1 enfant sur 200. On estime aujourd’hui que 30 à 35% des TSA ont une origine génétique, des chiffres probablement sous-estimés. A l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, deux chercheurs de l'Institut Imagine font le point sur ces troubles et les dernières avancées de la recherche. 

    - Pourquoi docteur - Pouvez-vous expliquer l’autisme, ses causes et conséquences pour les patients ?

    Arnold Munnich - Ce qu’on appelle communément l’autisme se manifeste de manière générale comme une anomalie de la relation de l’enfant avec son entourage et un trouble de la communication avec des intérêts restreints. L’autisme rassemble en réalité une grande diversité de troubles du neuro-développement, regroupés sous le terme de troubles du spectre autistique (TSA). Ils ne sont pas systématiquement associés à un déficit intellectuel, les signes et symptômes varient d’un enfant à l’autre, en intensité, et en fonction de l’âge et du sexe.

    Les TSA touchent autour d'1 enfant sur 200 et environ 4 fois plus les garçons. Les symptômes surviennent avant l’âge de trois ans, puis persistent. Les enfants présentent le plus souvent des difficultés lors de l’apprentissage et de l’insertion sociale. Les TSA sont l’une des premières causes de consultation sur le site de l’Institut Imagine, à l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP. Ils ont de multiples causes : certaines génétiques, d’autres environnementales.

    - Comment les TSA sont-ils pris en charge ?

    Arnold Munnich - La première étape est de voir les enfants en consultation, d’écouter les parents, et d’examiner les enfants. On s’attache à faire la part des choses, dans une approche rationnelle qui repose sur un travail d’équipe, la compréhension des mécanismes, la prise en compte des symptômes et une approche éducative. La prise en charge, multidisciplinaire et individualisée, en lien avec les établissements spécialisés et les psychiatres de proximité, doit proposer aux familles une panoplie pour faciliter l’acquisition d’indépendance pour le patient, l’amélioration de l’apprentissage, de la communication, et de la qualité de vie. L’objectif est que l’enfant puisse avoir un projet de vie. Aujourd’hui, une prise en charge psychothérapique et orthophonique est possible. A Necker et Imagine sont proposées des consultations conjointes de psychiatrie et génétique. La consultation de génétique vise à élucider la cause organique à l’origine du trouble pour poser un diagnostic et nommer la maladie. Car nommer, c’est déjà soigner, c’est prendre en compte les symptômes, parfois avec des médicaments, parfois avec des méthodes éducatives ou rééducatives adaptées, mais c’est aussi avant tout en finir avec la culpabilisation des parents.

    Stanislas Lyonnet - Comme dans toutes les maladies génétiques, ou à forte composante génétique, nommer le trouble, et plus précisément le mécanisme du trouble, est en effet souvent perçu comme une délivrance pour les parents. Le diagnostic précoce des TSA suivi d’une prise en charge adaptée peut se traduire par une amélioration significative de l’évolution de l’enfant. Un diagnostic génétique a aussi un impact majeur sur les futurs projets d’enfants. Et bien sûr, la découverte des causes peut ouvrir la voie vers de possibles traitements grâce à une meilleure compréhension des mécanismes. Si la cause génétique n’a pas été identifiée en consultation, les équipes de recherche d’Imagine prennent le relai pour tâcher d’identifier de nouveaux gènes.

    - Lors du séminaire Imagine-Pierre Royer dédié à la psychiatrie et à la génétique le 19 mars dernier, vous avez présenté une étude sur les consultations de génétique clinique pour les TSA. Pouvez-vous nous en parler ?

    Arnold Munnich - Depuis 20 ans, je mène une vaste étude en collaboration avec des collègues franciliens, l’Institut Imagine et la Fondation L’Elan Retrouvé. La méconnaissance des progrès récents, les idées préconçues sur la pathogénie de l’autisme et l’absence de marqueurs biologiques de dépistage dissuadent nombre de professionnels d’explorer les enfants atteints de TSA, et les conduisent parfois à contester l’origine organique de la maladie. L’étude a montré que les formes génétiques des TSA sont encore largement sous-évaluées et mis en évidence l’intérêt d’étendre le dépistage génétique à un nombre plus important de patients, et notamment ceux souffrant de TSA avec déficit intellectuel.

    Pour offrir aux patients un meilleur accès aux soins, nous avons inversé le paradigme et proposé des consultations de génétique sur site, dans les hôpitaux de jour et institutions spécialisées de la région francilienne. Plus de 500 patients ont à ce jour bénéficié de consultations sur site et d’un accès à une plateforme de génétique moléculaire grâce à une équipe mobile de génétique médicale composée de coordinateurs, neuropsychiatres, conseillers en génétique et généticiens-cliniciens. La consultation tente de répondre à cinq questions clés : le TSA est-il isolé ou syndromique, sporadique ou familial, avec déficience intellectuelle ou non, lié à des facteurs de risque (FIV, prématurité, âge des parents, consommation de drogues…)? Le diagnostic est-il solide ? Un bilan est effectué en ambulatoire, comportant une recherche d’expansion du gène FMR1, une analyse chromosomique comparative sur puces à ADN, un bilan métabolique. Si ces tests sont négatifs, ils sont suivis d’une IRM, d’un ECG puis d’une analyse moléculaire par séquençage (NGS). 

    - Y a-t-il eu d’importantes avancées en recherche ces dernières années ?

    Stanislas Lyonnet - Aujourd’hui, des anomalies dans plusieurs centaines de gènes ont déjà été identifiées dans les TSA. Imagine a contribué à cela grâce à l’expertise de plusieurs de ses laboratoires de recherche et plateformes, et des services hospitaliers et centres de référence présents sur le campus. Et, plusieurs laboratoires d’Imagine restent mobilisés sur ce thème. Ainsi, l’équipe de  « Génétique et développement du cortex cérébral » affiliée à Imagine et à l’Institut de Psychiatrie et Neuroscience de Paris de Sainte-Anne, dirigée par le Dr Alessandra Pierani, analyse l’expression et le rôle des gènes en cause dans les TSA au cours du développement précoce du cortex cérébral.

    Le laboratoire de recherche en imagerie cérébrale, Image@Imagine, dirigé par le Pr Nathalie Boddaert,  développe des outils non invasifs d’exploration du fonctionnement en activité du cerveau. Grâce à la technique l’IRM 3T et l’eye-tracking, Nathalie a déjà pu mettre au jour dans les TSA des anomalies du sillon temporal supérieur, une région du cerveau connue pour son implication dans la reconnaissance de « l’autre », et apporter de nouveaux éléments pour la compréhension de la variabilité des comportements sociaux et de ses substrats neuraux qui pourraient contribuer à une meilleure compréhension des TSA, ouvrir la voie vers un diagnostic plus précis, avec à terme, l’espoir d’une prise en charge adaptée à chaque sous-famille de troubles, et la mise au point de traitements individuels.

    - La recherche et la prise en charge des TSA sont-elles une priorité ?

    Stanislas Lyonnet - Le nombre de patients qu’ils touchent, la complexité clinique et leur hétérogénéité génétique font des TSA une véritable question de santé publique. Imagine ne peut rester indifférent à l’appel des familles, et en a donc fait l’une des priorités de sa feuille de route. Ainsi, les médecins et les chercheurs d’Imagine ont pour projet d’étendre l’exploration des origines des TSA en étudiant des facteurs pouvant mettre en jeu plusieurs gènes, des régions non-codantes de l’ADN, et même des marques épigénétiques. Et un projet de chaire multidisciplinaire dédiée aux troubles du neuro-développement porterait sur les formes complexes, syndromiques, familiales ou extrêmes de TSA.

    En accord avec cette stratégie, et pour compléter cette chaire, un appel d’offre international a été lancé en fin d’année 2020 dans le but de recruter à Imagine une équipe dédiée à la neurogénétique du développement, qui s’intègrera dans cet ensemble à Imagine, et travaillera sur l’identification des gènes et le décryptage des mécanismes impliqués.

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    JDF