Opinion

Hydroxychloroquine : une histoire en 3 actes

La polémique de l'hydroxychloroquine ne cesse de parasiter la pris en charge des malades de la Covid-19 depuis près d'un mois. Loin d'être le combat des "hommes d'action" contre les "mandarin", c'est surtout une histoire scientifique non-maîtrisée.

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  • 12 Avr 2020
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    L’acte I se termine. Il fut celui des débats passionnels, des convictions sans preuve, des positions partisanes. D’un côté « la chloroquine, il faut en prendre, j’en prends, j’en prescris » dans les infections à Covid19 débutantes, ou asymptomatiques, ou sévères ou gravissimes même sans certitude, sans preuve clinique autre qu’une hypothétique baisse de la charge virale. Mais on ne risque pas grand-chose et pourquoi ne pas essayer ? De l’autre côté, les sceptiques, les prudents « sans preuves formelles je m’abstiens, je veux des essais cliniques solides avant de décider » qui ne prescrivent qu’avec la certitude d’un rapport bénéfice risque favorable. Ce combat d’experts a été très délétère pour la confiance des malades et de leurs familles et pour le déroulement tant attendu d’essais contrôlés correctement conçus, réalisés, analysés. Cette polémique stérile n’a fait que retarder l’obtention de la vérité.

    L’acte III sera celui des preuves, des « evidences » comme disent les anglo-saxons. Elles ne seront certaines et crédibles que grâce à des essais contrôlés (un groupe reçoit la chloroquine, un groupe reçoit le placebo), randomisés (tirage au sort entre les deux groupes pour les rendre comparables), de grande taille (plusieurs centaines de malades par groupe si on veut pouvoir mesurer de petites différences) dans une population de malades bien définie, avec un critère d’évaluation clinique (diminution de la mortalité, raccourcissement de la durée d’hospitalisation ou de réanimation et non simple réduction de la charge virale). Il faut surtout souhaiter que ces essais soient concordants, tous positifs ou tous négatifs, pour clore le débat et définir universellement le bon choix thérapeutique. Il faut aussi espérer que ceux qui n’y ont pas participé ne nous disent pas après qu’il fallait les faire différemment ! Mais pour que cet acte III soit possible il faut attendre que les études en cours se terminent et cela prendra plusieurs semaines. Impossible de faire plus court si on veut une certitude.

    L’acte II, c’est maintenant. C’est celui du doute. Les passions de l’acte I n’émeuvent plus, les preuves de l’acte III sont en attente. Cet acte II est celui des résultats partiels, des petites études peu convaincantes, trop petites, trop courtes, mal construites méthodologiquement, mais très nombreuses. Certaines études sont positives, d’autres sont négatives entretenant le doute, l’incompréhension, voire la colère. Les pro-chloroquine vont parler des positives, les anti-chloroquine vont parler des négatives et personne n’y comprendra rien. Là encore, les petites études médiocres parasitent la conduite des gros essais pivots. On peut d’ailleurs regretter l’absence d’une coordination mondiale de la recherche clinique pour inciter à conjuguer ses efforts plutôt que de multiplier les petites études locales non conclusives. Certains vont immédiatement réaliser des méta-analyses qui regroupent et agrègent les résultats des petites études pour leur donner plus de puissance. Mais cet agrégat d’études médiocres, chacune avec ses spécificités et ses lacunes, ne fera jamais un résultat définitif et ne remplacera jamais les « belles » études de l’acte III.

    Deux exemples en passant : on nous dit que les malades suivis à Marseille et prenant de la chloroquine meurent moins (0,4%) que dans le reste de la France (2%). Mais quel crédit porter à cette information lorsque l’on sait qu’à Marseille il s’agit essentiellement de malades asymptomatiques et d'une majorité de femmes alors que dans le reste de la France les malades testés positifs sont essentiellement des malades symptomatiques (donc potentiellement plus graves que ceux sans symptômes) et que les formes sévères sont plus fréquentes chez les hommes ?
    A l’inverse que penser de cette étude contrôlée étasunienne soumise au prestigieux New England Journal of Medicine qui rapporte une mortalité de 12% et un passage en réanimation de 41% chez les patients recevant de la chloroquine contre 3% de mortalité et 10% de passage en réanimation chez les malades de même gravité mais n’en prenant pas ! Mais l’étude est de petite taille et non randomisée.

    Il nous faut donc encore attendre, continuer à soigner les malades le mieux possible compte tenu de l’état de la science, inclure le plus de malades possibles dans les études en cours afin d’accélérer leur déroulement et l’obtention du résultat tant attendu. Ni le passionnel de l’acte I ni les doutes de l’acte II ne sont contributifs au bon usage de la chloroquine dans l’infection à Covid 19. Attendre l’acte III demande un effort colossal en situation d’urgence. « Blood, toil, tears and sweat ». « Je n’ai à offrir que du sang, des efforts, des larmes et de la sueur » disait Winston Churchill aux Britanniques

    Pr Jean-François BERGMANN

    Médecin des Hôpitaux
    Professeur émérite à l’Université de Paris

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