Gériatrie
Personnes âgées : des conseils simples et pratiques pour limiter la iatrogénie
Le bon usage des médicaments est un point essentiel mais complexe de la pratique gériatrique. Sur quels critères adapter les posologies chez les personnes âgées pour être efficace sans être (trop) néfaste ? Deux experts ont livré aux Journées annuelles de la SFGG des clés simples et pratiques.
- towfiqu ahamed/istock
Elle est responsable de 130 000 hospitalisations par an, 10% des hospitalisations de plus de 65 ans, et 20% de celles des plus de 80 ans, dont la moitié pourraient être évitées. Mais de quelle pathologie s'agit-il ? Et bien : aucune ! On parle tout simplement de la iatrogénie. « Un énorme problème » donc comme le qualifie le professeur Hubert Blain, qui y a consacré une session de formation aux Journées annuelles de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie).
Alors sur quels critères adapter les posologies chez les personnes âgées pour être efficace sans être (trop) néfaste ? Le chef du pôle gériatrique du CHU de Montpellier en duo avec le professeur Jean-Baptiste Beuscart, néphrogériatre au CHU de Lille, répondent à cette question de manière simple et pratique.
Adapter à la fonction rénale évidemment (!) malgré le dur choix de la formule
« Évidemment on adapte à la fonction rénale ». C'est évident mais ça vaut le coup d'être rappelé et d'avoir quelques détails pratiques sur cette adaptation. Réflexe gériatrique : on contrôle la fonction rénale devant toute situation aiguë ou décompensée qui peut chez la personne âgée provoquer insuffisance rénale aiguë, dans ces cas-là, précise le gériatre : « il faut anticiper pour modifier peut être le traitement ».
Plus pointu maintenant, sur la base de quelle formule d'estimation de la fonction rénale adapter son traitement ? CKD-EPI / MDRM ou Cockroft ? Là c'est que le Pr Beuscart, livre ses conseils. Il insiste déjà sur une notion fondamentale, CKD-EPI et MDRD estiment le débit de filtration glomérulaire (DFG) alors que Cockroft permet d'estimer la clairance. Pour surveiller une insuffisance rénale chronique, le débat est tranché depuis des années : on utilise les formules estimant le DFG.
Pour l'adaptation médicamenteuse chez la personne âgée « on est en pleine incertitude ! » explique le néphrologue. Donc concrètement : « utilisez les deux, dites-vous que c'est peut-être au milieu et après choisissez aussi en fonction de vos objectifs thérapeutiques ». Si on veut en priorité traiter la pathologie, on se base plutôt sur l'estimation la plus haute, si au contraire on veut limiter les risques d'effets indésirables, on se base sur le chiffre le plus bas. Le mieux est aussi d'en parler entre collègues pour une décision collégiale, puis d'assumer l'incertitude et de justifier son choix.
Inflammation, dénutrition, penser aussi à doser l'albumine
Plus spécifique de la personne âgée et souvent moins prise en compte dans l'adaptation des doses, l'albumine. Le gériatre pose le contexte « on a des patients souvent fragiles dénutris, inflammatoires donc ils ont une hypoalbuminémie » ce qui influence l'efficacité et surtout la tolérance de certains traitements « quand on a une molécule fortement liée aux protéines la fraction efficace est la fraction libre donc si j'ai peu de protéines, je vais me retrouver très rapidement en surdosage » explique-t-il.
Donc concrètement, si on prescrit une molécule qui se lie fortement aux protéines, il faut surveiller l'albuminémie et si le taux est bas, on baisse la posologie. Parmi les molécules concernées, on trouve les AVK, les digitaliques, les sulfamides ou encore les AINS (rarement utilisés en gériatrie, rappelons-le)
Masse maigre, masse grasse, prudence
Les posologies des traitements doivent aussi être adaptés à l'anthropométrie du patient, c'est-à-dire à sa proportion de masse maigre ou grasse. Et cela dépend si le traitement est hydro ou liposoluble. Alors pour commencer comment savoir si une molécule est liposoluble ? Le Pr Blain nous donne un moyen simple : « ça marche pas à tous les coups mais une molécule liposoluble à des effets psychotropes puisqu'elle passe la barrière encéphalique ». Donc benzodiazépines, antidépresseur, morphine ? Oui liposoluble. Lasilix ? Non.
Ainsi, si on prescrit un médicament liposoluble, morphine par exemple, chez une personne en surpoids, avec beaucoup de masse grasse donc, il se répartit dans une grande surface. Initialement on aura donc peu ou pas d'effet et on a tendance à augmenter les doses. Mais à un moment, la masse grasse sera pleine de morphinique et elle relarguera la molécule en quantité. C'est alors que survient le surdosage. En pratique, dans ces cas-là, explique le gériatre « il faut donc titrer doucement les molécules liposolubles ». Pour les molécules hydrosolubles, cela concerne la masse maigre donc on adapte les médicaments hydrosolubles chez les patients déshydratés ou maigre, comme classiquement le Lasilix l'été.
B-A.-BA : la révision de l'ordonnance doit être sys-té-ma-ti- que !
Pour conclure, un dernier réflexe à ancrer profondément dans sa pratique « en gériatrie il faut réévaluer chaque ligne de traitement à chaque fois qu'on represcrit quelque chose » insiste le gériatre.
Avec les ordonnances informatisées, le copier-coller est facile mais ne doit surtout pas être la norme pour les renouvellements d'ordonnance.