Cardiologie
Risque cardiovasculaire : plus d’aspirine systématique en prévention primaire
Les dernières recommandations américaines, en se basant en particulier sur 3 grandes études randomisées, tranchent la question du rapport risques-bénéfice de l’aspirine à faible dose en prévention cardiovasculaire primaire chez les personnes à faible risque : il est modeste... et nul après 60 ans. Il n'y aurait pas non plus de bénéfice dans la prévention du cancer colorectal.
- alex_ugalek/istock
Dans le JAMA, l'US Preventive Services Task Force (USPSTF) publie la dernière version de ses recommandations sur la prévention primaire du risque cardiovasculaire par l’aspirine à faible dose (infarctus et AVC). Après plusieurs années d’hésitation en faveur ou contre la prévention primaire systématique, l'aspirine à dose antiagrégante faible (≤100 mg/jour) n’est désormais plus recommandée de façon systématique en prévention primaire chez les personnes à faible risque, en raison d’un mauvais rapport entre les bénéfices cardiovasculaires et les risques hémorragiques digestifs et cérébraux.
Cette nouvelle version des recommandations de l’USPSTF déconseille même spécifiquement d'initier l'aspirine chez les personnes âgées de 60 ans ou plus (une recommandation de niveau D dans le système de classification de l'USPSTF).
Par contre, pour les personnes âgées de 40 à 59 ans et qui ont un risque cardiovasculaire de 10% ou plus à 10 ans, ainsi qu’un faible risque hémorragique, les recommandations conseillent aux cliniciens et aux patients de prendre des décisions individualisées quant à l'initiation de l'aspirine en prévention primaire. Il s'agit d'une recommandation de niveau C, définie comme « l'offre ou la fourniture sélective de ce service à des patients individuels en fonction du jugement professionnel et des préférences du patient ». Il y a au moins une certitude modérée que le rapport bénéfices-risques net est faible.
Une revue actualisée avec 3 nouvelles études randomisées
La base de ces nouvelles recommandations est une revue actualisée qui a inclus 13 essais randomisés sur l'aspirine à faible dose (dose de 100 mg/j ou moins) en prévention primaire, et en particulier 3 larges études randomisées versus placebo : ARRIVE et ASPREE chez les non-diabétiques, et ASCEND chez les diabétiques. Ces 3 dernières études ne trouvent pas de bénéfice réel sur la morbi-mortalité cardiovasculaire (en dehors du diabète où il est modeste), mais objectivent par contre un risque net de saignement digestif et cérébral.
Au global, l'analyse des 11 essais montre une réduction relative de 10% des événements cardio-vasculaires majeurs (mais aucune réduction de la mortalité) et une augmentation relative de 44% des événements hémorragiques majeurs, sur une période de 4 à 10 ans d'utilisation de l'aspirine à dose faible.
L'USPSTF a également examiné les bénéfices éventuels concernant le cancer colorectal et constate que les preuves sont insuffisantes pour inclure la prévention du cancer colorectal dans l'évaluation des avantages et des inconvénients de cette stratégie.
Plus de flou sur ceux qui en prennent déjà
Les recommandations concernent l'initiation de l'aspirine et l’on ne dispose pas d’indications explicites concernant la prise en charge des nombreux patients qui prennent déjà de l'aspirine en prévention primaire, alors qu'on estime que 28% des adultes de 40 ans ou plus (et 46% de ceux de 70 ans ou plus) prennent de l'aspirine en prévention primaire.
Dans une brève note, les auteurs de l'USPSTF indiquent que « pour les patients qui ont commencé à utiliser de l'aspirine... il peut être raisonnable d'envisager d'arrêter l'utilisation de l'aspirine vers l'âge de 75 ans », âge déterminé en fonction d’une modélisation. Mais on comprend mal pourquoi, si l’aspirine est inutile après 60 ans, il faut attendre jusqu’à 75 ans pour l’arrêter…
La décision de prévention primaire chez les sujets jeunes dépend d’un score imparfait
Chez les personnes âgées de 40 à 59 ans, la décision de commencer un traitement par l'aspirine en prévention primaire dépend donc du niveau de risque d'événements cardiovasculaires à 10 ans, tel qu'il est estimé dans le calculateur de l'American College of Cardiology et de l'American Heart Association (ACC/AHA).
Les auteurs de l'USPSTF reconnaissent que dans plusieurs études de validation externes, ce calculateur surestimerait le risque cardiovasculaire, et ils rappellent aux cliniciens que la prédiction du risque cardiovasculaire est « imprécise et imparfaite au niveau individuel ». Cette source d'incertitude est donc en porte-à-faux par rapport à l'utilisation du seuil de 10% pour le risque cardio-vasculaire et nécessite d'individualiser les décisions d'initier l'aspirine.
En pratique
Pour les patients de 60 ans ou plus qui ont un faible risque cardiovasculaire à 10 ans (inférieur à 10% selon l’ACC/AHA), il n’y a pas d’indication à initier l'aspirine à faible dose en prévention primaire des évènements cardiovasculaires. Les 3 larges essais randomisés publiés ces dernières années apportent des arguments solides pour l'arrêt de l'aspirine chez les patients de cette tranche d'âge qui en prennent déjà en prévention primaire, reste à savoir s’il faut vraiment attendre 75 ans.
Pour les patients âgés de 40 à 59 ans et à faible risque cardiovasculaire, l'USPSTF laisse aux cliniciens une certaine latitude pour déterminer si et quand entamer des discussions sur la prévention cardiovascualire primaire par l'aspirine. Ceux qui veulent absolument être protégés et qui n’ont pas de facteurs de risque d’hémorragie digestif ou cérébral peuvent prendre de l’aspirine, en les prévenant du risque de saignement toujours possible, alors que ceux qui n’y sont pas attachés peuvent être laissés tranquilles.
Pour les personnes âgées de 40 à 59 ans et qui ont un risque cardiovasculaire de 10% ou plus à 10 ans, ainsi qu’un faible risque hémorragique, le rapport bénéfices-risques est plus favorable mais la décision quant à l'initiation de l'aspirine en prévention primaire est également individuelle et à discuter entre le médecin et le patient.
En prévention secondaire, par contre, malgré l’efficacité des statines et des autres médicaments antiagrégants, l’aspirine reste indispensable.











