Médecine légale
Violences sexuelles sur les enfants : l'obligation de signalement fait débat
La Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants préconise de rendre obligatoire le signalement par les médecins, dès la suspicion. Une proposition qui déplaît au Conseil National de l'Ordre des Médecins.
- KatarzynaBialasiewicz/istock
Après un an de travail, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) publie ses premières recommandations. Vingt préconisations, réparties en 4 axes : le traitement judiciaire des violences sexuelles, la réparation par le soin, l’indemnisation et la prévention, le repérage des enfants victimes. Ce dernier point concerne particulièrement les médecins.
La CIIVISE préconise la pratique du repérage systématique des violences sexuelles dans l'enfance : ne plus se contenter de la pratique du repérage par signes, jugée insuffisante. Mais surtout elle recommande expressément de clarifier l'obligation de signalement par les médecins, « même au stade de la suspicion ». Une proposition qui déplaît au Conseil National de l'Ordre des Médecins.
L'obligation de signalement pour clarifier les responsabilités des médecins
"Les médecins ont [...] la faculté d’effectuer un signalement, sans s’exposer à une sanction pour violation du secret professionnel, mais ne sont pas tenus de signaler pour autant », déplore la CIIVISE. Il résulte de l'articulation de l'ensemble des textes législatifs et réglementaires sur le sujet qu'il « leur appartient de décider, en conscience, de révéler l’information dont ils ont connaissance ou de décider de garder le secret ». Des cas de conscience qui peuvent parfois s'avérer complexes.
Pour la CIVIISE, le signalement doit être obligatoire par les médecins, dès la suspicion. Ainsi cela « clarifie les responsabilités des médecins face à des situations complexes et anxiogènes ». Cette obligation de signalement doit être accompagnée d'une « sécurité juridique » pour le médecin, car en l'état de droit des poursuites disciplinaires auprès de l'Ordre peuvent être initiées.
La CIVIISE préconise donc, pendant l'enquête pénale, la suspension de toute poursuite disciplinaire à l'encontre du médecin ayant effectué le signalement.
L'Ordre des médecins n'est pas favorable à l'obligation de signalement
Suite à la publication de ces recommandations, le Conseil National de l'Ordre des Médecins a rapidement réagi. Il n'est « pas favorable » à une « obligation de signalement » par les médecins des enfants victimes de violences sexuelles. « Certains parents agresseurs portent plainte contre le médecin signaleur. C'est l'agresseur qui se retourne contre le protecteur, ce qu'on appelle le risque de représailles », a déclaré la vice-présidente, le docteur Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. Rajoutant que : « Le conseil départemental de l'ordre des médecins n'a pas le pouvoir d'arrêter une plainte ». Des médecins ont déjà été poursuivis devant le Conseil de l'Ordre par des parents pour « immixtion » dans la vie familiale, ou pour s'être adressés directement au juge des enfants, chargés de la protection de l'enfant en question.
A ce sujet, la Commission rappelle que ce signalement devait en effet, jusqu’à maintenant, être adressé au Procureur de la République, mais elle estime que « lorsqu’une procédure d’assistance éducative est déjà en cours devant un juge des enfants, il ne doit pas être reproché à un médecin d’avoir adressé un signalement à ce juge plutôt qu’au procureur ».
Un autre verrou donc de sécurité juridique pour protéger le médecin. La vice-présidente considère, elle, qu'il faudrait avant tout évaluer si le risque de poursuite a un effet inhibiteur sur les médecins.
Seuls 5% des signalements proviennent du cadre médical
Les médecins ont une position privilégiée pour le repérage systématique des violences sexuelles envers les enfants. Pour autant actuellement seuls 5% des signalements pour ce type d'agression proviennent du cadre médical selon la Haute Autorité de Santé.
Un signalement obligatoire en toute sécurité juridique éviterait des cas de conscience complexes et pourrait, peut-être, permettre de venir en aide à plus d'enfants en détresse et contraints au silence.