Diabétologie

Diabète et ischémie myocardique silencieuse : faut-il encore la dépister ?

Les complications cardiovasculaires sont fréquentes et souvent plus sévères chez les patients diabétiques. Le suivi de ces patients inclus fréquemment un bilan cardiovasculaire complet. Mais s’il rassure le médecin, le dépistage des complications cardiovasculaires a-t-il montré un bénéfice pour le patient ?

  • Istock/7activestudio
  • 19 Juin 2020
  • A A

    Le diabète est un facteur de risque cardiovasculaire majeur qui augmente de 2 à 3 le risque de faire un événement cardiovasculaire. Malgré de nombreux progrès dans la prévention et le traitement des pathologies athérothrombotiques ces dernières décennies, le pronostic du diabète reste encore très largement dominé par le risque cardiovasculaire.

    Une des particularités de la maladie coronarienne chez le sujet diabétique est son caractère fréquemment asymptomatique. Ce caractère peu ou pas symptomatique est fréquent en diabétologie aussi bien pour le diabète lui-même que pour ses complications. Une partie de l’enjeu de la prise en charge et du suivi du patient diabétique consiste donc à dépister ces complications afin de mettre en place rapidement des mesures permettant d’éviter le passage à des formes plus graves ou plus sévères. S’il est indispensable et recommandé chez tous les diabétiques de réaliser, au moins annuellement, un fond d’œil, une mesure de créatinine et d’albuminurie, et un examen des pieds, qu’en est-il de l’intérêt du dépistage de la cardiopathie ischémique asymptomatique? Cette question en amène en fait 2 autres : 1) le dépistage systématique de la cardiopathie diabétique améliore-t-il le pronostic des patients diabétiques ? et 2) quel bénéfice pour le patient en cas de dépistage positif ?

    Bénéfice du dépistage systématique de la cardiopathie ischémique

    Tout d’abord, il faut rappeler qu’il est bien montré qu’il existe une association entre la présence d’une anomalie au test de dépistage et risque cardiovasculaire. Est-ce à dire que dépister une ischémie myocardique permettra de diminuer ce risque par rapport à une stratégie sans dépistage ? Le raccourci est facile mais il ne va pas de soi, il existe en effet une différence entre association (test positif = risque plus grand) et intervention (je fais un test = je diminue le risque). Cette question de l’amélioration du pronostic cardiovasculaire par un dépistage systématique de la cardiopathie ischémique a été abordé dans 4 études randomisés contrôlées : les essais DIAD, FACTOR-64, DADDY-D et DYNAMIT. Le design dans ces 4 études était un peu près similaire : des patients diabétiques non symptomatiques randomisés pour bénéficier soit d’une stratégie de dépistage systématique (scintigraphie myocardique, coroscanner ou échographie d’effort) soit d’une stratégie de suivi standard sans dépistage.

    Ces études montrent tout d’abord la faible rentabilité d’une stratégie de dépistage systématique. En effet, le taux de test positif était de 5 à 20% dans le groupe dépistage, conduisait à la réalisation d’une coronarographie dans 6 à 12% des cas et à un geste de revascularisation dans environ 4%. Mais surtout, les résultats principaux de ces essais montrent qu’après 3 à 5 ans de suivi, l’incidence des événements cardiovasculaires était similaire dans les 2 groupes de stratégie de dépistage. Il n’est pas observé de différence du nombre de mort d’origine cardiaque ou d’infarctus du myocarde chez les sujets inclus qu’ils aient ou non bénéficié d’un test de dépistage à l’inclusion. Il est donc clair aujourd’hui qu’une stratégie de dépistage systématique de la coronaropathie chez les patients diabétiques non symptomatiques n’apporte pas de bénéfice supplémentaire en termes de survie ou de survenue d’un évènement cardiovasculaire par rapport à une prise en charge standard.

    On peut se demander alors s’il ne serait pas plus rentable et plus bénéfique de sélectionner en amont les patients les plus à risque, c’est-à-dire ceux les plus susceptibles d’avoir un test positif et donc de pouvoir bénéficier d’un traitement optimisé. C’est le choix qui guide aujourd’hui les futures recommandations conjointes de la SFD et de la SFC : dépister les patients avec un risque très élevé défini par un score calcique à plus de 400. Les arguments rationnels pour appuyer une telle stratégie sont toutefois peu convaincants. Dans l’étude factor 64, le taux de patients avec un CAC à plus de 100 était important (41%) sans que la stratégie de dépistage soit plus efficace. Il n’existe actuellement aucun essai clinique ayant testé une stratégie de dépistage ciblé.

    Modifications thérapeutiques induites par un dépistage positif

    L’autre question que pose le dépistage de l’ischémie myocardique est celle de la modification thérapeutique qu’elle induirait. En effet, l’objectif d’un test de dépistage est de mettre en évidence une anomalie encore non symptomatique afin de mettre en place un traitement précoce qui éviterait l’aggravation ou la progression de la pathologie. Comme spécifié par l’OMS dans sa définition d’un test de dépistage, il faut alors disposer d’un traitement d’efficacité démontrée. Qu’en est-il concernant la cardiopathie ischémique ? Quelles conséquences thérapeutiques bénéfiques vont être déclenchées par la mise en évidence d’anomalies sur le test de dépistage ?

    Cette question a été abordée par plusieurs études randomisés contrôlés, pas toutes chez des diabétiques. La première de ces études, COURAGE a été publié en 2007. Elle a inclus 2287 sujets avec coronaropathie stable (dont 35% de diabétique) qui ont été randomisé soit dans un groupe traitement médical optimal plus angioplastie ± stent soit traitement médical optimal seul. Après un suivi médian de 4,6 ans, un infarctus du myocarde ou un décès est survenu chez 19% du groupe angioplastie et 18,5% du groupe traitement médical seul sans différence significative. Deux ans plus tard est publiée BARI-2D qui a inclus 2368 diabétiques de type 2 avec coronaropathie qui ont été randomisés dans un groupe traitement médical seul ou un groupe revascularisation (angioplastie ou pontage chirurgical). Après 5 ans de suivi, le taux de mortalité, infarctus du myocarde ou d’AVC était comparable dans les 2 groupes.

    En revanche, une diminution significative des événements a été observé chez les patients ayant bénéficié d’un pontage. Ensuite est venu FAME 2, une étude Belge, qui a raffiné un peu puisque cette fois seules les lésions coronariennes hémodynamiquement significative étaient traité dans le groupe revascularisation. Les résultats ont été spectaculaires avec un net bénéfice dans le groupe revascularisation. Cependant, ce bénéfice était uniquement observé pour le taux de revascularisations urgentes (critères non pris en compte dans les autres essais) alors que l’incidence des infarctus du myocarde et de la mortalité était non statistiquement différente. Cette année viennent d’être publiés les résultats de l’étude ISCHEMIA qui enfonce définitivement le clou de l’absence de bénéfice de la revascularisation des lésions coronariennes stables. Dans cette étude, 5179 sujets (42% étaient diabétique) ont été inclus sur la base d’un test de dépistage positif dont plus de 50% avaient une ischémie considérée comme sévère. Après un suivi médian de 3,3 ans, l’incidence des événements était similaire dans les groupes traitement médical seul et revascularisation (HR 0,93 (0,80-1,08), p=0,34). Aucune différence n’était observée dans le sous-groupe des sujets diabétiques.

    Conclusion

    Les données actuelles nous indiquent clairement qu’un dépistage systématique de l’ischémie myocardique asymptomatique chez les sujets diabétiques n’apporte pas de bénéfice aux patients. Il est en est probablement de même pour les dopplers artériels des membres inférieurs et des carotides qui ne sont en général prescrits que pour rassurer le médecin et qui reviennent dans la majorité des cas normaux ou sub-normaux.

    Mais alors que faire pour les quelques patients aux lésions coronariennes très sévères qui pourraient tirer avantage d’un pontage chirurgical coronarien, ou qui présente une lésion très serrée de la carotide ? Il faudrait pouvoir identifier ces patients sans devoir avoir recours à un dépistage de masse inefficace et anxiogène. Tout l’enjeu est donc d’identifier ces patients en limitant aux patients les plus à risque les tests de dépistage. Mais les méthodes d’évaluation efficaces manquent. Le score calcique est le test qui a le vent en poupe actuellement pour évaluer le risque cardiovasculaire. Mais aucune étude n’a encore validé cette stratégie de dépistage en 2 temps (score calcique puis test d’effort pour les scores les plus élevés uniquement).

    Reste donc à être pragmatique en évaluant le risque cardiovasculaire de nos patients avec des marqueurs simples : accumulation des facteurs de risque cardiovasculaires, âge, atteinte rénale du au diabète notamment la présence d’une albuminurie et éventuellement en faisant un score calcique. Cette stratification doit conduire à l’intensification du contrôle du risque cardiovasculaire. La place de l’aspirine dans cette stratégie n’est en revanche pas claire, aucune étude n’ayant montrée un bénéfice net en prévention primaire.

    Il n’est donc pas licite aujourd’hui de proposer, en l’absence de signes d’appel clinique un test de dépistage des complications cardiovasculaires aux patients diabétiques. Il est en revanche bien démontré que leur risque est élevé et qu’une stratégie médicale intensive permet diminuer ce risque

    Pour pouvoir accéder à cette page, vous devez vous connecter.