Pharmacovigilance

ANSM : " Notre capacité à nous adresser aux médecins s'est renforcée depuis l'affaire Dépakine"

Le directeur de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament revient sur le dossier de la Dépakine et sur les enseignements tirés de cette affaire. 

  • LODI FRANCK/SIPA
  • 24 Mai 2017
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    Quand Dominique Martin a pris les rennes de l’ANSM, en 2014, il a hérité de « l’affaire Dépakine ». Des milliers de bébés, victimes d’un anticonvulsant pris par leur mère pendant la grossesse pour traiter l'épilepsie. Des milliers d’enfants nés avec des malformations lourdes et des atteintes neurodéveloppementales fréquentes.

    Dès le début des années 1980, on le savait : le valproate de sodium a des effets tératogènes. Pourtant, trente ans plus tard, des femmes enceintes ou en âge de procréer se voyaient encore prescrire cet antipélipetique, dont on apprendra en 2005 qu’il engendre également des troubles neurodéveloppementaux chez les enfants exposés in utero. Aux familles, rien n’a été dit sur ces risques ; le message auprès des prescripteurs n'est pas passé. Aujourd’hui, elles veulent comprendre et obtenir réparation auprès des tribunaux.

    Alors, les regards se sont tournés vers l’agence, censée assurer la sécurité autour des médicaments et des prescriptions, protéger la santé des populations qui se soignent. Quelles failles cette affaire révèle-t-elle ? Comment l’agence l'analyse-t-elle, quelles leçons a-t-elle tiré ? Entretien avec Dominique Martin, le directeur de l’ANSM, dont le mandat qui s’achève à la fin de l’été a été marqué par un défi de taille : prendre en main l’affaire Dépakine.


    Le laboratoire a-t-il, comme il le dit, alerté l’agence dès le début des années 2000 sur ces prescriptions problématiques ?

    Dominique Martin : Ce point fait l’objet d’une discussion devant le juge. Je ne peux pas trancher un débat qui le sera par la justice. Je pense que la responsabilité est collective dans ce drame de santé publique. Il n’est pas normal que des mesures n’aient pas été prises plus tôt, c’est incontestable. Mais on ne peut pas se renvoyer la faute les uns les autres, ce n’est pas à la hauteur de la situation. Nous devons tous prendre nos responsabilités, nous devons toute la vérité aux familles et aux enfants qui ont ces difficultés. Aujourd’hui la responsabilité de l’agence est de collaborer avec la justice, ce qu’elle fait.


    Comment l’ANSM a-t-elle pu passer à côté de ces milliers d’enfants exposés, dont certains jusqu’en 2015 ?

    Dominique Martin : On ne peut pas dire cela, même s’il y a effectivement eu des signaux de pharmacovigilance au cours du temps. Les documents à destination des patients et des médecins ont été constamment modifiés et adaptés au fil des connaissances scientifiques. La question qui se pose est la suivante : est-ce que le niveau d’alerte et d’intervention a toujours été à la hauteur des connaissances dont nous disposions, notamment sur les retards neurodéveloppementaux entre 2005 et 2010 ? Est-ce que les mesures contraignantes qu’on a mises en place après 2014 auraient pu être prises avant ? C’est ce débat qui sera tranché par un juge.

    Ecoutez...
    L'intégralité de l'entretien avec Dominique Martin, directeur de l'ANSM  

     


    Avez-vous tiré des leçons de cette affaire pour éviter qu’une nouvelle crise similaire se produise ?

    Dominique Martin : Nous avons fait une analyse rétrospective de la situation. Nous avons tiré la conclusion qu’il faut être réactif très tôt, notamment pendant la période délicate où des informations émergent, mais où l'on ne dispose pas de certitudes sur les risques car les données sont encore contradictoires. Nous avons adopté une position ferme : très tôt, même quand on n’est pas sûr, à titre de précaution, on donne l’information.

    Il s’agissait aussi de sortir de l’idée, qui a probablement dominé pendant des années, selon laquelle il ne fallait pas directement informer les femmes pour ne pas les inquiéter, risquer de provoquer des avortements inutiles, mais au contraire ne s’adresser qu’aux médecins. Pour moi, c’est une idée totalement dépassée. J’ai participé à l’élaboration loi de 2002 sur le droits des malades (sur le consentement éclairé, ndlr), je défends le fait que l'on doit donner toute l’information aux patients, ne pas se raconter des histoires sur ce qu’on peut leur dire ou pas. L’agence a adopté cette dynamique d’information précoce, même si le risque peut a posteriori être écarté.


    Mais l’agence avait prévenu les médecins sur le mésusage du valproate, ses messages n’ont pas été entendus… Est-ce que votre parole pèse auprès d’eux ?

    Nous avons réellement modifié nos pratiques. Avant 2014, nous échangions avec les médecins par le biais d'un comité d’interface regroupant tous les professionnels de santé et les paramédicaux. Les discussions étaient fort intéressantes, mais finalement, chacun ne représentait que lui-même et cela ne débouchait sur rien. Ce comité d’interface a été remplacé par un comité avec le Collège de Médecine Générale, avec lequel nous entretenons des liens très étroits. Quant aux spécialistes, nous avons développé des relations bilatérales avec les sociétés savantes en fonction de la situation qui se déclare.

    Avoir accès aux prescripteurs constitue un enjeu majeur pour nous – ce qui n’est pas forcément aisé, étant globalement pas très connus, plutôt perçus comme une administration technocratique, jacobine, parisienne… De ce point de vue, le vaproate a été un dossier très emblématique. Depuis 2014, nous avons multiplié les outils, toujours avec l’idée qu’il faut trouver toutes les voies d’information. Bien sûr, cela prend du temps, mais nous avons investi ce champ et notre capacité à nous adresser aux médecins s’est vraiment renforcée.

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