Psychiatrie

Troubles bipolaires : "Devant une dépression, il faut y penser"

Plus d'un million de Français seraient atteints de troubles bipolaires mais ils sont nombreux à ne pas être diagnostiqués. Une errance qui pourrait être réduite par les généralistes.

  • Nicola Jones/Flickr
  • 30 Mars 2017
  • A A

    En mémoire de Vincent Van Gogh, le 30 mars, date de sa naissance, est devenu la journée mondiale des troubles bipolaires. En France, plus d’un million de personnes seraient atteintes de cette maladie psychiatrique. Anciennement appelée maladie maniaco-dépressive, la bipolarité se caractérise par des alternances de phase d’excitation et de dépression. Des symptômes complexes qui peuvent dérouter les patients, mais également les médecins. Les malades sont alors très souvent victimes d’une errance diagnostique.

    Un retard qui peut avoir de lourdes conséquences. Hospitalisations, chômage, addictions ou encore ruptures familiales émaillent souvent le parcours de vie des malades. L’absence de traitement augmentent également leur risque de suicide – prés d’un patient sur 6 non traité se suicide. Pour améliorer la reconnaissance des troubles bipolaires, les médecins généralistes sont en première ligne.

    Pour le Dr Clothilde Kowalski, généraliste à Issy-les-Moulineaux et chef de clinique à l'université de Versailles Saint Quentin (Yvelines), il est important d’évoquer la bipolarité face à une dépression et ne pas hésiter à parler du risque suicidaire avec les malades.


    Il peut s’écouler 10 ans avant le diagnostic. Comment le médecin généraliste peut réduire ce délai ?
    Dr Clotilde Kowalski :
    La première chose est d’y penser, notamment devant un épisode dépressif simple que nous médecins généralistes voyons beaucoup. On ne pense pas forcément que c’est un point d’entrée dans la maladie bipolaire.

    Pour réduire ce délai, nous aurions aussi besoin d’une coordination avec la psychiatrie. La littérature scientifique et ma pratique quotidienne montrent que nous aurions besoin d’aide et de soutien de psychiatres pour le diagnostic. Malheureusement, nos confrères ne sont pas toujours facilement joignables.

    Enfin un élément essentiel dans tout trouble mental est de s’intéresser à nos adolescents : 75 % des troubles psychiatriques ont débuté avant l’âge de 24 ans. Il faut vraiment qu’on s’y intéresse, qu’on les interroge, faire des consultations spécifiques avec eux pour essayer de repérer des signes avant-coureur.

    Ecoutez l'intégralité de l'entretien avec le Dr Clothilde Kowalski :

     

    Justement quels sont les signes à repérer ?
    Dr Clotilde Kowalski : Ces signes ne sont pas forcément spécifiques de la bipolarité. Cela peut être de l’anxiété, de la panique, un petit isolement, un décrochement scolaire… Face à toute petite chose anormale, il faut se poser la question pour savoir si l’adolescent entre dans une pathologie – même si je n’aime pas utiliser ce terme à ce moment là. Cela peut être un symptôme qui pourrait donner lieu plus tard à une maladie. Ceci permet de prendre en charge très tôt et pas forcément avec des traitements médicamenteux. Cette prise en charge psychologique peut être une aide ponctuelle pour éviter que les symptômes s’installent.

    Chez l’adulte, les patients ont souvent eu un parcours de soins difficile. Il y a souvent 3 diagnostics avant d’avoir celui de troubles bipolaires. Il faut donc les interroger sur leur parcours de vie afin de savoir s’ils ont eu des épisodes de dépression et des épisodes maniaques. Le plus difficile est l’hypomanie, c’est à dire un sentiment d’euphorie mais sans pour autant être excessif. Il faut aussi savoir s’ils ont déjà reçu des traitements comme les antidépresseurs et la réponse à ces médicaments. S’ils ont répondu trop vite ou trop fort, cela peut être le signe d’une bipolarité sous jacente.

    Les patients peuvent avoir du mal à reconnaître ces phases de manie. L’entourage peut alors jouer un rôle clé.
    Dr Clotilde Kowalski : C’est essentiel et nous ne sommes pas médecin de famille pour rien. L’entourage est absolument indispensable pour suivre ces patients. Le problème est que nous avons souvent accès à la famille une fois que le diagnostic est posé. Si on veut interagir avant, il faudrait pouvoir interroger la famille avant et que celle-ci nous signale un décrochage ou un changement de comportement. Elles n’ont pas toujours consciences que nous sommes à l’écoute. Nous sommes bien sûr tenus au secret professionnel mais elles peuvent nous donner des informations.

    Ces patients sont à très haut risque suicidaire. Comment le médecin généraliste peut accompagner le patient pour réduire ce risque ?
    Dr Clotilde Kowalski : Il faut en parler. Beaucoup de médecins n’osent pas parler de suicide de peur de donner des idées aux patients, que ce soit dans les troubles bipolaires ou la dépression. Il faut oser poser la question, et souvent le patient est soulagé qu’on lui en parle car il ne se trouve pas normal d’y penser. Il sent bien qu’il va à l’encontre de toutes les valeurs que la société lui a inculquées. Il faut donc lui dire qu’il a le droit et lui expliquer que dans un tel mal être on peut y penser, et lui dire que nous médecins nous somme justement là pour l’aider et prendre ses idées suicidaires comme un symptôme.

    En parler c’est déjà ouvrir la porte. Et le plus difficile dans tout trouble mental est d’ouvrir cette porte car on est dans une telle stigmatisation qu’il faut qu’on leur dise qu’ils ont le droit d’en parler sans avoir honte. Cette écoute permet aussi d’estimer la menace, savoir s’il y un passage à l’acte programmé et adresser le patient aux urgences psychiatriques si besoin.

    Pour pouvoir accéder à cette page, vous devez vous connecter.