Néphrologie
Lésions occultes de la Covid-19 : un risque majoré d’insuffisance rénale chronique
Près d’un tiers des patients auraient une atteinte rénale chronique ou un certain déclin de leur fonction rénale après la Covid-19, surtout s'ils ont été hospitalisés. Une atteinte rénale le plus souvent silencieuse et ignorée qu’il convient de dépister.
- Mohammed Haneefa Nizamudeen/istock
Les surprises associées à l’infection à SARS-CoV-2 ont été nombreuses et depuis le début les spécialistes considèrent que cette maladie n’est pas seulement une maladie infectieuse et certainement pas seulement une maladie respiratoire. Parmi d’autres atteintes extra-pulmonaires, les atteintes rénales ont été rapportées très tôt dans le cours évolutif de l’épidémie.
Dans une très large étude réalisée chez des anciens combattants américains, les survivants de la Covid-19 sont 35% plus à risque que les autres malades d’avoir des lésions rénales chroniques ou un déclin de leur fonction rénale (entre un et six mois après l'infection). L’étude est publiée dans JASN, le journal officiel de la société Nord-Américaine de néphrologie.
Risque majoré d’insuffisance rénale chronique
L’étude révèle que, entre un et six mois après l'infection, 4 757 survivants de la Covid-19 ont perdu au moins 30% de leur fonction rénale. Les patients atteints de Covid sont 25% plus à risque d'atteindre ce niveau de déclin que les personnes qui n’ont pas eu la maladie.
Un plus petit nombre de survivants de la Covid-19 ont connu un déclin plus marqué. Ainsi, après la Covid-19, les patients sont 44% plus à risque que les autres de perdre au moins 40% de leur fonction rénale et 62% plus susceptibles d'en perdre au moins 50%. Une insuffisance rénale terminale, qui survient lorsqu'au moins 85% de la fonction rénale est perdue, est retrouvée chez 220 patients Covid+.
Risque proportionnel à la sévérité de la Covid-19
Cette vaste étude suggère par ailleurs que, plus les patients Covid+ ont été malades au début de l’infection, plus ils sont susceptibles d’avoir des lésions rénales persistantes, en particulier chez ceux qui ont été en soins intensifs ou qui ont eu une insuffisance rénale aiguë à l'hôpital.
Les personnes qui ont été moins malades pendant leur hospitalisation pour Covid-19 sont moins susceptibles d'avoir des problèmes rénaux chroniques, mais sont tout de même beaucoup plus à risque que les patients qui n’ont pas eu de Covid-19. L'étude a également révélé que même les patients Covid+ qui n'ont jamais été hospitalisés ont un risque légèrement plus élevé de problèmes rénaux que la population générale des vétérans.
En fin de compte, les problèmes rénaux peuvent durer des mois après que les patients se soient remis de l'infection initiale, et peuvent conduire à une réduction sévère de la fonction rénale qui peut être définitive chez certains patients.
Moindre réversibilité de l’insuffisance rénale aiguë
L'équipe de recherche a examiné spécifiquement le cas de l’insuffisance rénale aiguë, rapportée chez de nombreux patients hospitalisés pour Covid-19 d'autres études et qui peut habituellement guérir sans entraîner une perte à long terme de la fonction rénale.
L'étude des vétérans révèle que l’insuffisance rénale aiguë est près de deux fois plus fréquente que chez les patients non atteints du Covid.
Ces nouvelles données confirment également que leur évolution est moins bonne : les patients atteints de la Covid-19 et qui avaient eu un épisode d’insuffisance rénale aiguë au cours de leur hospitalisation, ont une fonction rénale nettement moins bonne dans les mois suivant leur sortie de l'hôpital que les personnes qui ont eu un épisode d’insuffisance rénale aiguë due à d'autres pathologies.
Une étude sur plus d’un million de malades
Cette étude observationnelle et rétrospective, basée sur les dossiers bien documentés du Department of Veterans Affairs, a analysé les données de 89 216 personnes qui ont été testées positives au coronavirus entre le 1er mars 2020 et le 15 mars 2021, ainsi que les données de 1 637 467 personnes qui n'étaient pas des patients Covid.
Les deux groupes de patients de l'étude différaient, en ce sens que dans un groupe, ils avaient tous été infectés par le SARS-CoV-2 et que dans l'autre groupe, ils pouvaient avoir divers problèmes de santé mais pas de Covid-19. Les chercheurs ont essayé de minimiser les différences entre les 2 groupes via un ajustement sur une longue liste de caractéristiques démographiques, de maladies préexistantes, d'utilisation de médicaments… mais ces comparaisons ont bien sûr leurs limites.
L'un des points forts de l’étude est qu'elle porte sur plus de 1,7 million de patients disposant de dossiers médicaux électroniques détaillés, ce qui en fait la plus grande étude à ce jour centrée sur les atteintes rénales liées à la Covid19.
Ce n'est pas la seule étude à suggérer que des problèmes rénaux peuvent survenir après une infection par le SARS-CoV-2. L'une des limites à la généralisation des résultats de cette étude est que les patients y sont principalement des hommes blancs, avec un âge moyen de 68 ans.
De lourdes conséquences à long terme
Les néphrologues ne savent pas exactement ce qui peut provoquer des lésions rénales au cours la Covid-19. Cette maladie étant très hétérogène, la pathogénie est probablement complexe, hétérogène et variable selon les malades. Les reins pourraient être particulièrement sensibles aux violentes poussées inflammatoires qui y sont observées, ou la résultante de l'hyperactivation du système immunitaire, ou en liens avec les problèmes de coagulation sanguine souvent observés chez ces patients, tout ceci pouvant aboutir à une altération définitive de la fonction rénale. Mais, in fine, il n’est pas exclu que le SARS-CoV-2 soit également un virus avec un tropisme et une toxicité spécifique pour les reins.
Si ces résultats sont confirmés, les conséquences d’une insuffisance rénale chronique, même sur une petite fraction de ces patient, pourraient se faire sentir à long et très long terme avec une possible augmentation des besoins en dialyse et en greffe. En attendant, il faut les dépister avec une mesure de la clairance rénale et une évaluation de la protéinurie et du sédiment urinaire.











