Onco-Digestif
Cancer colorectal PIK3CA : l’aspirine adjuvante réduit les récidives post-opératoires
Chez des patients opérés d’un cancer colorectal porteurs d’altérations somatiques de la voie PI3K, l’aspirine 160 mg/j pendant 3 ans diminue la récidive à 3 ans par rapport au placebo. Le bénéfice est démontré pour les mutations PIK3CA hotspot (exons 9/20) et apparaît cohérent pour d’autres variants (PIK3CA non-hotspot, PIK3R1, PTEN), au prix d’une tolérance globalement acceptable.

- ironstealth/istock
Le cancer colorectal reste à haut risque de rechute malgré les progrès des prises en charge, avec 30–40% de récidives. Au-delà de ses effets analgésiques et cardioprotecteurs, l’aspirine possède des propriétés antitumorales plausibles via l’inhibition de COX-2 et la baisse de PGE2, interférant avec la signalisation PI3K–AKT–mTOR, souvent altérée (≈ un tiers des tumeurs).
Sur cette base, l’essai ALASCCA a évalué, en double aveugle, versus placebo, l’aspirine 160 mg/j pendant 3 ans après résection d’un cancer colorectal : rectum stades I–III ou côlon stades II–III, porteurs d’altérations de la voie PI3K. Le critère principal ciblait les mutations PIK3CA hotspot (groupe A) ; les autres variants de la voie PI3K (groupe B) étaient analysés en secondaire.
Selon les résultats publiés dans le New England Journal of Medicine, chez les PIK3CA hotspot, l’incidence cumulée de récidive à 3 ans est passée de 14,1% sous placebo à 7,7% sous aspirine (HR 0,49 ; IC à 95% 0,24–0,98 ; p=0,04). Chez les autres groupe PIK3CA, les estimations sont 16,8% versus 7,7% (HR 0,42 ; IC à 95% 0,21–0,83). Ces résultats soutiennent une sensibilité tumorale liée au statut PI3K et l’intérêt de l’adjonction d’aspirine en situation adjuvante.
Tendance à l’amélioration de la survie à ce jour
Au-delà de la récidive, la survie sans événement à 3 ans tend à s’améliorer : 88,5% sous aspirine contre 81,4% sous placebo (HR 0,61 ; 0,34–1,08) chez les PIK3CA hotspot ; 89,1% contre 78,7% (HR 0,51 ; 0,29–0,88) chez les autres groupes. Une estimation exploratoire suggère un NNT allant d’environ 6 en stade III rectal à 42 en stade II colique, illustrant un bénéfice gradué par risque de base.
La tolérance reste conforme au profil connu des anti-COX : événements indésirables graves chez 16,8 % des patients sous aspirine versus 11,6 % sous placebo ; le sur-risque absolu demeure modeste mais impose une sélection clinique rigoureuse (ATCD hémorragiques, ulcère, co-médications anti-thrombotiques) et une information éclairée. Sur le plan biologique, l’hypothèse d’une boucle de rétro-contrôle PI3K-COX-2 explique la sélectivité du bénéfice dans les tumeurs altérées, cohérente avec les données précliniques et observationnelles antérieures.
Profilage moléculaire et évaluation du risque hémorragique
ALASCCA est un essai randomisé, en double aveugle, contrôlé placebo, optimisé par utilisation de biomarqueurs (sélection des patients sur altérations PIK3CA/PIK3R1/PTEN), avec analyse en temps-événement de la récidive. Parmi 2980 patients profilés, 1103 (37 %) avaient une altération PI3K, et 626 ont été randomisés (1:1 aspirine/placebo) pour les groupes A et B, assurant un équilibre des caractéristiques de base et une interprétation robuste du signal d’efficacité. La représentativité est solide pour les cancers colorectaux opérés stades I–III et pris en charge selon les standards (chimiothérapies adjuvantes basées sur les recommandations). Les limites tiennent à une puissance moindre pour certains sous-groupes et à l’immaturité de la survie globale, mais n’altèrent pas la cohérence du bénéfice sur la récidive.
Selon un éditorial associé, ces données ouvrent la voie à une stratégie simple : prescrire précocement l’aspirine 160 mg/j après chirurgie chez les patients porteurs d’altérations PI3K, après profilage moléculaire systématique et évaluation du risque hémorragique. Cette approche, peu coûteuse, pourrait s’intégrer aux parcours adjuvants, notamment quand le risque tumoral est élevé (stade III, rectum) et que le NNT est favorable.
Les priorités de recherche incluent la durée optimale du traitement, l’interaction avec les schémas de chimiothérapie et d’immunothérapie, l’affinement biomarqueur-dépendant (type d’altération, co-mutations, niveau d’expression de COX-2) et l’évaluation de stratégies combinées anti-COX/anti-PI3K. À court terme, l’adoption du test moléculaire précoce et l’information des patients sur bénéfices/risques constituent un changement de pratique pragmatique pour réduire la récidive des cancers colorectaux sélectionnés par biomarqueur.