Pneumologie

Asthme sévère et biothérapies : un remodelage systémique des lymphocytes de type 2

Les biothérapies ont amélioré la vie de patients souffrant d'asthme sévère mais, une nouvelle étude montre que certaines cellules immunitaires à fort potentiel inflammatoire ne sont pas complètement éliminées lors du traitement.

  • AntonioGuillem/istock
  • 26 Jun 2025
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    Les traitements de fond par anti-IL5 ou anti-IL4 n’épuisent pas les cellules inflammatoires mais modifient leur phénotype et leur trafic : chez des asthmatiques sévères, la fréquence sanguine des ILC2, Th2 et Tc2 augmente, tandis que l’expression des récepteurs d’homing tissulaire diminue. Cette redistribution pourrait participer à la baisse de l’inflammation bronchique mais laisse présager la nécessité d’une exposition prolongée aux biologiques.

    L’asthme sévère « type 2-high » reste dominé par une infiltration éosinophilique orchestrée par les cytokines IL-5 et IL-13 sécrétées par un réseau complexe de lymphocytes ILC2, Th2 et Tc2. Les anticorps ciblant l’axe IL-5 (mépolizumab) ou le récepteur commun IL-4/IL-13 (dupilumab) réduisent les exacerbations, mais leur impact immunologique global reste mal méconnu. Dans la cohorte prospective BIOCROSS, menée par le Karolinska Institutet en Suède, 40 adultes atteints d’asthme sévère non contrôlé sous fortes doses de corticoïdes inhalés et oraux ont été suivis à M0, M4 et M12 après initiation de mépolizumab (n = 33) ou de dupilumab (n = 7).

    Publiés dans Allergy, les résultats de l’analyse cytométrique haute dimension montrent un doublement moyen de la proportion sanguine d’ILC2 (p < 0,001) après mépolizumab, accompagné d’une hausse significative des lymphocytes Th2 et Tc2 (respectivement +65 % et +54 %). Sous dupilumab, l’augmentation touche surtout les ILC2 (+71 %). Ce « reflux » circulatoire contraste avec l’hypothèse initiale d’un épuisement effecteur et suggère un mécanisme de relocalisation plutôt qu’une déplétion.

    Des signatures phénotypiques et fonctionnelles inédites

    La caractérisation fine révèle une polarisation des ILC2 vers un profil CD117^low / CD62L^high, traduisant une moindre activation tissulaire et une capacité accrue de recirculation nodale. Parallèlement, les Th2 et Tc2 acquièrent un statut mémoire central (CD45RA^– CD62L^+).

    L’expression des récepteurs de chimiotaxie CXCR4 (ILC2) et GPR183 (ILC2, Th2, Tc2) décroît de 25 à 40 %, corrélant avec la baisse de FeNO et d’éosinophiles bronchiques rapportée in vivo. L’approche scRNA-seq (3 patients) confirme cette désensibilisation migratoire : les modules transcriptomiques liés au « homing pulmonaire » s’éteignent tandis que s’expriment des gènes de quiescence circulatoire (SELL, CCR7).

    Paradoxalement, après stimulation ex vivo par TSLP + IL-33, la production d’IL-5/IL-13 double, suggérant une réserve fonctionnelle préservée malgré l’absence d’adresse tissulaire. Aucun signal de cytopénie, d’hyperéosinophilie réactionnelle ou de sur-infection opportuniste n’est observé ; les événements indésirables restent conformes aux profils déjà connus des deux anticorps.

    Les biologiques déplaceraient les lymphocytes effecteurs plutôt qu’ils ne les détruiraient

    BIOCROSS associe un design longitudinal (12 mois), un effectif réaliste pour l’asthme sévère et des technologies de pointe ; les patients recrutés en centre spécialisé (âge médian 54 ans, 60 % femmes, VEMS 55 % théorique) reflètent la population cible des GINA 5. Les données sanguines, corroborées par la scRNA-seq et par des tests fonctionnels, renforcent la validité des conclusions, même si l’absence d’échantillons bronchiques limite l’extrapolation directe à la muqueuse.

    Selon les auteurs, ces résultats éclairent plusieurs enjeux. Les biologiques déplaceraient les effecteurs plutôt qu’ils ne les détruiraient, expliquant les rechutes rapides à l’arrêt. C’est probablement un mécanisme de persistance cellulaire. Dans ce contexte, un suivi phénotypique des ILC2/Th2 circulants pourrait guider la décroissance des doses et identifier les rares patients susceptibles d’une rémission sans traitement. Du point de vue de la recherche translationnelle, comprendre les mécanismes de ré-adressage ouvre la voie à des combinaisons ciblant simultanément activation et trafic des lymphocytes, ou à des approches d’induction de tolérance pour obtenir une vraie guérison immunologique.

     

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