Hématologie
Leucémie lymphoïde chronique : faut-il interrompre les iBTK lors de la vaccination anti-SARS-CoV-2 ?
La leucémie lymphoïde chronique (LLC), constituant la forme de leucémie la plus fréquente, est associée à une immunosuppression profonde. Les inhibiteurs de la tyrosine kinase de Bruton (iBTK) ont révolutionné la prise en charge de la LLC, mais leur utilisation compromet la réponse immunitaire induite par la vaccination. Les auteurs de cette publication ont évalué la perspective d’une interruption temporaire de trois semaines du traitement par iBTK afin d’améliorer l’immunité dirigée contre le domaine de liaison au récepteur (RBD) de la protéine Spike du SARS-CoV-2 après un rappel vaccinal.

- Jacob Wackerhausen/istock
Les patients atteints de leucémie lymphoïde chronique (LLC) ont une immunosuppression profonde, associée à une morbimortalité élevée en cas d’infection à SARS-CoV-2 1. Bien que les rappels de vaccination améliorent l’immunité chez certains patients, ceux sous inhibiteurs covalents de la tyrosine kinase de Bruton (iBTK) restent peu répondeurs, même après plusieurs doses vaccinales. La BTK est essentielle à l’activation des cellules B, et les iBTK, bien qu’efficaces contre la LLC, altèrent notamment la réponse humorale.
Des études observationnelles suggèrent par ailleurs qu’une interruption temporaire des iBTK pourrait restaurer partiellement la signalisation B et améliorer la réponse vaccinale 2. Les auteurs de cette étude ont évalué l’intérêt d’une pause de 3 semaines des iBTK lors de rappels vaccinaux anti-SARS-CoV-2 3.
Une étude multicentrique britannique
Entre Octobre 2022 et Juin 2023, 99 patients atteints de LLC et traités par iBTK ont été inclus et randomisés dans cette étude : 50 patients pour interrompre le traitement lors d’un rappel vaccinal, et 49 pour poursuivre l’iBTK. L’âge moyen des patients était de 71 ans (écart-type 8,8), et 71 patients (72 %) étaient des hommes. Cinquante-et-un patients (52%) recevaient de l’ibrutinib, et 48 (48%) de l’acalabrutinib. L’ibrutinib était prescrit à la posologie recommandée de 420 mg/jour pour 43 patients (84%), et avec des doses réduites à 280 mg/jour chez 5 patients (10%) et 140 mg/jour chez 3 patients (6%).
Soixante-trois patients (64%) recevaient l’iBTK en première ligne de traitement, tandis que parmi les 36 patients (36%) recevant une ligne ultérieure, 28 (78%) étaient en deuxième ligne. La durée médiane de traitement par iBTK lors de l’inclusion était de 933 jours. Le nombre médian de doses de vaccin recues contre la COVID-19 avant l’inclusion était de cinq (IQR 5–6), 92 patients (94%) ayant reçu au moins quatre doses. Le critère de jugement principal était le taux d’anticorps dirigés contre le domaine de liaison au récepteur (RBD) 3 semaines après l’administration du rappel vaccinal.
Aucun bénéfice quantitatif à interrompre le traitement par iBTK !
A 3 semaines de la dose de rappel vaccinal, les titres géométriques moyens d’anticorps anti-RBD sont de 218,8 U/mL (écart-type 122,9) dans le groupe « poursuite » et de 153,4 U/mL (103,2) dans le groupe « pause », avec un ratio moyen géométrique (RMG) de 1,104 (95%CI : 0,565–2,158 ; P=0,77). À 12 semaines, aucune différence n’est observée entre les groupes (177,6 U/mL [95,3] vs 122,4 U/mL [92,5] ; RMG 1,037 [0,529–2,035], P=0,91).
Une réponse humorale détectable est présente chez 67 patients (68%) à l’inclusion, et ce taux reste stable à 3 semaines. Le taux de réponse est de 69% (33/48) dans le groupe « poursuite » et de 68% (32/47) dans le groupe « pause ». Les titres à 3 semaines sont significativement plus faibles chez les patients recevant l’iBTK en première ligne (n=62 ; 136,9 U/mL [SD 99,7]) comparé à ceux en lignes ultérieures (n=33 ; 318,6 U/mL [136,0]).
Aucun bénéfice fonctionnel à interrompre le traitement par iBTK !
Afin d’évaluer la qualité fonctionnelle des anticorps, des tests de neutralisation ont été réalisés pour le virus ancestral B.1, le variant B.1.351 ainsi que les variants Omicron. Les titres de neutralisation ont augmenté à 3 semaines chez les répondeurs; toutefois, l’interruption de l’iBTK n’améliore pas la neutralisation du virus B.1 ni à 3 ni à 12 semaines (RMG 1,073 [95%CI : 0,626–1,837] et 0,647 [0,378–1,109]) comparativement à la poursuite du traitement.
L’évaluation de l’immunité cellulaire ne révèle aucune différence dans la réponse en interféron gamma après stimulation par des peptides B.1 entre les deux groupes de l’étude, avec une moyenne de 454 SFCU/10⁶ cellules à 3 semaines dans le groupe « poursuite » contre 433 SFCU/10⁶ cellules dans le groupe « pause » (RMG 1,366 [95%CI : 0,898–1,988], P=0,15). Une réponse diminuée mais similaire est également observée pour le variant XBB : 322 SFCU/10⁶ cellules dans le groupe « poursuite » contre 231 SFCU/10⁶ cellules dans le groupe « pause » (RMG 1,327 [95%CI : 0,851–2,070], P=0,21).
Conclusion
Cette étude randomisée dans la LLC sous iBTK ne révèle aucun bénéfice à interrompre temporairement le traitement par iBTK lors de l'administration d'un rappel vaccinal contre le SARS-CoV-2. Par conséquent, il n'est pas recommandé de suspendre ce traitement pour améliorer la réponse immunitaire vaccinale. De plus, cette population vulnérable restant à risque d'infections, des mesures préventives, telles que la prophylaxie par anticorps monoclonaux, doivent être envisagées lorsque celles-ci sont disponibles.
Références
- Forconi F, Moss P. Perturbation of the normal immune system in patients with CLL. Blood 2015;126(5):573-81. DOI: 10.1182/blood-2015-03-567388.
- Tomasulo E, Paul S, Mu R, et al. Interruption of BTK inhibitor improves response to SARS-CoV-2 booster vaccination in patients with CLL. Leuk Lymphoma 2023;64(14):2306-2315. DOI: 10.1080/10428194.2023.2258243.
- Cook JA, Patten PEM, Peckham N, et al. A 3-week pause versus continued Bruton tyrosine kinase inhibitor use during COVID-19 vaccination in individuals with chronic lymphocytic leukaemia (IMPROVE trial): a randomised, open-label, superiority trial. Lancet Haematol 2025;12(4):e294-e303. DOI: 10.1016/S2352-3026(25)00008-0.