Pédiatrie
Maladie rare : un bébé guéri grâce au 1er traitement personnalisé de modification génétique
Une première thérapie par édition de base in vivo chez un nourrisson atteint d’un déficit en carbamoyl-phosphate synthétase 1 (CPS1), normalise l’ammoniémie et réduit de moitié la charge en chélateurs d’azote. La technique développée en moins de six mois, ouvre des perspectives inédites pour les milliers de maladies métaboliques ultra-rares.

- LeManna/istock
Un bébé souffrait d'une maladie génétique rare monogénique, le déficit en CPS1, qui touche seulement un bébé sur 1,3 million. En cas de survie, il aurait souffert de graves retards mentaux et développementaux et aurait finalement eu besoin d'une greffe du foie. Mais la moitié des bébés atteints de cette maladie meurent au cours de la première semaine de vie. Au lieu de cela, il est entré dans l'histoire de la médecine.
Selon ses médecins, ce bébé, aujourd'hui âgé de 9 mois et demi, est devenu le premier patient, tout âge confondu, à bénéficier d'un traitement personnalisé par édition de gène. Il a reçu une perfusion spécialement conçue pour lui afin de corriger précisément la mutation unique dans un gène précis et responsable de sa maladie. Des chercheurs de multiples équipes de Philadelphie ont présenté leurs travaux lors du congrès annuel de l'American Society of Gene & Cell Therapy et les publient en parallèle dans le New England Journal of Medicine. Les implications de ce traitement vont bien au-delà du traitement de ce seul bébé.
L’édition de base permet désormais de corriger des mutations sur un seul gène in vivo
Le recours à l’édition de base CRISPR-Cas9 pour corriger in vivo des variants uniques franchit un cap avec l’étude N-of-1 menée par cette équipe. Les maladies comme celle de ce bébé sont le résultat d'une seule mutation, une lettre incorrecte parmi les trois milliards que compte le génome humain. Pour la corriger, il faut cibler précisément, grâce à une approche appelée édition de base (CRISPR), une sorte de GPS moléculaire qui a été modifié pour parcourir l'ADN d'une personne jusqu'à ce qu'il trouve la lettre d'ADN qui doit être modifiée dans le gène malade.
Pour accomplir cette tâche remarquable, le traitement est encapsulé dans des nanoparticules lipidiques afin de le protéger de la dégradation dans le sang pendant son transport vers le foie, où la modification sera effectuée. Entre la confirmation génétique et la première perfusion, 180 jours seulement ont été nécessaires. Deux doses IV (0,1 puis 0,3 mg/kg à J0 et J+22) ont divisé la médiane d’ammoniémie par plus de deux (23 → 9 → 13 µmol/L) et permis d’augmenter l’apport protéique sans crise hyperammonémique, malgré deux infections virales rapprochées, démontrant un bénéfice clinique rapide et potentiellement durable.
Une révolution dont la tolérance nécessite d’être confirmée sur le long terme
Parmi les critères secondaires, la glutanémie s’est stabilisée, l’orotate urinaire est passé de 1,7 à 2,4–2,6 mmol/mol créatinine, et le poids a gagné 1 kg pour atteindre le 26ème percentile en sept semaines. La dose quotidienne de phénylbutyrate a été réduite de 50 % (10,1 → 5,0 ml/m²).
La tolérance s’avère acceptable : pics transitoires modérés des transaminases après la seconde dose, toux rapidement résolutive, absence de cytopénie et d’édition hors cible cliniquement pertinente. Chez le macaque cynomolgus, une étude toxicologique à 1,5 mg/kg n’avait montré aucun signe clinique, les excipients lipidiques chutant de > 99,5 % en 14 jours. Dans les modèles murins Rosa26-Q335X, jusqu’à 42 % d’édition hépatique correcte étaient obtenus dès 0,1 mg/kg, avec uniquement des modifications silencieuses voisines.
Ces données résultent d’un programme accéléré : criblage de 42 couples ABE/ARNg sur cellules HuH-7 porteuses d’une cassette Q335X, validation in vivo sur deux modèles murins, étude de toxicité primate, puis autorisation FDA d’accès compassionnel. Il s’agit d’un seul patient, suivi 7 semaines, et il n’y a pas eu de biopsie hépatique, mais la pertinence biologique est élevée : CPS1 agit exclusivement dans l’hépatocyte, cible unique du vecteur.
Une révolution qui peut concerner des milliers de maladies ultra-rares
Des millions de personnes ont l'une des 7 000 maladies génétiques rares. La plupart sont si rares qu'aucune entreprise n'est prête à passer des années à développer une thérapie génique dont si peu de personnes auraient besoin. Mais le traitement de ce bébé, qui s'appuie sur des décennies de recherche financée par le gouvernement fédéral, offre aux entreprises une nouvelle voie pour développer des traitements personnalisés sans passer par des années de développement et d'essais coûteux.
Selon un éditorial associé, cette méthode est l'une des technologies les plus susceptibles de transformer le monde. Puisque que le traitement a été personnalisé afin que CRISPR ne trouve que cette unique mutation, le même type de méthode pourrait être adapté et utilisé à plusieurs reprises pour corriger des mutations à d'autres endroits de l'ADN d'une autre personne. Elle pourrait également être utilisée à terme pour des maladies génétiques plus courantes telles que la drépanocytose, la mucoviscidose, la maladie de Huntington et la dystrophie musculaire.
En pratique, ce traitement pourrait servir de « pont » avant transplantation ou l’éviter chez des patients stabilisés, moyennant une immunosuppression ciblée. La mutualisation d’un ARNm éditeur commun et d’un vecteur LNP, la personnalisation se limitant à l’ARNg, s’inscrit dans la disposition américaine « platform technologies » (2022) et pourrait transformer les thérapies N-of-1 en N-of-many. Les futures recherches devront explorer la durabilité de l’édition, l’absence de mosaïcisme germinal, l’escalade de dose cumulative et la transposition à la moelle, aux lymphocytes T, voire au système nerveux.