Cardiologie
Insuffisance cardiaque : la dépression est un nouveau facteur de risque modifiable
La dépression est associée à une augmentation de 14% du risque d’insuffisance cardiaque dans une cohorte de vétérans américains, indépendamment des facteurs de risque classiques. Chez les patients à faible risque cardiovasculaire, ce surcroît de risque atteint 58%, soulignant l’importance du dépistage et de la prise en charge de la dépression pour prévenir une insuffisance cardiaque.

- Silver Place/istock
Avec le vieillissement de la population, la prévalence de l’insuffisance cardiaque (IC) ne cesse de croître ; près de 6,7 millions d’adultes en sont atteints aux États-Unis. Parallèlement, la dépression touche également environ 21 millions d’Américains chaque année, avec une hausse marquée chez les 18-25 ans. Si la comorbidité dépression-insuffisance cardiaque est bien documentée sur le plan pronostic (plus d’hospitalisations et mortalité plus élevée), le risque d’insuffisance cardiaque après un diagnostic de dépression reste mal quantifié.
Une étude de cohorte, dont les résultats sont rapportés dans JAMA Network Open, a porté sur 2 843 159 vétérans n’ayant pas d’insuffisance cardiaque à l’inclusion (âge médian 54 ans ; 94,2 % d’hommes), dont 8,0 % avaient une dépression préexistante. Sur une durée médiane de suivi de 6,9 ans, le taux d’incidence non ajusté d’insuffisance cardiaque est de 136,9 cas pour 10 000 patient-années (IC à 95 % 132,2-141,7) chez les dépressifs versus 114,6 (IC à 95 % 113,4-115,9) chez les non-dépressifs. Après ajustement sur l’âge, le sexe, la race, l’hypertension, le diabète, la dyslipidémie, l’IMC, le tabagisme et la consommation d’alcool, la dépression reste associée à un surcroît de risque d’IC de 14 % (HR 1,14 ; IC à 95 % 1,13-1,16), soit un excès de 16 cas pour 10 000 patient-années.
Une association quel que soit le profil de comorbidités
Des analyses en sous-groupes ont montré que l’association entre dépression et insuffisance cardiaque persiste quel que soit le profil de comorbidités : chez les patients sans autre pathologie chronique, la dépression entraîne un risque accru de 58 % (HR 1,58 ; IC à 95 % 1,39-1,80), correspondant à 14,2 excès de cas par 10 000 patient-années. Les analyses de sensibilité, intégrant la dépression comme variable dépendante du temps ou n’excluant pas les nouveaux diagnostics dans la cohorte contrôle, ont confirmé la robustesse de l’association.
Les taux bruts d’insuffisance cardiaque sont particulièrement élevés chez les hommes dépressifs comparés aux femmes, et plus marqués chez les vétérans noirs et les plus âgés. Aucun signal d’effet indésirable lié à la dépression n’a été rapporté en dehors des événements cardiovasculaires eux-mêmes ; la tolérance des traitements antidépresseurs n’a pas pu être analysée en raison de l’absence de données fiables sur leur indication.
Une très large étude de cohorte sur des anciens combattants américains
Les données proviennent du VA Birth Cohort, base de la VA Corporate Data Warehouse, couvrant la période du 1er janvier 2000 au 1er octobre 2015. Les vétérans inclus, nés entre 1945 et 1965, répondaient à la définition de « medical home » (≥ 3 visites externes en 5 ans) et étaient indemnes d’IC au départ. La dépression validée reposait sur au moins un code ICD-9/10 en hospitalisation ou deux en consultation externe. L’échelle de Cox ajustée a permis d’estimer les hazard ratios, avec un contrôle pour les principaux facteurs de confusion.
Bien que la cohorte soit majoritairement masculine et blanche, elle comprenait plus de 550 000 vétérans noirs, 144 000 hispaniques et 165 000 femmes, assurant une représentativité plus large que les études antérieures.
Un renforcement de la valeur des recommandations actuelles
Ces résultats renforcent les recommandations ACC/AHA d’évaluer systématiquement la dépression chez les patients à risque d’insuffisance cardiaque. La dépression devrait être considérée comme un facteur de risque cardiovasculaire modifiable : son dépistage précoce et sa prise en charge (thérapies pharmacologiques et non pharmacologiques, notamment la thérapie cognitivo-comportementale) pourraient prévenir ou retarder l’apparition d’une insuffisance cardiaque.
Des essais prospectifs sont nécessaires pour évaluer si le traitement efficace de la dépression diminue réellement l’incidence d’IC. Par ailleurs, l’étude de mécanismes physiopathologiques (tonus sympathique, inflammation, comportements de santé) et l’analyse de la dose-effet des antidépresseurs sur le risque cardiovasculaire constitueront des pistes majeures pour affiner les stratégies de prévention et optimiser la prise en charge des patients dépressifs.