Neurologie

Maladie d'Alzheimer : la recherche n'a jamais été aussi dynamique

Le professeur Krolak-Salmon, neurologue et gériatre au CHU de Lyon, nous explique au regard des essais cliniques en cours comment nous pourrions d'ici quelques années mieux diagnostiquer et traiter la maladie d’Alzheimer, une pathologie neurodégénérative qui touche actuellement plus de 1,2 millions de personnes en France.

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  • 03 Oct 2022
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    La recherche dans la maladie d’Alzheimer n’a jamais été si active d’après le professeur Krolak-Salmon, neurologue et gériatre au CHU de Lyon avec de nombreuses pistes d'amélioration pour le diagnostic et le traitement de la maladie d'Alzheimer.

    Récemment encore, les laboratoires Eisai et Biogen viennent de publier les premiers résultats de l'essai clinique CLARITY AD sur le lécanemab, un anticorps anti-amyloïde destiné à ralentir la progression de la maladie d'Alzheimer. Et ces résultats sont très positifs. Une nouvelle preuve de la dynamique de la recherche mondiale contre la maladie d'Alzheimer.

    Il existe actuellement des pistes de recherche prometteuses pour des traitements ciblant le processus physiopathologique de la maladie d'Alzheimer. Pourrait-on maintenant envisager de guérir cette pathologie ?

    La recherche thérapeutique dans la maladie d'Alzheimer n'a jamais été aussi dynamique. On a des dizaines d'essais thérapeutiques dans le monde avec différentes pistes, beaucoup d'immunothérapie anti-amyloïde, la piste la plus prometteuse. Mais on n’est pas utopistes et on n’a pas pour objectif d'être complètement curatifs de cette maladie. Mais si on repousse de 5 ans en moyenne la dépendance liée à cette maladie, on aura fait un énorme effort de santé publique.

    Et repousser de 5 ans en moyenne, ça veut peut-être dire quand on a 80 ou 85 ans échapper complètement à la maladie d'Alzheimer, avant un départ naturel. Et cet objectif semble bien atteignable avec certains traitements anti-amyloïdes en cours d'évaluation.

    Concernant les traitements anti-amyloïdes justement, peut-on espérer bientôt une AMM pour l'un d'eux ?

    Il y a de gros résultats de recherches qui vont tomber avant la fin de l'année. Deux anticorps monoclonaux contre la protéine amyloïde ont été étudiés dans deux grands essais et les résultats vont arriver en novembre (ndlr : les résultats complets de l'essai CLARITY AD seront présentés au CTAD, un congrès dédié aux essais thérapeutique dans la maladie d'Alzheimer qui se tiendra fin novembre à San Francisco) et en décembre.

    S'ils sont vraiment très positifs, dans les 2 ans qui suivent on pourra aller vers une prise en charge par la sécurité sociale, peut-être même avant avec les accès précoces.

    Il n'existe actuellement aucun traitement contre la maladie d'Alzheimer, les résultats des recherches sur les anticorps anti-amyloïdes sont positifs, alors pourquoi faut-il attendre encore si longtemps pour y avoir accès ?

    On a déjà une preuve de concept avec les anticorps anti-amyloïde, c'est-à-dire qu'on montre qu'on arrive à débarrasser le cerveau de la protéine amyloïde. En PET-scan, par exemple, les images sont nettoyées et en 18 mois de traitement, on a déjà un impact clinique avec une modification de la trajectoire des fonctions cognitives. Ce qui est discuté, c'est la taille d'effet, c'est statiquement significatif mais l'effet est encore modeste. Pour les autorités, la taille de cet effet clinique pour une soutenabilité économique pour le pays, n'est pas encore suffisante. Ils attendent donc d'autres études pour confirmer et aller plus loin. Pour nous scientifiques, médecins, par contre, on souligne l'importance de cette preuve de concept.

    Et l'immunothérapie anti-protéine Tau, est-elle elle aussi une voie d'avenir pour traiter la maladie d'Alzheimer ?

    Les essais anti-Tau sont décevants mais il y en a encore en cours et il peut y avoir des surprises. Il y a aussi d'autres voies métaboliques qui sont étudiées avec des antidiabétiques par exemple. Mais clairement ce qui est le plus dynamique en ce moment en domaine de recherche, c'est l'immunothérapie anti-amyloïde.

    Dans le domaine du diagnostic de la maladie d'Alzheimer, quelles évolutions sont attendues prochainement ?

    Il va y avoir bientôt sur le marché le PET-scan, avec un traceur amyloïde qui aura à peu près les mêmes performances que le dosage des biomarqueurs dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Ce sera un vrai progrès diagnostic. Il sera indiqué en deuxième intention si la ponction lombaire n'est pas réalisable ou si les premiers résultats sont discordants.

    Et les biomarqueurs sanguins, seront-ils bientôt utilisés dans la pratique courante pour le diagnostic de la maladie d'Alzheimer ?

    On espère que dans les années futures, pour être raisonnable je dirais 3 à 5 ans, on pourra remplacer la ponction lombaire et le PET-scan par une prise de sang des biomarqueurs de la maladie d'Alzheimer, avec la même efficacité diagnostique. Mais ça ne peut pas se faire du jour au lendemain, ça demande vraiment du temps de validation. Quand je vois l'expérience du LCR, on a mis 15 ans à le valider et à le faire rentrer dans les pratiques, alors qu'on avait de belles performances scientifiques. 

    Et quelle place auront ces biomarqueurs sanguins dans le diagnostic de la maladie d'Alzheimer ?  

    Le dosage sera réalisé dans les mêmes conditions que le dosage des biomarqueurs dans le LCR, c'est-à-dire pour certains cas complexes comme des patients très jeunes, des formes atypiques ou des troubles cognitifs légers. C'est très important d'utiliser les outils diagnostiques de manière graduée. Il faut commencer par une évaluation clinique et neuropsychologique et ne pas proposer d'emblée les biomarqueurs comme dépistage à tout le monde parce que sinon on ferait n'importe quoi.

    Du côté de la prévention, sait-on aujourd'hui comment agir efficacement pour limiter les risques de développer la maladie d'Alzheimer ?

    Il y a pas mal de facteurs de risque modifiables pouvant faire diminuer le risque. La commission d'experts organisée par le Lancet et dirigée par le professeur Livingston a confirmé il y a peu, qu'environ 40% du risque de maladies neuro-évolutives et en particulier de maladie d'Alzheimer est attribué à des facteurs modifiables. Ils sont de plusieurs ordres et un lien significatif est avéré pour chacun d'eux.

    Il y a dès le début de la vie, les stimulations de type éducation, loisirs, enrichissement social qui stimulent le cerveau et développent la réserve cognitive. Il y a aussi une nutrition équilibrée de type méditerranéen, l'activité physique, les quatre principaux facteurs de risque cardio-vasculaire (hypertension artérielle, diabète, cholestérol et tabac), l'alcool au-delà d'un à deux verres par jour, l'environnement avec la pollution atmosphérique, l'hypoacousie non appareillée, les traumatismes crâniens sévères, ou encore la dépression et l'anxiété. La qualité du sommeil joue beaucoup aussi.

    La proportion de cas évitables de maladie d'Alzheimer en agissant sur des facteurs de risque modifiables est donc très importante. Pensez-vous qu'il faudrait donc améliorer la politique de santé publique dans ce domaine ?  

    Pour l'instant, on fait beaucoup de communication, on essaye de faire passer les messages mais ça ne suffit pas. Il faut plus de financements de l’État, et des acteurs privés de la prévoyance peut être, pour la prévention de la maladie d'Alzheimer. Les financements semblent arriver du côté de l'activité physique par exemple, ou des innovations numériques. C'est en train de bouger.

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    JDF