Médecine interne
Corticoïdes : la rupture de stock de trop
Les ruptures de stock touchent désormais aussi la corticothérapie. Les industriels se justifient en invoquant des retards de production, l'ANSM propose des rustines et les médecins dénoncent une situation inacceptable et franchement dangereuse pour certains patients.
- MJ_Prototype/istock
Solupred, Cortancyl, Celestene, Quenacort, Diprostene : ces médicaments corticoïdes sont en rupture de stock dans de nombreuses pharmacies depuis plusieurs semaines.
Fortes tensions d’approvisionnement des spécialités prednisone (Solupred) et prednisolone (Cortancyl)
— ANSM (@ansm) 7 mai 2019
???? Réserver en priorité la prescription de prednisone et prednisolone lorsque leur utilisation est médicalement indispensable et sans alternatives
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Nos confrères d’Europe 1 ont tenté l’expérience dans le centre de Paris, mercredi 22 mai : sur une vingtaine d’officines, aucune n’avait de cortisone. L’ANSM a publié un communiqué à ce sujet, le 7 mai : elle reconnaît des difficultés d’approvisionnement sur certains médicaments corticoïdes. Deux jours plus tard, les industriels ont été convoqués pour présenter à l’ANSM "leurs actions pour assurer un approvisionnement pérenne et sécurisé". En attendant un retour à la normale, l’agence demande aux médecins de limiter la prescription de ces médicaments aux cas où ils sont strictement indispensables et où il n’existe pas d’alternatives.
Une pétition envoyée à Agnès Buzyn
Agnès Buzyn: Redonnez-nous la cortisone avant que des centaines de milliers de patients n'en souffrent - Signez la pétition ! https://t.co/t4sLAnav4X via @ChangeFrance
— francis berenbaum (@Larhumato) May 22, 2019
Pour les médecins, cette situation n’est pas tolérable. Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, a lancé une pétition en ligne, intitulée "Redonnez-nous de la cortisone avant que des centaines de milliers de patients en souffrent". Elle a été transmise à la ministre de la santé, mercredi 22 mai. Selon lui, les industriels ont leur part de responsabilité dans les ruptures de stock : "les corticoïdes, ce sont des médicaments qui ne coûtent rien, explique le médecin sur France Info. Les laboratoires qui les commercialisent n’ont pas un grand intérêt à investir pour qu’il y ait un suivi et un réapprovisionnement rapide de ces spécialités". De leur côté, les laboratoires affirment que la situation est liée à des retards de production.
Des médicaments indispensables
La prednisone et la prednisolone font partie des corticoïdes, elles permets de soigner des douleurs inflammatoires, certaines allergies et des troubles de l’auto-immunité. Il est également utilisé pour soigner des maladies des bronches ou des poumons comme l’asthme. Pour tous ces malades, l’arrêt du traitement peut avoir de graves conséquences. Par exemple, si un patient atteint de lupus, une maladie chronique auto-immune, cesse de prendre de la cortisone, il risque de refaire une poussée inflammatoire. Dans le pire des cas, les poussées peuvent toucher des organes vitaux comme le cerveau ou les reins et conduire à une insuffisance rénale, voire au décès.
La cortisone n’est pas le premier médicament en rupture de stock en France. En octobre 2018, un collectif de malades atteints de Parkinson signalait déjà des pénuries concernant leurs traitements. En 2017, 530 médicaments étaient en rupture de stock dans le pays, soit 30% de plus que l’année précédente.
Des causes nombreuses et multifactorielles
D'après l'Ordre des Pharmaciens, les causes de ces ruptures sont à la fois « nombreuses et multifactorielles ». Parmi les principales, il y a la capacité de production insuffisante. La plupart des médicaments génériques ne sont plus fabriqués en France : 70% des molécules permettant de fabriquer la plupart des traitements sont fabriqués en Asie, sur un nombre restreint de sites. Au moindre problème dans une usine, c’est la catastrophe.
Pour certains produits, c'est le le retard de production ou l'incapacité de production dans une des quelques usines qui restent par manque des molécules nécessaires à la composition du médicaments : ces causes touchent toutes les usines dans le monde qui produisent différents médicaments à partir d'une molécule indispensable. Ces causes sont responsables de 17% des ruptures selon l’ANSM.
Le phénomène est encore aggravé par la volonté de restreindre des stocks qui coutent de l'argent aux laboratoires et le principe des "flux tendus" qui en résulte : pour éviter les coûts liés aux stocks, les laboratoires réduisent ceux-ci au maximum, et le stock est dans les camions ou les bateaux. Au moindre problème météo ou politique, c'est la rupture assurée.
L'Ordre des pharmaciens cite aussi la mondialisation de la demande et la libre circulation des biens : quand les quantités de médicaments sont trop justes par rapport à la demande, les laboratoires préfèrent vendre aux pays qui payent le mieux (les plus offrants) et ce n’est le plus souvent pas le cas de la France.
Des mesures indispensable de production
Pour faire face à cette situation insensée, le Sénat a créé une mission d'information et celle-ci a récemment fait des propositions. Les principales visent à relancer une production pharmaceutique de proximité, en France ou en Europe, à instituer un programme public de production et de distribution de quelques médicaments essentiels, à responsabiliser les industriels, à faciliter l’exercice professionnel des distributeurs et à développer la coopération européenne. Mais tout ceci se heurte à l'impératif des coûts...
Les États-Unis, confrontés au même problème, ont réagi et mis en place des solutions qui semblent marcher (fabrication de proximité, sécurisation de la distribution des produits essentiels (stocks stratégiques), accords de prix...). L'Académie Nationale de Pharmacie demande que la France, et plus largement l’Union Européenne, prenne les mesures urgentes qui s’imposent.
A notre connaissance, rien n'a encore bougé en France et rien n’est actuellement mis en place pour améliorer les ruptures de stock actuelles et futures. Ce ne sont pas les mesures cosmétiques proposées par l'ANSM qui vout changer cela : demander aux industriels d’importer des médicaments d’autres pays alors qu’on les paye moins cher et demander aux médecins de ne pas les prescrire, cela s’assimile à des rustines. Il est largement temps que le Ministère de la Santé et le gouvernement prennent des mesures de production et de distribution efficaces. Contrairement à ce que l'on pense, réduire le nombre de médecins et les médicaments disponibles risque in fine d'augmenter les coût de santé en cas de survenue d'une complication.








