Médecine générale
Maladies cardiovasculaires et cancers : réduire l’arsenic dans l’eau sauve des vies
La baisse individuelle de l’arsenic urinaire en dessous d’un seuil médian d’exposition initiale s’associe à une réduction substantielle de la mortalité chronique, y compris cardiovasculaire et par cancer, ce qui justifie d’intégrer l’arsenic dans les facteurs de risque.
- Francesco Scatena/istock
L’arsenic naturellement présent dans l’eau potable demeure un enjeu sanitaire mondial. Si des séries écologiques suggéraient un bénéfice populationnel des programmes d’atténuation, la preuve individuelle manquait, notamment pour des expositions <150 µg/L, fréquentes mais moins extrêmes.
Dans l’étude HEALS (Araihazar, Bangladesh), publiée dans le JAMA, 10 977 adultes ont eu jusqu’à cinq dosages d’arsenic urinaire sur 2000–2018, avec un suivi de mortalité sur 2 décennies (jusqu’en 2022). L’exposition moyenne a chuté de 283 à 132 µg/g de créatinine. Chaque diminution d’un IQR (−197 µg/g) s’accompagne d’une baisse de 22 % de la mortalité par maladies chroniques (aHR 0,78 ; IC à 95 % 0,75–0,82), de 20 % pour les cancers (0,80 ; 0,73–0,87) et de 23 % pour les maladies cardiovasculaires (0,77 ; 0,73–0,81). Les modèles de Cox à variables temporelles confirment une relation dose-réponse : plus la réduction est grande, plus le risque diminue.
Qui bénéficie le plus, et dans quelles proportions ?
En comparant des trajectoires d’exposition, les personnes partant de haut (≥ médiane de base, 199 µg/g) mais descendant ensuite sous cette médiane (n=3 757) ont une mortalité chronique moindre (aHR 0,46 ; 0,39–0,53) qu’un groupe resté constamment élevé (n=1 757), avec des effets cohérents pour le cancer (0,51 ; 0,35–0,73) et les maladies cardiovasculaires (0,43 ; 0,34–0,53). Ces estimations sont proches de celles observées chez les sujets toujours bas (n=4 959 ; aHR ≈0,43–0,49), suggérant qu’atteindre un niveau « bas » importe autant que d’y rester.
Les analyses de sensibilité, dont un appariement par score de propension, confortent la robustesse face aux différences socio-économiques. La dynamique inverse est également informative : toute remontée d’arsenic s’associe à un excès de risque, signalant un effet réversible et sans doute médié par la normalisation de mécanismes toxiques (stress oxydatif, dysfonction endothéliale).
De la pollution au pronostic : un signal fort et dose-dépendant
HEALS est une cohorte prospective (11 746 inclus initialement ; 10 977 analysés pour le changement d’arsenic), débutée en 2000, dans une zone où >50 millions de personnes dépassent la recommandation de l’OMS (10 µg/L). L’exposition a été mesurée individuellement et à plusieurs reprises par l’arsenic urinaire total (principalement inorganique et métabolites, ≈96 % dans un sous-échantillon), fortement corrélé à l’arsenic de puits. Les évènements de mortalité (chroniques, cancers, maladies cardiovasculaire) ont été adjudiquées jusqu’en 2022. La stratégie analytique combine Cox dépendant du temps, splines et propensity score, permettant d’isoler l’effet du changement intra-individuel d’exposition, un atout majeur par rapport aux approches écologiques.
Selon les auteurs, ces résultats justifient des programmes d’atténuation individualisés : cartographie et étiquetage des puits, bascule vers des sources à faible arsenic, monitoring urinaire ciblé, et priorisation des ménages encore au-dessus de la médiane locale. Ils soutiennent l’idée qu’investir pour passer « sous la médiane » d’exposition offre un gain pronostique comparable à celui de populations toujours peu exposées. À l’échelle des systèmes de santé, intégrer le dosage de l’arsenic urinaire dans les parcours maladies cardiovasculaires et oncologie des zones à risque peut guider le conseil environnemental et la prévention, d'autant qu'il s'agit d'une action très prolongée. Le message clinique, simple et actionnable, est confirmé : réduire l’arsenic, même depuis des niveaux « modérés », réduit la mortalité.








