Gériatrie

Dépression et sous-diagnostic chez la personne âgée : les clés pour mieux la repérer

Une dépression sur deux n'est pas diagnostiquée chez le sujet âgé, mais en pratique clinique cela reste un peu compliqué. C’est l’objet de cette première fiche « Entretien pratique en gériatrie » : une interview sur la question du sous-diagnostic de la dépression du sujet âgé avec le Pr Bonin-Guillaume, gériatre à Marseille

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  • 09 Mai 2023
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    La dépression du sujet âgé est une pathologie fréquente, mais massivement sous-diagnostiquée : une dépression sur 2 ne serait pas diagnostiquée. Entre banalisation des symptômes et présentation atypique, les obstacles au diagnostic en médecine générale sont multiples.

    Fréquence Médicale les décrypte aujourd'hui avec le Pr Bonin-Guillaume, gériatre à l'AP-HM et spécialiste de la question. Une interview pratique pour un repérage plus efficace de cette pathologie du quotidien. 

    Les troubles dépressifs sont-ils fréquents chez le sujet âgé ?

    Oui c'est la pathologie psychiatrique la plus fréquente chez la personne âgée. Elle atteint environ une personne sur dix en population générale et une sur quatre à l'hôpital. Et elle touche environ 40% des personnes qui vivent en établissement médico-sociaux.

    Est-ce une pathologie « correctement » diagnostiquée ?

    Non, les troubles dépressifs de la personne âgée sont vraiment sous-diagnostiqués, on estime en effet à 50% la proportion de sous-diagnostics.

    Comment expliquer ce chiffre si élevé ?

    C'est en particulier dû à une banalisation de certains symptômes de la dépression avec le vieillissement. On va par exemple penser que c'est normal d'être un peu plus lent, de se sentir inutile. On associe aussi le vieillissement parfois à un déclin de l'humeur : on vieillit donc on est moins optimiste. Et cette banalisation des symptômes fait que bien souvent on ne recherche pas une dépression.

    La banalisation des symptômes est-elle la seule explication ?

    Non. Bien souvent chez la personne âgée, la dépression a une expression spécifique, avec par exemple une absence fréquente de douleur morale ou de tristesse qui sont des symptômes fondamentaux de l'état dépressif caractérisé. Donc on va passer à côté du diagnostic. Il peut aussi y avoir le fait que certains symptômes de la dépression, comme les troubles du sommeil et une perte de poids par exemple, sont mis sur le compte d'autres pathologies du sujet âgé. Devant une perte de poids on partira plus facilement sur une cause organique avec la recherche d'un cancer ou d'une pathologie thyroïdienne et on oublie bien souvent d'évoquer une dépression. Pourtant dans la dépression, il peut y avoir une perte de poids rapide et très importante avec des conséquences majeures. La dépression peut aussi provoquer un ralentissement idéo-moteur qu'on met à tort sur le compte du sujet âgé qui est ralenti. Et là dans ce domaine, ce qui doit alerter, c'est que ce ralentissement est anormalement important.

    La présentation de la dépression chez le sujet âgé est donc plutôt atypique, doit-on alors oublier les critères du DSM-5 en gériatrie ?

    Non. Il est important déjà de bien connaître l'état dépressif caractérisé du DSM-5 que les psychiatres évoquent mais il ne correspond qu'à une petite partie des personnes âgées. Dans cette population, les symptômes fréquemment exprimés vont plutôt être le sentiment d'inutilité, l'impression d'être une charge, le repli sur soi, le retrait et la perte d'intérêt. Et encore une fois ce sont autant de symptômes qui comme je le disais plus haut sont facilement banalisés et rendent ainsi difficile le diagnostic. Enfin, autre piège diagnostique, la dépression peut induire des troubles du comportement, comme de l'agitation, de l’agressivité, de l'opposition. Bien souvent une maladie neurodégénérative est évoquée (parfois sous-jacente) mais ces troubles peuvent être directement liés à un état dépressif.

    Troubles neurocognitifs et dépression ont-ils d'autres liens ?

    Oui. Dans la dépression, il existe des troubles cognitifs à type de troubles de concentration et des troubles de l'attention. Ce sont des gens qui n'écoutent pas, qui n'entendent pas, car repliés sur eux-mêmes ou obnubilés par des pensées obsédantes, des ruminations mentales. Il peut aussi y avoir des patients qui vont avoir des plaintes mnésiques, cognitives qui vont questionner une possible maladie neurocognitive alors que leurs symptômes sont liés à une dépression.

    En termes de prise en charge, quelles sont les conséquences à confondre troubles neurocognitifs et dépression ?

    Ces tableaux atypiques qui sont parfois au premier plan, font que les patients sont souvent orientés vers des centres mémoires pour faire un bilan à la recherche d'une maladie neurodégénérative. Mais en fait, il est important de ne pas éliminer le facteur dépressif. En effet sous traitement, il y a une nette amélioration. La dépression est une maladie qui se guérit alors qu'actuellement ce n'est pas le cas des maladies neuro-dégénératives. C'est donc dommage de passer à côté d'un état dépressif qui peut être pris en charge par un traitement bien conduit.

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    JDF