Onco-dermatologie
Myocardite aux inhibiteurs de checkpoint : rare mais à reconnaitre tôt
Les inhibiteurs de checkpoints, ou immunothérapies, sont devenus un traitement incontournable en oncologie. La myocardite aux inhibiteurs de checkpoint est une complication rare mais potentiellement grave qu’il faut savoir suspecter, diagnostiquer et traiter.
- LIgorko/istock
Il existe actuellement 2 cibles thérapeutiques des immunothérapies en oncologie ou inhibiteurs du checkpoints de l’immunité (ICI). Le CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte-associated antigen4) et le PD-1 (programmed cell death 1) et son ligand PDL-1 (programmed death ligand 1). Ce système de régulation de l’immunité cellulaire, est souvent inhibé par les cellules tumorales.
Seuls ou en association, les ICI lèvent cette inhibition et entrainent la restauration massive des lymphocytes T circulants. Cependant, ces traitements s’accompagnent de multiples complications immunomédiées plus ou moins graves pouvant toucher tous les organes dont le cœur1.
La myocardite aux ICI est supposée rare, même si les études de « vraie vie » nous ont montré que son incidence est probablement sous-estimée (0.07% sous anti CTLA-4, 0.41% sous anti PD1 et multiplié par 4 avec un double blocage (anti PD1/PDL1 + CTLA-4) de l’ordre de 1.33%)2.
Comment la diagnostiquer ?
La myocardite aux ICI survient en grande majorité au cours des 3 premiers mois de traitement. Sa présentation clinique peut être variable allant de patients asymptomatiques avec une élévation de la troponine, des symptômes cardiovasculaires classiques (douleur thoracique, dyspnée, palpitations) à des signes cliniques frustres (asthénie, tachycardie). Elle peut rapidement évoluer vers un tableau plus grave de choc cardiogénique avec des troubles de la conduction de haut degré ou des troubles du rythme ventriculaire graves avec une mortalité de l’ordre de 50%3. Le diagnostic doit donc être rapide, afin d’introduire le plus précocement possible un traitement adapté.
Devant toute suspicion de myocardite aux ICI, le cardiologue s’efforcera de rechercher des arguments pour une myocardite sur des éléments cliniques, biologiques, d’imagerie cardiaque (échographie trans thoracique et IRM cardiaque) ou anatomopathologiques (biopsie endomyocardique ou BEM). Une imagerie coronaire devra être réalisée afin d’éliminer son principal diagnostic différentiel qu’est la cardiopathie ischémique.
Ce diagnostic peut s’avérer difficile. On retrouve une augmentation de la troponine dans 2/3 des cas, ainsi que celle des peptides natriurétiques, avec des anomalies de l’ECG dans 80% des cas. L’échographie cardiaque transthoracique peut être normale dans 50% des cas à la prise en charge et ne devra pas faire exclure le diagnostic3. L’IRM cardiaque recherchera un œdème myocardique en T2 et T2 mapping ou de la nécrose myocytaire en T1 après injection de gadolinium. On sait maintenant que l’IRM peut être prise en défaut avec de nombreux faux négatifs dans le cas des myocardites aux ICI. Une récente étude montre que chez des patients avec une myocardite prouvée histologiquement, la moitié de ces patients avaient une IRM cardiaque normale4.
En cas de normalité de l’échographie et de l’IRM cardiaque il conviendra alors de discuter la réalisation d’une biopsie endomyocardique (BEM), à réaliser uniquement dans un centre expert de la technique, afin de mettre en évidence une infiltration lymphocytaire T associée à de la nécrose myocytaire1. Les complications de la BEM sont souvent redoutées mais rares (< 1%) dans les équipes entrainées. Il n’y a ainsi pas de marquage spécifique actuellement pour faire le diagnostic de myocardite aux ICI.
Comment la traiter ?
Le traitement des myocardites aux ICI repose sur 3 éléments : 1) l’arrêt définitif des ICI, 2) un traitement symptomatique cardiologique selon l’état hémodynamique du patient et 3) l’introduction d’un traitement immunosupresseur. Un traitement par corticoïdes forte dose (solumedrol 1g) par voie intra veineuse, sera instauré au maximum dans les 24 premières heures et pendant 3 à 5 jours. Puis on relayera par une corticothérapie PO à minima 1mg/kg avec une décroissance progressive sur 4 à 6 semaines voire plus.
En cas d’aggravation clinique dans les 24-48 premières heures, le traitement immunosupresseur devra être intensifié (tacrolimus, mycophenolate mofétil, serum anti lymphocytaire, infliximab, abatacept, tocilizumab, échanges plasmatiques)5.
Cette prise en charge ne repose pas sur des études randomisées mais sur les données de cohortes ou de cas cliniques rapportées dans la littérature.
Quelle surveillance pour les patients sous ICI ?
Il est important d’avoir une évaluation cardiologique initiale avec un examen clinique, un ECG, un dosage de troponine et une échographie cardiaque avant toute instauration de traitement par ICI.
Il existe ensuite 2 stratégies de surveillance chez les patients sous ICI. La première consiste à faire un ECG et un dosage de troponine avant chaque nouvelle cure d’ICI permettant alors de dépister précocement une élévation asymptomatique de la troponine. La deuxième consiste à dépister la myocardite devant tout nouveau symptôme cardiovasculaire5.
Il n’y a pas d’études comparant ces 2 stratégies même si de nombreuses équipes de cardio oncologie préfèrent une surveillance troponine/ECG avant chaque cure. Quelle que soit la stratégie adoptée, en cas d’élévation asymptomatique de la troponine ou l’apparition d’un nouveau symptôme cardiologique, il conviendra de s’astreindre à rechercher méthodiquement des arguments pour une myocardite aux ICI afin de la traiter.
Conclusion
La myocardite aux inhibiteurs du checkpoint immunitaire, ou immunothérapies, est une complication rare mais potentiellement grave, à suspecter devant toute anomalie clinique ou biologique cardiovasculaire au cours de ces traitements.
Son diagnostic peut être difficile et il conviendra d’utiliser toutes les techniques disponibles pour tenter de l’appuyer. Une fois le diagnostic établi, la prise en charge se fera en unité de soins intensifs et repose sur un arrêt des ICI, un traitement immunosupresseur avec en première ligne des corticoïdes forte dose par voie intraveineuse et un traitement cardiologique symptomatique.
Des études spécifiques seront nécessaires à l’avenir pour pouvoir établir des recommandations avec un niveau de preuve suffisant tant sur le dépistage, que sur le diagnostic et la prise en charge de ces patients.
Bibliographie
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- Salem, J.-E. et al. Cardiovascular toxicities associated with immune checkpoint inhibitors: an observational, retrospective, pharmacovigilance study. Lancet Oncol. 19, 1579–1589 (2018).
- Mahmood, S. S. et al. Myocarditis in Patients Treated With Immune Checkpoint Inhibitors. J. Am. Coll. Cardiol. 71, 1755–1764 (2018).
- Zhang, L. et al. Cardiovascular magnetic resonance in immune checkpoint inhibitor-associated myocarditis. Eur. Heart J. 41, 1733–1743 (2020).
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